Visite de Marc Fesneau
Des voies d'adaptation au sein d'une exploitation maraîchère

Florence Bouville
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Le 22 août, en première partie de sa visite, le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, a été accueilli par Elsa Durand et Guillaume Morel, installés aux Jardins du Vernay en maraîchage biologique diversifié depuis 2022, à Saint-Maurice-de-Satonnay. Il s’agissait ici d’un exemple de système de production parmi d’autres, qui a néanmoins permis de remettre en lumière des pratiques d’adaptation efficaces. Sous le regard attentif de l’ensemble des représentants politiques.

Des voies d'adaptation au sein d'une exploitation maraîchère
Elsa Durand et Guillaume Morel expliquant l'intérêt du maraîchage sur sol vivant au ministre de l'Agriculture.

Marc Fesneau était présent sur le département, d’une part, pour constater de ses propres yeux les effets du stress hydrique et de la canicule sur les cultures. Et aussi surtout pour interroger les producteurs sur leurs différents leviers d’adaptation mis en place au sein d’une exploitation. Même si on sait « qu’il ne faut pas penser généralisation », introduit le ministre ; chaque système étant unique.

Au sujet de propos tenus récemment, Marc Fesneau a tout de suite annoncé la couleur : « énoncer des faits ne signifie pas être climatosceptique […] Je ne suis pas météorologue, quand il fait 20 degrés, il fait 20 degrés et quand il fait 40, il fait 40, ce sont simplement des faits ». Ce après quoi il n’a cessé de marteler une évidence pour les professionnels, néanmoins parfois oubliée par la société : « il n’y a pas d’agriculture sans eau […] On cherche souvent des cultures boucs émissaires mais chaque plante a besoin d’eau ; la question c’est la sobriété ».

Une diversité au sein des exploitants

Ingénieurs agronomes de formation, Elsa et Guillaume ont rapidement eu l’envie, après une première expérience professionnelle, de monter une micro-ferme maraîchère. Cette dernière est implantée sur un terrain d’un peu plus de 2,7 ha (dont 1,7 ha de prairies), entouré de forêts, avec une bonne pente et un étang à proximité. Les deux maraîchers sont conscients de ne pas être les plus mal lotis. Ce qui ne les empêche pas de redouter les arrière-saisons, de plus en plus imprévisibles et redoutables.

Tous les deux bénéficiaires de la DJA, ils souhaitaient, dès le départ, limiter leurs investissements (serres et irrigation). Dans un contexte où il est de plus en plus difficile d’accéder à la terre, eux se sont directement adressés à des particuliers. En élevage, les problématiques sont encore un cran au-dessus ; s’agissant généralement de centaines d’hectares. Au sujet des qualificatifs "à la mode" concernant de près Elsa et Guillaume, tels que Nima (Non issu du milieu agricole) et Hors cadre familial (HCF), le ministre a un avis assez tranché. Il n’est pas du tout fan de ces terminologies qui doivent à chaque fois être précisées et reprécisées. Cependant, d’un autre côté, cela révèle clairement les nouvelles dynamiques agricoles, sur lesquelles il est important de s’appuyer. Pour Bernard Lacour, président de la chambre d’agriculture, « ces jeunes maraîchers montrent toute la diversité des exploitants agricoles du territoire ».

En considérant 2023 comme leur véritable première saison, la gamme de légumes proposée par les Jardins du Vernay est d’ores et déjà très vaste (environ 40 variétés). Au menu : des légumes de saison produits en plein champ ou sous serre (légumes d’été, légumes de garde, légumes feuilles et aromatiques), cultivés au total sur 1 ha. Avec une présence accrue de pollinisateurs.

S’étant eux-mêmes formés par ce biais, Elsa et Guillaume accueillent tout au long de l’année des woofers* (jusqu’à deux personnes en même temps, pour un mois au maximum).

La "découverte" du MSV

L’ensemble des techniques culturales associées au Maraîchage sur sol vivant (MSV) ont été présentées au ministre, qui visiblement, n’en avait jamais entendu parler. Parmi les représentants politiques l’accompagnant, il n’était a priori pas le seul. Tout en retirant une partie des 40 cm de paillage couvrant une parcelle de pommes de terre, Guillaume a expliqué les bénéfices d’une telle pratique. Les gains en humidité et fertilité sont considérables. Les nombreux turricules de vers de terre étaient d’ailleurs nettement visibles. L’enherbement ne vient pas parasiter la production, il n’arrive qu’en fin de cycle et reste donc gérable. L’oignon est également capable de traverser une telle épaisseur de paillage. Par contre, en contrepartie d’une production sans fertilisation ni irrigation, le rendement obtenu est plus faible. La patate douce, quant à elle, est couverte de bâches noires car « il lui faut du chaud même en hiver », explique Elsa. Point négatif, cette pratique peut favoriser l’arrivée de campagnols et les dégâts causés ne seront alors visibles qu’au moment de la récolte.

Multiplier les variétés

À cause de l’augmentation des coups de chaud, la production de salade devient de plus en plus compliquée. Difficile donc de trouver un itinéraire technique adapté. C’est pour cette raison que les deux maraîchers cultivent de multiples variétés. Notamment celles qui viennent du Sud, comme la cressonnette du Maroc. Démarche similaire pour la courgette.

Même si certains tests culturaux n’aboutissent pas toujours à d’excellents résultats, Guillaume et Elsa ne baissent jamais les bras. Au contraire, la configuration de leur espace productif leur confère de multiples possibilités de plantation et de suivi. Par exemple, pour l’association maïs blette, ils ont voulu utiliser la culture de sorgho en tant que paille. Mais cela n’a pas fonctionné, ils ont été obligés de tout désherber. Ces résultats leur permettent tout de même de nourrir leurs réflexions agronomiques.

Finalement, malgré une petite surface, « tout est justement pensé », s’exclame le député Rémy Rebeyrotte, lui aussi positivement surpris de l’optimisation ainsi que de la diversité de la production.

Utilisation de l’eau

Pour rappel, dans le département, seulement 2.000 à 2.200 ha de cultures sont irrigués. L’irrigation végétale représente ainsi trois millions de mètres cubes par an. En parallèle, l’abreuvement en nécessite neuf millions.

Dans les serres des Jardins du Vernay, l’irrigation se fait par goutte-à-goutte et en cette période, une aspersion est réalisée quotidiennement au pic de chaleur (14 h). De plus, la surface des serres est blanchie afin d’abaisser la température interne. Grâce à ce système, « on réussit à avoir moins chaud sous serre », affirme Guillaume.

Cela ne concernerait sûrement pas l’exploitation de Guillaume et Elsa, mais se pose également la question, en France, de l’augmentation de l’utilisation des EUT (Eaux usées traitées). Pratique aujourd’hui freinée par le cadre réglementaire et idéologique. En effet, à l’échelle nationale, les projets de REUT (Réutilisation des eaux usées traitées) sont encore épars. Tandis que dans d’autres pays, ces eaux servent significativement à irriguer les surfaces agricoles. « Les Espagnols sont beaucoup plus avancés que nous et ils n’ont pas l’air en moins bonne santé », souligne le ministre en souriant. Pour lui, c’est une évidence, voire une urgence, « il faut assumer la prise de risque ». Ce qui est aussi valable pour des domaines autres que l’irrigation.

*woofers : personnes toutes catégories professionnelles confondues, travaillant bénévolement et temporairement dans une ferme en contrepartie du gîte et du couvert.