EXCLU WEB / Le sucre, révélateur de l’impuissance agricole

Cédric Michelin
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Contrairement au Brésil où le sucre est une production stratégique, la France et l’Europe n’en font pas une priorité et laissent à d’autres, par les multiples contraintes qu’elles imposent aux planteurs, le soin d’approvisionner leur marché.

EXCLU WEB / Le sucre, révélateur de l’impuissance agricole

A l’occasion de la publication de l’ouvrage, « Géopolitique du sucre, La filière française face à ses futurs » (1), l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) a organisé une conférence débat, le 15 novembre, sur le sujet, animée par Sébastien Abis, directeur du Club Demeter et coauteur de l’ouvrage. Il avait convié Caroline Rayol, ancienne conseillère politique et affaires étrangères à la présidence du Brésil, Anne Sander, députée européenne, ainsi que Thierry Pouch, l’autre auteur de l’ouvrage.

Cultivée au Brésil, depuis le début de la colonisation portugaise, au XVIème siècle, la canne à sucre est devenue au fil du temps un produit incontournable dans ce pays. Certes elle ne couvre que 0,5 % de la SAU, mais son sucre représente 21 % de la production de la planète et fait du Brésil le leader incontesté, y compris dans les échanges internationaux, puisqu’il contrôle 42 % des exportations mondiales. La canne à sucre joue également un rôle stratégique dans l’approvisionnement énergétique. Grâce à la bagasse pour la production d’électricité, les sucreries fonctionnent en totale autonomie énergétique. La production d’éthanol incorporée à l’essence permet de remplacer les énergies fossiles. Dès 1973, lors de la première crise pétrolière, le pays a été l’un des tous premiers à déployer un programme alcool et à lancer les voitures flexfuel fonctionnant au mélange essence/éthanol. Aujourd’hui, le sucre avec ses co-produits (la bagasse également dédiée, l’éthanol et la vinasse pour la production de biogaz et de fertilisants) est considéré comme le produit de référence pour réduire de 50 % les émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030. Dans ce pays, quelle que soit la couleur politique du gouvernement, le sucre est considéré comme un produit stratégique et bénéficie d’une priorité absolue. « C’est ancré dans la société quelles que soient les péripéties politiques, beaucoup d’investissements sont réalisés dans la culture et la recherche. Les gouvernements déploient également beaucoup de diplomatie pour ouvrir de nouveaux marchés », déclare Caroline Rayol.

Le couteau suisse 

Rien de tout cela chez les Vingt-Sept. « Il manque une vision globale, une vision stratégique », déplore Anne Sander. Depuis la fin des quotas betteraviers en 2017, l’Union européenne n’a cessé d’ouvrir ses marchés, notamment à l’Ukraine qui fournit désormais 400 000 tonnes de sucre, contre 20 000 tonnes avant le conflit avec la Russie. Qui plus est dans le cadre du Green Deal, l’Union européenne multiplie les entraves à la production et s’impose des standards que ne respectent pas les pays concurrents comme l’interdiction des néonicotinoïdes. En outre, contrairement au Brésil, le sucre est dans le collimateur des autorités européennes. Bruxelles n’a jamais voulu développer les biocarburants parce qu’ils entreraient en concurrence avec les productions alimentaires. Sans oublier qu’il est considéré comme nocif pour la santé et qu’il convient donc de ne pas encourager sa production.

Il n’en reste pas moins, comme l’a rappelé Sébastien Abis, que la demande de sucre au niveau mondial va progresser, de l’ordre de trois millions de tonnes tous les ans, et que la France et l’Union européenne ne seront pas au rendez-vous de cette expansion du marché. 

Le sucre participe pourtant au dynamisme économique et à la création d’emplois dans les zones où la betterave est cultivée et est encore le quatrième poste d’excédent commercial après le vin et les spiritueux, les céréales et les produits laitiers. La filière produit non seulement du sucre, mais aussi de l’alcool, des biocarburants, rappelait Thierry Pouch. Son co-produit, la pulpe, nourrit le bétail. Sans oublier que la plante stocke le CO2 et qu’elle constitue une matière première de choix pour la chimie, la pharmacie, les cosmétiques. Bref le sucre est « le couteau suisse de l’agriculture », précisait l’auteur. Mais aujourd’hui il ne serait que le révélateur de l’impuissance agricole de l’Europe alors qu’elle devrait « s’interroger sur ce qu’elle veut faire de son agriculture au moment où la guerre en Ukraine bouleverse le paysage agricole mondial ». 

 

Géopolitique du sucre, La filière face à ses futurs par Sébastien Abis, Thierry Pouch, Iris Editions, 154 pages, 14 €