EXCLU WEB / La Coopération agricole craint des ruptures d’approvisionnement

Christophe Soulard 
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Lors de sa conférence de presse de rentrée le 21 septembre à Paris, le président de La Coopération agricole, Dominique Chargé, a fait part de ses craintes sur la situation économique de ses adhérents. Entre crise énergétique, changement climatique et guerre en Ukraine, les perspectives s’annoncent moroses pour l’année 2023.

EXCLU WEB / La Coopération agricole craint des ruptures d’approvisionnement

L’an dernier, à la même époque, Dominique Chargé, président de La Coopération agricole (LCA), entendait « restaurer la souveraineté alimentaire en France et au sein de l’Union européenne ». Une restauration qui devait passer par le chemin d’une « croissance responsable ». Comme beaucoup d’organisations professionnelles, il a dû changer de perspectives « car des vents contraires se sont empilés », a-t-il concédé. Après la Covid, la crise en Ukraine et ses conséquences, ainsi que la sécheresse et la canicule estivales, il s’est dit inquiet « quant aux capacités des coopératives à produire : nous manquons de matière première disponible qu’elle soit agricole ou industrielle. Nous connaissons aussi des problèmes de recrutement et de compétences et nous nous inquiétons pour l’équilibre économique de nos entreprises », a-t-il déclaré. La dégradation du contexte politique et économique « risque de nous conduire à un arrêt de nos unités de production ». Ainsi un de ses adhérents va-t-il voir sa facture d’énergie passer de 2 millions d’euros (M€) en 2021 à 17 M€ en 2023, « soit trois fois et demie son résultat net de 5 M€ ».

« Mur infranchissable » 

En conséquence, des ruptures d’approvisionnement sont à prévoir dans certains secteurs agroalimentaires comme les légumes ou le lait, des denrées très vite périssables. Des usines de conditionnement de légumes plein champ sont déjà à l’arrêt, avec des mesures de chômage technique ou de chômage partiel. « Certaines ne tournent que trois jours sur cinq », a précisé le président de LCA. De même, le niveau de risque de rupture sur les produits laitiers frais ou transformés n’est pas neutre, avec un risque de baisse de la collecte, du conditionnement et de la transformation. La production laitière a déjà chuté de 4 % depuis le début de l’année. Quant au nombre de références disponibles pour les consommateurs dans leurs magasins favoris, « il pourrait être limité », a prévenu Dominique Chargé qui y voit là « une façon de répondre à la sobriété demandée ». En effet, la multiplication des références augmente d’autant la facture énergétique des chaînes de production, « une consommation d’énergie non productive », a-t-il précisé. D’ailleurs, « le risque énergie est plus grand que celui de la disponibilité de la matière première agricole », a poursuivi Dominique Chargé pour qui « nous sommes face à un mur infranchissable ». Aujourd’hui, les coopératives et les usines de transformation ne sont pas à l’abri d’un délestage ou d’un rationnement d’énergie, que ce soit en gaz ou en électricité. « Il faut donc que le gouvernement inscrive nos entreprises dans les secteurs prioritaires », a-t-il demandé, souhaitant aussi que l’exécutif pousse l’Union européenne (lire encadré) à découpler l’indexation du prix du gaz sur celui de l’électricité, car « c’est dangereux ».

Négociations commerciales 

Sur le dossier des négociations commerciales, LCA pointe un « problème de comportement des acteurs (…). Je ne demande à personne de faire du caritatif (…). Je souhaite des personnes responsables tout au long de la filière », a martelé Dominique Chargé qui vise clairement l’attitude de certaines grandes enseignes. 

Il regrette que les coopératives et les entreprises aient à « supporter le coût de la crise alimentaire », entend que le gouvernement fasse appliquer l’article 7 de la loi ÉGAlim 2 qui prévoit un moratoire sur les pénalités logistiques en cas de situation exceptionnelle et que le prix des matières premières industrielles (MPI), comme les MPA (agricoles), soient prises en compte une fois pour toutes dans la fixation du prix en marche avant. S’il s’est déclaré favorable à un rendez-vous annuel avec les représentants de la grande distribution, Dominique Chargé s’est montré tout aussi enclin à vouloir « faire vivre les négociations au gré des hausses et des baisses ». Afin que les trésoreries des coopératives ne soient pas étranglées comme elles le sont aujourd’hui, il souhaite que les décisions prises en comité de suivi des négociations commerciales s’appliquent rapidement. Alors que cette « temporalité des exécutions » souffre d’un décalage : « entre le moment où on décide de la hausse des prix et le moment où les entreprises sont payées, il peut se passer jusqu’à six mois. Or après six mois, c’est trop tard. Les comptes des entreprises peuvent avoir déjà basculé », a expliqué Dominique Chargé. 

 

 

Aides énergétiques : LCA tance les critères européens

Dominique Chargé est très remonté contre les critères européens d’aide aux entreprises pour compenser la hausse des prix de l’énergie. Tout d’abord, sur les trois milliards d’euros débloqués, seuls 50 millions d’euros auraient été utilisés à ce jour. « Surtout les critères sont inaccessibles ». Pour être éligibles à ces aides, les entreprises doivent être une entreprise grande consommatrice d’énergie, c’est-à-dire avoir des achats de gaz et/ou d’électricité atteignant au moins 3 % de leur chiffre d’affaires 2021. Surtout, elles doivent avoir un « excédent brut d’exploitation (EBE ou EBITDA) négatif. Or c’est impossible, car si l’EBITDA est négatif, cela veut dire que l’entreprise est déjà morte ! », s’est exclamé Dominique Chargé qui demande à changer le ratio ou à prendre comme critère un « EBITDA en recul ». À souligner toutefois que sur le site du ministère de l’Économie et des finances (https://www.economie.gouv.fr/ukraine-aide-entreprises-grandes-consommatrices-gaz-electricite), il est indiqué que « le critère de baisse ou de perte d’excédent brut d’exploitation (EBE) sera apprécié à la maille mensuelle ».