Changement climatique
La zone d’inconfort grandit

Cédric MICHELIN
-

Arrivée à la présidence de JA 71 en 2020, Marine Seckler a voulu créer un groupe de travail sur le changement climatique. Après plusieurs réunions, rencontres avec des experts et surtout beaucoup d’échanges entre JA, « il n’y a pas de solution miracle » mais plein d'adaptations à faire, à partager. C’était tout l’objet de la table ronde lors de leur AG le 15 octobre dernier à Charolles.

La zone d’inconfort grandit

Le président des JA de Bourgogne Franche-Comté, Florent Point, éleveur dans la Nièvre, a connu les trois années de sécheresses successives, 2018, 2019 et 2020 avec son lot de problèmes sur les fourrages. « Nous avons donc créé un outil, une plateforme d’échange de matières premières : fourrage, paille, fumiers… basé sur le principe du Bon Coin en poussant la réflexion jusqu’aux contrats-types et avec la calculette Arvalis pour déterminer des prix équitables », rappelait-il. Un projet qui a ouvert la voie à d’autres encore plus innovants. « En BFC, on essaye de construire un outil pour les porteurs de projet pour que dans leurs chiffrages, ils puissent intégrer les effets du changement climatique à l’horizon 5-10 ans » et ainsi anticiper « des choix stratégiques ou au moins les sensibilisés » à réfléchir sur leur avenir.

Ce qu’invite à faire Marine Seckler car « les aléas climatiques mettent à mal les exploitations agricoles ». Ce n’est pas elle qui le dit mais le résultat des 330 réponses aux questionnaires, envoyés dans le cadre de JA’Climate en région, qui va aboutir à la réalisation de 7 rapports départementaux coordonnés par Camille Lauquin. La déléguée régionale JA BFC animait justement la table ronde sur le « réchauffement climatique ». Elle posait les bases du débat sous l’angle « des opportunités pour s’adapter en Saône-et-Loire ? ». Car tout n’est pas fichu. Et les intervenants étaient là pour apporter des solutions concrètes à plusieurs niveaux. « Sécheresses, grêles, inondations… les agriculteurs n’ont jamais attendu pour s’adapter. Notre groupe de travail par filières va faire émerger des solutions à partager dans les exploitations », était la première à confirmer Marine Seckler.

Intensité des aléas en hausse

Technicien au Vinipôle et expert climatique à la chambre d’Agriculture de Saône-et-Loire, Thomas Canonier présentait les effets du changement climatique qui « s’accélère depuis les années 1970, on le voit aussi dans nos résultats de moûts avec moins d’acidité et plus de sucre dedans ». Climat ne veut pas dire météo et le millésime 2021 ne doit pas servir à nier la tendance à long terme, redisait-il. Surtout, il constate – comme tous – « une augmentation de l’intensité et de la fréquence des aléas », à commencer par les gels printaniers comme celui d’avril 2021. Ou encore « de l’échaudage, des grillures sur les vignes alors que c’était rare avant. Les sols secs, sans humidité, réchauffent plus vite ». Attention toutefois à ne pas tout voir en noir, la hausse des températures a aussi « modifié la typicité des vins plus charpentés… », et recourir moins à la chaptalisation par exemple. « On risque d’arriver sur le « trop chargé » comme des Côtes-Du-Rhône, mettait-il en garde. Ce qui pose comme question de l’adaptation du matériel végétal, avant d’introduire de nouveaux cépages du Sud, peut-être faut-il regarder dans les conservatoires locaux pour des cépages locaux ou porte-greffes déjà adaptés. Reste que la marche est haute en viticulture car la vigne est une culture pérenne. En blé ou maïs, la sélection est plus "rapide" à arriver dans les champs mais néanmoins, « les rendements plafonnent avec de fortes variabilités interannuelles, surtout dans les sols superficiels », faisait-il le constat, et ce depuis les années 2000.

Optimiser son système en premier


Responsable de la Ferme de Jalogny, Julien Renon ne disait pas le contraire « sur les terres arables limitées et les prairies temporaires à l’image des élevages en Saône-et-Loire ». Pas le choix donc, « il faut optimiser le système dans un premier temps ». Jalogny cherche à finir « toutes les femelles à base d’herbe » sans avoir recours au moindre complément. Prochaine étape, faire de même « avec un stock d’un mois de sécurité, et pour toutes les catégories de bovins ». C’est pourquoi, il teste des « espèces pures ou en mélanges, du sorgho (mono-coupe ou multi-coupe), moha, trèfle, pois, vesce… » en cherchant à déterminer précisément les valeurs alimentaires. Il cherche aussi à faire des économies en « redopant » ses prairies permanentes, sans labourer, ni amender si possible. Cet automne, des sursemis ont été réalisés sur des prairies abimées, en implantant des graminées et des légumineuses. D’autres pistes sont à l’étude avec évidemment « l’amélioration » génétique ou encore la conduite des animaux avec « deux périodes de vêlage – automne et printemps - pour regarder les complémentarités » dans un même élevage, notamment pour les broutards destinés à l’Italie.

Une zone de confort ?


