Sanitaire
Bovins: les mauvaises surprises de la MHE

Cédric Michelin
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Longtemps, la maladie hémorragique épizootique (MHE) était vue comme une affection exotique, éloignée des frontières européennes et à l’impact sanitaire limité. Moins d’un an après son arrivée sur le Vieux continent, elle a conquis cinq pays et surprend par des effets sur les bovins plus graves qu’attendu. Le manque de recul sur cette maladie complique l’adaptation de la réglementation, celle du dispositif de lutte, ou encore l’accompagnement économique attendu par les éleveurs.

Bovins: les mauvaises surprises de la MHE

Depuis son arrivée en France, la maladie hémorragique épizootique (MHE) a connu une progression éclair. Face à cette nouvelle pathologie, venue du sud sous l’effet du réchauffement climatique, les éleveurs de bovins (l’espèce concernée au premier chef) ont plongé dans l’incertitude. Proche de la fièvre catarrhale ovine (FCO) par son mode de transmission et ses symptômes, la MHE présente en théorie un impact sanitaire relativement limité en termes de mortalité, même si les données sont encore évolutives. Mais son impact économique, via les restrictions aux mouvements des animaux, peut être important.

Sanitaire : des impacts plus graves qu’attendu

Comme la FCO, le virus vient du sud. Après les premiers cas français dans les Pyrénées-Atlantiques et les Hautes-Pyrénées, la MHE s’est rapidement disséminée dans le sud-ouest de l’Hexagone. Cette extension était prévisible, selon Stéphan Zientara, directeur du laboratoire de santé animale de l’Anses.

Et rien ne devrait l'arrêter. Causée par un virus véhiculé par des moucherons, « la maladie va s’étendre à tout le territoire à terme », estime le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau le 17 octobre. Selon M. Zientara, « plus il fait chaud, plus il y a de risque que l’infection s’étende ». La chaleur de l’automne 2023 offre « un climat idéal pour la propagation du vecteur », les moucherons du genre Culicoides, note de son côté David Ngwa Mbot, vétérinaire conseil à GDS France. Il s’agit de la même famille d’insectes qui véhicule la FCO, présente en France depuis 2006.

A part le froid, l'insecte n'a pas de réelle barrière. Aidés par le vent, ces moucherons peuvent parcourir jusqu’à 2 km par jour. Des mouvements responsables d’une « contamination de proche en proche entre élevages, en tache d’huile », observe M. Ngwa Mbot. « La MHE est une maladie transmissible, mais pas contagieuse. Un animal malade ne peut pas en infecter un autre directement, rappelle Stéphan Zientara. Seuls les moucherons Culicoides peuvent transmettre la maladie, en piquant un animal sain après avoir piqué auparavant un bovin malade ». Autre mode de dissémination possible : les transports d’animaux vivants. En revanche, la MHE ne peut pas être transmise à l’homme.

Au-delà de l’insecte vecteur, FCO et MHE se ressemblent beaucoup et partagent les mêmes symptômes : fièvre, anorexie, boiteries, ulcération des muqueuses, etc. Et en théorie, comme la FCO, « la MHE provoque très peu de mortalité sur les bovins, dans moins de 1 % des cas », note le cadre de l’Anses. Toutefois, sur le terrain, GDS France appelle à la prudence : « Les conséquences dans les premiers élevages ont pu être lourdes », estime son vétérinaire conseil, avec une morbidité autour de 15 % (part d’animaux malades dans l’ensemble du troupeau), voire jusqu’à 30 %.

Selon les premiers retours en provenance d’Espagne – où la maladie est présente depuis un an –, l’impact se révèle « assez variable d’un élevage à l’autre », selon M. Ngwa Mbot, en fonction des systèmes de production, de la configuration des élevages, etc. « Les animaux atteints peuvent être gênés pour s’alimenter, voire pour s’abreuver. On peut observer des pertes significatives dans des systèmes intensifs où les animaux ont besoin de beaucoup d’énergie. Mais ça peut aussi être le cas dans des systèmes extensifs où l’accès à l’abreuvement est difficile ». Quant aux effets à plus long terme, ils sont encore « en cours d’évaluation », selon le vétérinaire du réseau GDS. « La recherche publique et les laboratoires travaillent sur un vaccin », indique le responsable de l’Anses, espérant avoir ce moyen de lutte à moyen terme.

Comme l’explique David Ngwa Mbot, « quand l’arme de choix du vaccin n’est pas disponible, les mesures de prévention et de restriction des mouvements – avec les dépistages associés – restent les plus pertinentes pour ralentir la diffusion d’une maladie vectorielle ». C’est la stratégie adoptée par la France, via un arrêté du 23 septembre, complété par un deuxième texte du 29 septembre. Les ruminants ne peuvent plus sortir des zones réglementées pour la MHE (150 km autour des foyers), à moins de subir une désinsectisation et de présenter un test PCR négatif. Des dérogations existent également pour le retour d’estive, l’abattage ou encore l’export.

La (dé)classification en question

La stratégie française s’inscrit dans le cadre européen de la loi de santé animale, qui classe les maladies en cinq catégories. La MHE est inscrite en catégorie D + E, ce qui implique des mesures de restrictions aux échanges « en vue d’en empêcher la propagation ». Ainsi, les États membres ne peuvent pas exporter d’animaux vivants issus des zones réglementées chez leurs voisins de l’UE.

Pour prendre cette décision de classement, la Commission européenne s’est basée sur un avis de l’Efsa de 2009, rappelle David Ngwa Mbot. « À l’époque, on connaissait très mal la maladie, qui n’était pas encore présente dans l’UE, et on a considéré ses impacts comme faibles », raconte le vétérinaire. Bloquer les exportations pour une maladie qui semblait peu dangereuse pouvait sembler disproportionné sur le plan économique. En particulier pour les bovins français, dont plus d’un million sont exportés chaque année. D’où la demande des professionnels d’une « déclassification de la maladie au plan européen, avec une approche révisée de gestion des maladies vectorielles », comme le rappelle Patrick Bénézit, le président de la FNB (éleveurs de bovins viande, FNSEA), le 12 octobre.

Une demande a déjà été déposée par les États membres fin 2022 afin de modifier la classification de la MHE. « C’est une procédure longue et lourde, qui peut durer autour de deux ans », explique M. Ngwa Mbot. D’abord parce que « la Commission devra demander une nouvelle évaluation de l’Efsa, qui prendra du temps ». Ensuite parce que, du point de vue politique, il faudra « trouver un juste équilibre » entre les États membres. Ceux qui sont déjà touchés par la maladie (Espagne, Portugal, Italie, France) poussent pour une libéralisation. Mais ceux qui sont encore indemnes ne sont pas enthousiastes à l’idée d’ouvrir les vannes et d’importer la maladie sur leur territoire.

Enfin, la situation a changé depuis le dépôt de la demande de déclassification : la maladie fait plus de dégâts que prévu. « GDS France était initialement favorable à la déclassification de la MHE. Aujourd’hui, on prône la prudence et on suspend notre jugement, affirme David Ngwa Mbot. Pour nous, il est nécessaire de voir comment la maladie évolue avant de se positionner ». Par ailleurs, « une modification de la loi de Santé animale est en cours », relève Pierre-Alexandre Heckly, afin de « permettre à un État Membre de déclarer des conditions auxquelles il accepte des animaux provenant d’une zone réglementée (potentiellement atteinte) en MHE ».