Jérémy Decerle
Les actualités au sein du Parlement européen : IED, NBT, restauration de la nature...

Florence Bouville
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En compagnie (téléphonique) de Jérémy Decerle, député européen depuis 2019 au sein du groupe Renew et ancien président des JA, ce ne sont pas les sujets de discussion qui manquent. Le 24 juillet, nous avons évoqué avec lui ses récents combats et les avancées qui en ont découlé. En particulier sur la directive IED (émissions industrielles), pour laquelle il était rapporteur. Malgré les tensions politiques, les divergences d’opinions… il continue et continuera de défendre les agriculteurs.

Les actualités au sein du Parlement européen : IED, NBT, restauration de la nature...

Directive IED : retour sur l’obtention du statu quo

En novembre dernier, la Commission européenne (CE) a révisé le texte de la directive IED, relative aux émissions industrielles. Dans ce texte, une nouvelle partie s’appliquait à plus de filières agricoles. Était alors considérée comme grosse "industrie", toute exploitation dépassant les 150 UGB ou équivalences dans les filières porcines, avicoles…. Or, pour la majorité du Parlement, le concept de "grandes entreprises" ne pouvait s’appliquer aux exploitations agricoles. Bon nombre de paramètres technico-agronomiques n’ayant pas été pris en compte. Jérémy Decerle juge l’approche menée par la CE trop « légère » dans son analyse préalable. « La Commission n’a jamais voulu entendre ce qu’on disait ; elle ne voulait pas bouger une ligne », raconte-t-il. Résultat, le 11 juillet, les députés ont voté contre l’élargissement du champ d’application de l’IED aux élevages bovins. Ils ont également refusé l’abaissement des seuils pour les élevages porcins et avicoles, à partir desquels ils auraient été soumis aux dispositions de cette directive.

Pour obtenir ce statu quo, le combat n’a pas été de tout repos ! Déjà parce que ce texte ne concerne bien sûr pas que la Commission Agricole ; il touche aussi la Commission Environnement, consultée à de maintes reprises. Vous l’aurez compris, avant le 11 juillet, les deux entités (y compris les députés Écologistes) s’étaient accordées sur l’irrecevabilité de la proposition de la CE en l’état. La Commission Agricole a tranché rapidement dans ce sens parce qu’elle savait qu’elle allait être suivie. Pour argumenter cela, Jérémy Decerle et sa commission se sont, entre autres, entretenus avec le ministère de l’Agriculture afin de collecter des données (financières, techniques…).

À ce moment-là, l’eurodéputé avait d’ailleurs pointé du doigt le risque d’un effet contre-productif. Qui sait si les plus petits élevages, rentrant dans le critère d’UGB, auraient pu passer le cap des mises aux normes qui allaient en découler ? En sachant que les incertitudes autour des coûts financiers restaient nombreuses. « J’avais tout intérêt à défendre le statu quo », affirme-t-il. Dans la foulée, la Commission Environnement s’est calée sur ce qui avait été validé par le Conseil des États membres. À noter, toutefois, que le groupe Renew s’était penché sur une proposition alternative. Dans l’hypothèse où le statu quo leur aurait été refusé. Dans cette proposition, ils acceptaient de faire rentrer les bovins, mais les seuils étaient plus élevés. Il s’agit de « sujets tellement importants, méritant d’être approfondis, explique-t-il, on a essayé d’amener des idées, sur le taux de chargement par exemple ». Le but étant de « marquer la différence entre intensif et extensif ».

Malgré le couac sur les enjeux agricoles, il faut reconnaître que cette directive reste cohérente pour l’industrie. Les trilogues* ont débuté il y a une semaine. S’ouvre donc un nouveau chapitre dans les négociations. L’obtention du statu quo n’en demeure pas moins une étape importante pour le Parlement. « Le coup de gueule a porté ses fruits », la réalité du terrain étant ainsi davantage respectée.

NBT et diminution des intrants : « tout traiter ensemble »

Autre sujet polémique : les NBT, désignant en français les nouvelles techniques de sélection végétale et animale. De fortes oppositions sont nées à la suite du texte proposé par Bruxelles. Prévoyant de classer les plantes issues des NBT en deux catégories, non soumises aux obligations de la directive OGM. Difficile dès lors d’y voir clair entre des "anti-tout" et des "productivistes" à outrance. Heureusement, d’autres eurodéputés abordent le sujet de manière « plus rationnelle », souligne Jérémy Decerle. Lui qui est convaincu de « l’aide que pourraient procurer ces nouvelles technologies à toutes les filières ». Y compris, bien sûr, à celles du département. Les NBT étant des biotechnologies largement accessibles, financièrement parlant, à des coopératives ou Instituts techniques dans les territoires. Par contre, il faudra veiller à ce que les acteurs des filières soient accompagnés, et décider du "comment ?". De plus, il est essentiel que les financements alloués à la recherche se rajoutent à ceux actuellement de la Pac, côté Green Deal plutôt. « Ce sera une réussite uniquement si nos entreprises locales s’en saisissent » et ce « sans crainte ». « À nous maintenant de rendre attractifs ces procédés », déclare-t-il. Lourde tâche, donc, qui incombe au Parlement. Il y a quinze jours, il a reçu les semenciers à Strasbourg et continue de s’entourer et d’interroger les acteurs spécialistes. Tant de questions sont encore à traiter : quels choix et possibilités techniques ? Quels champs d’application ? Quelle classification ?