Sur son exploitation de bord de Loire à Chambilly, Jérôme Beauchamp est lui aussi « passionné par la technique qui le pousse à avancer » en retour. Cet éleveur naisseur-engraisseur (140 vaches ; 160 brebis ; 220 ha) a justement mis en place depuis 2010 deux périodes de vêlage pour ses charolaises. « J’ai travaillé la diversité de mes assolements depuis trois ans. Il faut du temps pour tout mettre en place ». Il détaillait son système par le menu, motivant ainsi les plus jeunes à se lancer.
Car comme le résumait Thomas Canonier, le changement climatique en Saône-et-Loire va se traduire par « un élargissement et un glissement vers une zone d’inconfort » : froid, chaud, sec, excès d’eau… sachant que la « zone de confort » n’a jamais existé en réalité et qu’il faut, comme toujours, « adapter son exploitation à l’horizon 10-20 ans ». Ce sera d’autant plus vrai dans les prochaines décennies.
Le Conseil régional de Bourgogne Franche-Comté qui a la compétence Agricole, l’a bien compris. Maire de Charbonnat, éleveur et nouvellement élu au conseil régional, Fabrice Voillot listait les aides, projets ou incitations à « évoluer, à adapter nos pratiques ». Et cette adaptation ne s’arrête pas à la seule partie production mais va bien au-delà, « jusqu’à la promotion des produits et des métiers, des plans alimentaires territoriaux ou encore des Audit 360 » comme les audits d’exploitation pour faire des économies de « carbone » et être rémunéré pour. Bref, la recherche de valeur est sans doute la clé à tout changement, même climatique.

Une année syndicale 2020 sur la brèche

Vice-président JA71, Julien Quelin présentait la partie syndicale. « 2020 avec le Covid a été une grosse remise en question pour nous pour savoir comment dynamiser notre réseau, promouvoir le métier et les installations », rappelait-il. Rien d’insurmontable pour JA71 qui a réussi à organiser des marches gourmandes qui ont été un succès comme les traditionnelles foires, buvettes ou fêtes locales dans les cantons…. De quoi compenser quelque peu l’annulation de la Fête régionale de l’agriculture qui a attendu 2021 pour tenir ses premières Terres de Jade à Bourbon-Lancy. Là encore, une réussite.
2020 aura vu l’élection d’un nouveau conseil d’administration avec 23 administrateurs et 17 présidents de cantons représentant l’ensemble des productions et des territoires. Si leur projet de mandature 2020-2022 est déjà presque fini, alors que la mise en place a été contrariée par le Covid, il est ressorti de leur dernier séminaire que JA71 doit « être plus présent dans la filière et dans le commerce et la restauration hors foyers ». Ce qui ne les détournera pas de leur volonté de « sécuriser le foncier », notamment à travers le prochain schéma des structures. Le réseau départemental et local peut compter pour cela sur les échanges de bonnes pratiques et d’idées avec les autres départements, notamment autour du travail sur la communication. À l’image par exemple, de la création d’un « serious Game » (jeu sérieux, en anglais) pour les jeunes et futurs installés (PEI), comme l’annonçait Aurore Paillard, de JA BFC.
Julien Quelin rappelait la création d’un groupe de travail sur la gestion des risques ou encore la collaboration avec les chasseurs et associations œuvrant pour la faune sauvage. « Travaillons ensemble plutôt que de se battre sur un même territoire », insistait-il.
Marine Seckler en profitait pour rebondir sur le dossier des générateurs anti-grêle qui en 2020 avait inquiété sur le secteur de Matour. Une étude a été engagée qui a permis de lever les inquiétudes, « les générateurs ne sont pas source de sécheresse ». 2021 en serait la "preuve" alors que les générateurs ont fonctionné. « Cette histoire a permis de mener de grosses réflexions sur le changement climatique et on va en tirer du positif », préférait voir la présidente des JA71. Espérons également que les rencontres avec le conseiller agricole du Président de la république à Autun, avec le Ministre de l’Agriculture au Creusot, ou avec les sénateurs et députés,… pour leur parler des zones intermédiaires, des zones vulnérables, des orientations Pac, de l’engraissement… porteront leurs fruits. C’est déjà le cas avec de « belles victoires syndicales », comme le déclassement de 215 communes qui n’auront pas les contraintes des zones vulnérables ou encore l’obtention d’un taux de 40 % de calamités suite à la sécheresse 2020.
Car sinon, même s’il aime plus que tout la convivialité et excelle dans ce domaine comme il l’a prouvé aux Terres de Jade, le secrétaire général JA71, Thibaut Renaud reprendra son rôle d’organisateur de manifestations comme en 2020 autour des EGAlim, contre le loup… « et être force de propositions même si nos manifestations ne sont pas toujours à la hauteur » de ses espérances, mais il faut dire qu’il est « fort motivé ». Il a d’ailleurs pris à bras-le-corps le dossier loup et « on doit tous être présents car les ovins et les bovins peuvent tous être victimes ». La présidente des JA71, Marine Seckler soulignait que « notre département a toujours obtenu des tirs de prélèvement » jusqu’à présent. Même si cela n’a pas de lien direct, la profession avait également obtenu en 2020 des dérogations pour chasser pendant le confinement et la fermeture « d’une plateforme de dénonciation ». Mais surtout pour elle, comme pour tous les agriculteurs, 2020 aura marqué le retour en grâce de l’intérêt de la souveraineté alimentaire en France et la nécessité d’avoir des agriculteurs vivant de leurs productions. Et cela avait commencé par obtenir que les « fermes et points de ventes restent ouverts et puissent travailler dans de bonnes conditions » pendant toute la crise Covid. Et cela n’était pas gagné d’avance, tant parfois, l’agriculture ne semble pas être considérée comme "essentielle" dans ce pays…