Systèmes laitiers
Des pistes pour s’adapter en systèmes laitiers

Marc Labille
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En système laitier, le changement climatique remet en cause la suprématie du maïs fourrage et la dépendance aux complémentaires azotés. Des pistes existent pour être moins vulnérables aux sécheresses et plus autonomes en protéines. 

Des pistes pour s’adapter en systèmes laitiers
Face au changement climatique, il peut être intéressant de diversifier les rations en introduisant par exemple une part de méteil protéique ou bien du sorgho ou encore des graines de protéagineux…

Le 23 février dernier, une journée technique laitière régionale était organisée à Fontaines. Sous l’égide de la chambre régionale d’agriculture et ses partenaires, ces journées se proposaient d’explorer de nouvelles pistes pour s’adapter au réchauffement climatique. Ce fut l’occasion de présenter les résultats d’essais conduits dans le cadre du Pôle de Compétences Laitier de Bourgogne-Franche-Comté qui unit la chambre régionale et les lycées agricoles de la Région. En Saône-et-Loire, c’est sur la ferme du lycée de Fontaines que sont conduits les essais sous la houlette de Denis Chapuis, responsable des expérimentations.

Des méteils protéiques à la place du maïs ?

Avec ses sécheresses récurrentes et ses excès de chaleur, le changement climatique commence à remettre en question la place du maïs fourrage dans les systèmes laitiers. Dans le même temps, la flambée du prix des tourteaux, dont les élevages laitiers sont gourmands, incite à améliorer l’autonomie protéique. Remplacer le maïs ensilage par de l’ensilage de méteils protéiques est une piste pour répondre à ces deux tendances. C’est ce qui a été testé à Fontaines en 2020 et 2021. Les résultats montrent qu’une telle substitution est possible, mais sous certaines conditions : mélange très riche en légumineuses, stade de récolte optimal, complémentation énergétique adéquate. Moyennant des rations bien corrigées en céréales, la production laitière n’est pas affectée. En revanche, le régime à l’ensilage de méteils protéique semble pouvoir impacter négativement le taux butyreux. Si le coût de ration était sensiblement identique la première année, l’écart était plus important la deuxième année au point d’obtenir une marge alimentaire un peu moins bonne, faisait état Denis Chapuis. Dans le cas d’une substitution totale sur la ferme de Fontaines, il faudrait porter la surface de 75 à 104 hectares pour faire face au besoin supplémentaire de cultures – céréales notamment, pointe l’expert. Ce serait trois fois plus de surfaces à cultiver et récolter. Des coûts et du temps de travail qu’il faut bien chiffrer, poursuit-il. « Dans les zones à bon potentiel pour le maïs, comme en Bresse, passer à 100 % méteil n’est pas conseillé », conclut Denis Chapuis. Par contre, il peut être intéressant d’introduire un peu de méteil protéique dans la ration en diminuant le maïs, « mais sans aller trop loin », insiste l’expert qui ajoute qu’une telle ration mixte permet de profiter des atouts des deux fourrages.

Le sorgho quand l’eau manque…

Quand le manque d’eau compromet la réussite du maïs, le sorgho offre une alternative intéressante. La chambre d’agriculture de Saône-et-Loire et le lycée de la Barotte dans le Châtillonnais (21) ont testé l’ensilage de sorgho à la place de l’ensilage de maïs dans la ration de vaches laitières. « Plante tropicale, le sorgho fourrager a une meilleure résistance à la sécheresse que le maïs. Sa valeur alimentaire est comparable. Les charges de sa culture sont inférieures. Et il est moins sensible aux dégâts de sangliers », fait valoir Denis Chapuis. Mais l’itinéraire technique du sorgho est plus complexe que celui du maïs. Le sorgho a besoin de sommes de températures élevées. Son semis n’intervient pas avant le 15 mai avec des variétés précoces pour la région. Il faut aussi signaler les difficultés de son désherbage et sa sensibilité à la verse, complète l’expert. Les deux années d’essais réalisées à la ferme du lycée de la Barotte, ont prouvé que « substituer le maïs ensilage par de l’ensilage de sorgho était techniquement et économiquement réalisable ». Aucun écart significatif n’a été constaté sur la production de lait. Mais l’avantage économique du sorgho est à nuancer, prévient Denis Chapuis. Tout dépend de l’année climatique et du niveau de rendement du maïs. « Le sorgho est à privilégier sur les parcelles séchantes, là où le potentiel du maïs est limité, derrière un méteil par exemple. Une ration mixte mélangeant maïs et sorgho est certainement un bon compromis. Avec des étés plus chauds et plus secs, le sorgho est une solution pour sécuriser le stock fourrager », conclut le technicien.