Tout l’enjeu réside aussi dans la manière dont seront traitées de front la thématique des NBT et celle des pesticides. « Il faut traiter ensemble ces sujets […] dans un même paquet », insiste-t-il. L’eurodéputé considérant les NBT comme une opportunité de réduire les intrants chimiques. Il est donc primordial de lier les réflexions. « Ce serait bizarre d’aller dans une direction pour les pesticides et dans une autre concernant le glyphosate », souligne-t-il. Il croit à une « voie de sortie intéressante pour le Parlement », à l’instar d’IED.

La surpolitisation du règlement sur la restauration de la nature

Pour finir en beauté, il revenait sur un autre sujet traité par la Commission avec « beaucoup de flou et de légèreté ». Le règlement sur la restauration de la nature a dernièrement fait couler beaucoup d’encre, malheureusement pas pour de bonnes raisons. De nombreuses contributions ont cristallisé le débat. « Le Parti populaire européen (PPE) a vraiment voulu politiser ce sujet », se désole Jérémy Decerle. Une nouvelle fois, « on essaie de répondre à des questions binairement alors qu’on devrait apporter des réponses approfondies ». Du fait de cette "surpolitisation", « on n’a pas été capables d’aborder le fond », regrette-t-il. Le Parlement est quand même parvenu à « vider le texte de ce qui avait été exagéré par la CE ». Point noir, le contenu s’est fortement éloigné de la technique et comporte finalement peu de précisions ; mais « on a réussi à proposer des choses rationnelles », confesse-t-il. On peut ainsi dire que la casse a été limitée et le signal politique renvoyé prône davantage l’équilibre. Enfin, il y a maintenant moyen d’en faire quelque chose de constructif et de plus élaboré. Notamment lors des trilogues*.

Les prochaines actualités du Parlement risquent toutefois d’être fortement influencées par l’approche des élections. Contexte qui donnera probablement lieu à des discours encore plus politiques. Le timing joue donc toujours un rôle très important ; « si le texte Nature était arrivé il y a un an et demi, il aurait été traité différemment ». Certains dossiers ne pourront d’ailleurs pas être finalisés avant 2024.

 

*Trilogue européen : réunion tripartite informelle sur des propositions législatives entre des représentants du Parlement, du Conseil et de la Commission. Leur objectif est de parvenir à un accord provisoire sur un texte acceptable à la fois pour le Conseil et le Parlement.

Gestion de la crise ukrainienne

Dès l'envahissement de l'Ukraine par l'armée Russe de Vladimir Poutine, l'Europe a apporté son soutien inconditionnel, notamment en abaissant à zéro les droits de douanes sur les produits agricoles Ukrainiens. Alors que la guerre s'éternise, les producteurs d'Europe se retrouvent face à une concurrence redoutable. L'Ukraine étant un grand pays agricole. Pour Jérémy Decerle, l’aide qui est apportée n’est absolument pas à remettre en cause, seulement, il garde bien à l’esprit la « pression » que cela met sur la production européenne. L’objectif étant aussi de « veiller à limiter les impacts sur les éleveurs français », souligne Jérémy Decerle, à l'instar des poulets Ukrainiens remplaçant les poulets Européens dans un contexte de forte inflation. Cette crise que nous connaissons, « nécessite une gestion de marché et des approches différentes », poursuit-il, lui qui plaide toujous pour des clauses miroirs, imposant aux pays tiers les mêmes normes Euorpéennes pour être commercialisées. Les règles de l'OMC si opposent. Dans tous les cas, ce "test" grandeur nature servira de base de réflexion pour assurer la souveraineté alimentaire européenne équilibrée et de référence dans le cadre du Mercosur. Car la démocratie Européenne est complexe, actuellement sous présidence de l’Espagne, à l'inverse de la France réticente au Mercosur, l'Espagne aimerait intensifier les échanges avec les pays du Mercosur qui lui sont proches.

Et pour la suite ?

Et pour la suite ?

Jérémy Decerle ne s’est pas encore officiellement représenté. Pour l’instant, il « pense plus au boulot qu’il reste à faire » et « ce que je fais me plaît », affirme-t-il. Il souhaite notamment intensifier son engagement sur le bien-être animal, d’ici la fin de l’année.

Il est conscient de « l’inertie parfois déconcertante de l’Europe » néanmoins « elle avance ». Pour lui, il faut aussi montrer ce que cette dernière fait et a fait ces dernières années. « Elle a su répondre aux différentes secousses rencontrées » (Covid, guerre en Ukraine…). Par ailleurs, malgré la guerre de Poutine et l’échec du Brexit, la montée des extrémistes est bien réelle en Europe, mais elle ne fait que renforcer la volonté du groupe de défendre les agriculteurs et l’agriculture. « Revenu, protection, transition reste notre ligne », conclut-il.