Safran
La culture de la délicatesse

Françoise Thomas
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Ce ne sont que quelques mètres carrés dans la vaste exploitation céréalière d’Aurore Paillard située du côté de Gergy, au nord de Chalon-sur-Saône : 600 m², répartis en deux parcelles sur deux sites distincts. Mais c’est donc sur une culture aussi discrète que délicate que la productrice s’essaye depuis trois ans maintenant : celle du safran ! Une culture à l’opposé de ce qui constitue son quotidien puisque très limitée dans le temps et surtout dans les quantités produites. Et très minutieuse aussi…

La culture de la délicatesse

On connait plus la jeune femme, qui est par ailleurs très engagée dans les JA jusqu’au niveau régional, pour ses productions en grande culture : son exploitation céréalière de 140 ha dans le Chalonnais produit chaque année blé, orge, colza, soja, maïs, tournesol, etc.

Depuis longtemps cependant, Aurore Paillard avait « envie d’un atelier de transformation sur l’exploitation », car elle trouve « un vrai intérêt à la vente directe et au retour client. C’est à la fois valorisant et permet d’adapter et de faire évoluer les produits », exprime-t-elle.

Il lui fallait malgré tout trouver une production ni trop contraignante en temps, ni trop exigeante en équipement… Un cousin expatrié au Chili et une amie déjà lancée dans cette culture lui ont alors donné l’idée de tester elle aussi la culture du safran…

« En septembre 2019, j’ai implanté à la main mes 1.300 premiers bulbes de crocus sativus », présente-t-elle. Si la première récolte des Safran du Piochys fut très limitée, elle l’a malgré tout motivée pour passer à un test un peu plus important : « en septembre 2020, j’ai mis en place 30.000 bulbes ». Mais cette fois avec l’aide d’une planteuse à bulbes.

L’influence du terroir

« Cette année, je ne vais pas faire de nouvelles mise en place, les bulbes sont censés rester trois-quatre ans en terre. Il faut aller vérifier ce qui se passe sous terre, mais de chaque bulbe mère doivent ressortir entre deux à quatre ou cinq nouveaux bulbes, chaque fleur donnant trois filaments ».

Elle consacre en tout 600 m² à cette production, répartie en deux parcelles de 300 m² chacune, situées à deux endroits bien distincts lui permettant de tester également le rendement sur deux types de sol différents, l’un limoneux, le second sableux, en sachant que « le terroir joue sur le goût du safran ».

Des délicates 30.000 fleurs violettes qui sont sorties de terre en un mois, entre fin octobre et fin novembre 2020, elle a obtenu 200 gr de filaments de safran sec…

« J’ai implanté trois grosseurs de bulbes pour pouvoir étaler la récolte. Tous les matins, je faisais le tour des planches pour récupérer les fleurs ». Des fleurs qu’il faut traiter dans la journée pour les émonder, c’est à dire récupérer les pistils rouges.

Un prix justifié

La minutie s’impose également une fois ces filaments récupérés : il faut les faire sécher pour conserver leur saveur, la moindre humidité les dégradant. Et pour cela, l’investissement de la productrice c’est pour l’instant réduit à un déshydrateur… 
Cette culture qui « exige un énorme travail manuel » pour un rendement très relatif justifie le prix du marché rencontré pour le safran français « entre 30 et 40 € le gramme ». La jeune femme propose donc le pot de confiture de 30 gr à 2 €, « celui de 60 gr à 3,60 €, celui de 130 gr à 5,90 € », poursuit-elle.

Aurore Paillard vend ce safran sous différentes formes. Soit en filaments purs, essentiellement écoulés auprès de restaurateurs, soit sous différents produits accompagnés de la saveur unique et inoubliable du safran : gelée de pomme ou de myrtille, pâte de coing, confiture de mirabelles, etc. ; « je fais en fonction des fruits que je trouve ! », confie-t-elle, car elle veut uniquement travailler avec des fruits locaux et de saison.

À la carte Loiseau…

Aurore Paillard est également une précieuse source d’idées de recettes : « je veux tester des gougères, des cocktails, des sauces safranées notamment pour des risottos » car cet épice se marie aussi bien aux saveurs sucrées que salées.

Dernièrement, elle a mis au point un sirop d’une superbe couleur miel agrémenté de filaments rouges : « il est à déguster avec une limonade ou un crémant de Bourgogne… ».

Si elle vend beaucoup ses produits dans des magasins de producteurs et en direct via les réseaux sociaux, l’une des grandes satisfactions de la jeune femme est d’être désormais référencée auprès des restaurateurs membres du Tour des Terroirs : son Safran du Piochys va notamment venir enrichir les plats proposés à la carte de "Loiseau des Ducs", restaurant étoilé de Dijon, issu de la galaxie Bernard Loiseau…

Petit à petit, l’envol ne fait ainsi que se confirmer.

Des fleurs par milliers

Des fleurs par milliers

Implanté en fin d’été-début d’automne, les premières fleurs sortent fin octobre et s’étalent sur un mois. Puis viennent les feuilles, longues et fines tiges qui continuent de pousser (jusqu’à 30 cm) et restent jusqu’au printemps suivant. Vient alors le moment de broyer en laissant tout sur place.

Si cette culture n’a pas besoin de traitement, ne craint ni le gel ni la neige, elle reste sensible à la fusariose et est très appréciée des rongeurs et des limaces...

Il faut de 150 à 200 fleurs pour obtenir 1 gr de safran sec, car en séchant celui-ci perd jusqu’à 80 % de son poids. Donc en partant de 1 kg de pistils frais, on se retrouve avec 200 gr de condiment.

Pour obtenir 1 kg de safran sec, il faut donc plus de 150.000 fleurs !