Des graines de protéagineux pour économiser le tourteau

Si les exploitations laitières sont quasi autonomes en termes de fourrages et d’énergie, ce n’est pas le cas de la matière azoté, d’où des achats importants et coûteux de concentrés parfois importés. Pour économiser sur cette correction azotée, il est possible d’incorporer dans la ration des graines protéagineuses produites sur l’exploitation. Féveroles, pois, lupin, soja sont des graines riches en matière azotée (20 à 35 %) qui peuvent se substituer aux tourteaux du commerce. Mais leur culture est délicate. La féverole, par exemple, n’est pas évidente à produire et pour le lupin, il faut compter avec des rendements compris entre 0 et 20 quintaux par hectare… Les graines d’oléoprotéagineux ont aussi l’inconvénient de receler des facteurs antinutritionnels (FAN), explique Denis Chapuis. Ces composés naturels sont dangereux pour les animaux monogastriques (porcs, volailles…). Les bovins s’en accommodent, mais une destruction de ces FAN est possible par une étape de toastage. Cela consiste en un chauffage des graines dans un flux d’air brûlant qui les porte à 110°C. Ce procédé thermique provoque aussi un tannage des protéines, ce qui améliore leur digestibilité, explique l’expert. En outre, le toastage a aussi comme avantage de sécher ces graines, améliorant leur conservation.

Graines de soja toastées

Des essais avec des graines de soja toastées ont été réalisés dans trois fermes expérimentales (La Barotte, Rethel (08), Fontaines). À Fontaines, le soja toasté a même complètement remplacé le tourteau de colza. Ces essais ont démontré qu’il était possible de produire du lait ainsi. Par contre, l’incorporation de graines de soja toastées fait baisser les taux (butyreux et protéique). Une perte qu’il faut pouvoir compenser. Tout dépend de l’écart entre le prix de la graine et celui du tourteau. Le coût du toastage s’élève à environ 55 €/tonne avec une consommation de 15 à 25 litres de fuel par tonne et un débit de chantier de 2 tonnes par heure, indique Denis Chapuis. Il faut aussi tenir compte du rendement aléatoire de la culture de soja. Mais les graines de soja auto produites sont aussi une réponse à des exigences environnementales (culture demandant peu d’intrants) ou de cahier des charges alimentaire (non OGM), complète Denis Chapuis.

Mélanges de ray-grass italien et de trèfles, des valeurs sûres

Pour compléter ce tour d’horizon des leviers d’adaptation au changement climatique, Denis Chapuis a évoqué les essais méteils protéiques et ray-grass/trèfle conduits depuis 8 ans à Baudrières. Il s’agit de cultures fourragères implantées en dérobées entre une céréale à paille et un maïs. Ce sont des solutions « pour sécuriser le système et diversifier la ressource », présentait le technicien. « Les mélanges de ray-grass italien et de trèfles demeurent des valeurs sûres. Avec des espèces bien choisies, ils sont capables de fournir des fourrages de très bonnes valeurs azotées. Il ne faut pas avoir peur de mettre de fortes proportions de légumineuses. Les mélanges trèfles/vesce/ray-grass donnent des rendements très corrects. C’est une piste à creuser », complétait Denis Chapuis qui rappelait que 2 % de matière azotée supplémentaire pour 7 tonnes de matière sèche correspondait à environ 400 Kg de tourteau pour un hectare.

En comparaison d’un mélange ray-grass/trèfles, les méteils testés à Baudrières révèlent des richesses assez variables pour un coût élevé. Il faut adapter la composition du mélange pois/vesce/céréales à ce que l’on recherche, recommande Denis Chapuis.

À l’essai durant dix ans sur la ferme de Fontaines, les dérobées d’été ne se sont pas révélées très fiables. Culture très aléatoire et dépendante des conditions d’implantation après céréales, six récoltes seulement ont été effectuées, rapportait Denis Chapuis qui estimait qu’on ne pouvait pas compter sur cette culture, trop opportuniste, pour faire du stock.