Marchés mondiaux de blé
Blé : la France bien positionnée sur un marché incertain

Avec un potentiel important, notamment en blé meunier, la production française pourrait tirer son épingle du jeu sur le marché export. Le contexte reste néanmoins fragile compte-tenu de nombreux aléas climatiques et géopolitiques.

Blé : la France bien positionnée sur un marché incertain

Le blé français dispose de quelques atouts pour trouver sa place sur le marché international lors de la campagne 2023/2024. C’est en tout cas ce qu’ont estimé le 24 août dernier les responsables d’Agritel, société experte en stratégies des marchés agricoles et agro-industriels lors d’une présentation à la presse des principaux enjeux du commerce sur les marchés du blé ces prochains mois.

En dépit des aléas climatiques de l’été – déficit hydrique, vents séchants, pluies tardives -, le potentiel de la production française sera conséquent, avec des rendements légèrement supérieurs à la moyenne quinquennale (73 q/ha, soit +1,4 %) et des volumes estimés par Agritel à 34,8 millions de tonnes - Mt (+3 % par rapport à 2022). Si la situation est hétérogène en fonction des régions, « la filière française pourra répondre à la demande en quantité comme en qualité », a estimé Alexandre Marie, analyste en chef d’Argus Media France, le groupe auquel appartient Agritel. Si les pluies de fin de cycle ont détérioré les qualités de certains blés (environ 10 % du potentiel) et provoqueront leur déclassement, « l’essentiel de la production répond aux critères d’exportation, de la meunerie domestique et de l’amidonnerie, en matière de poids spécifiques et de taux de protéines ».

Compte tenu de la demande modérée en France liée à l’inflation, ce sont 17 à 18 Mt qui devraient ainsi être disponibles pour l’exportation cette année, sans compter les stocks de fin de campagne. D’après les prévisions d’Agritel, environ 7,5 Mt partiraient vers les pays de l’Union européenne et 9,5 Mt vers les pays tiers. La demande devrait être notamment tirée, côté UE, par l’Espagne (2,3 Mt) dont la récolte a été amputée de près de 50 %, et par les pays du nord de l’Europe. Quant aux pays-tiers, les principaux acheteurs devraient être les pays traditionnels de destination du blé français : l’Algérie - en dépit de son ouverture récente à l’origine Mer Noire, le Maroc - malgré un régime moins favorable aux blés français - ou encore l’Afrique subsaharienne. Lors de cette campagne, la Chine, qui a subi d’importants aléas qualitatifs, devrait se présenter aux achats de blés de qualité meunière.

Situations contrastées

Les perspectives de marché divergent cependant nettement entre blé meunier et blé fourrager, relève Alexandre Marie. Compte tenu des problèmes qualitatifs rencontrés dans de nombreux pays exportateurs, les déclassements pourraient être conséquents dans l’UE mais aussi en Russie et Ukraine. Sur cette vaste zone (UE, Russie, Ukraine), le blé fourrager représenterait 41 % du total, une part élevée. « Le disponible en blé meunier risque de se situer sur des tranches basses dans plusieurs pays avec peu de marges de manœuvre », explique l’expert. « L’élastique risque de se tendre rapidement ».

À l’inverse, le marché promet d’être beaucoup plus lourd dans des blés de moindre qualité. « La production est élevée en Europe continentale (240 Mt de disponible en additionnant UE, Russie et Ukraine), cela pèse d’ores et déjà sur les prix et va nécessiter d’importants dégagements en début de campagne », prévoit l’expert. En outre, les disponibilités de maïs sont au plus haut, avec près de 600 Mt chez les quatre premiers exportateurs mondiaux (États-Unis, Argentine, Brésil, Ukraine) et les stocks élevés. « Il est probable que le maïs limite les incorporations de blé dans l’alimentation animale au niveau mondial et modère les prix du blé », poursuit Alexandre Marie. Outre les fragiles disponibilités en blé, d’autres facteurs pourraient venir déstabiliser les équilibres du marché lors de cette campagne. Dans l’hémisphère sud, les aléas climatiques - notamment le déficit hydrique - pourraient impacter l’offre australienne et argentine. Sans compter bien sûr l’incertitude majeure qui pèse sur les possibilités d’exportation de l’Ukraine en Mer Noire et autres risques géopolitiques de ce type.

La Russie en arbitre

En plein conflit russo-ukrainien, l’origine Mer Noire n’aura jamais été aussi stratégique pour l’équilibre du marché mondial. « En dépit de la guerre, le poids de la zone - près de 40 % des échanges mondiaux de blé - a tendance à se renforcer, du fait de prix compétitifs », souligne Alexandre Marie. Avec une récolte très correcte de près de 88 Mt, auquel il faut ajouter un surplus de stock de 10 Mt issu de la récolte record de 2022, la Russie pourrait franchir lors de cette campagne un nouveau palier à l’exportation : 49 Mt contre 48,1 Mt l’an dernier. La part de marché de la Russie approcherait alors, pour la première fois, un quart du commerce mondial. Côté ukrainien, malgré la fermeture du corridor maritime de la Mer Noire, les autres flux d’exportation fonctionnent par les voies terrestre et fluviale et la récolte est attendue par Agritel au niveau très honorable de 20,5 Mt. « Le monde a besoin de la disponibilité russe », résume Alexandre Marie. « Si une contrainte venait à peser sur la Mer Noire, il faudrait rationner la demande mondiale. Il est donc très probable que la domination russe perdure ».