Plans alimentaires territoriaux
« Loin d’être négligeable mais loin des objectifs »

Cédric Michelin
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Les Plans alimentaires territoriaux sont, pour le préfet, un moyen de « fédérer les acteurs locaux de l’alimentation ». C’est pourquoi, Yves Séguy avait convié les six que compte la Saône-et-Loire à venir témoigner de leurs difficultés, le 13 mars dernier à Mâcon. Parfois précurseurs sans réussite immédiate, parfois à peine lancé, les PAT des Communautés de communes et du Département sont installés pour durer et structurer le paysage agricole de Saône-et-Loire. Explications.

« Loin d’être négligeable mais loin des objectifs »

À nouveau réunis en Préfecture dans le cadre du suivi de la crise agricole, la profession agricole retrouvait les services de l’État (DDT, DDPP, DDETS, DDFip…), les services préfectoraux de Mâcon et des sous-préfectures, mais aussi pour parler des PAT, ces nouveaux interlocuteurs que sont les Communautés de communes. Pour compléter ce tour de table, le Département, quelques maires, deux établissements agricoles (Fontaines et Davayé) ou encore des acteurs des filières tels que la coopérative Feder, la cantine de l’Hôpital de Mâcon ou encore le restaurant administratif de Mâcon. Malgré tout ce monde, il manquait encore des acteurs puisqu’en réalité, les restaurants collectifs peuvent être gérés soit par des EPCI, soit par le Département (collèges), soit par la Région (lycées), soit par des associations (Centres de loisirs), soit par l’État (prisons…).

À l’image donc de ces PAT, le public est large et, bien que se connaissant bien, apprend à travailler ensemble bien souvent. Ce qui n’est pas évident. Les PAT sont nés en 2014 de la loi d’avenir pour l’agriculture (LOA) d’alors. Deux niveaux existent : le premier pour les projets dits en « émergence » et le niveau 2 pour les PAT qui sont « reconnus opérationnels », introduisait le DDT. Son directeur, Jean-Pierre Goron recense à ce jour six structures portant des PAT en Saône-et-Loire. Et ce sont ces dernières qui ont ensuite pris la parole pour répondre à la question du jour : « quelles sont les difficultés que vous avez ou rencontrez, notamment en amont ? », côté approvisionnement donc, pour chercher des solutions à la crise agricole toujours.

Responsable de l’économie agricole à la DDT, Laurent Charasse rappelait l’objectif des PAT : « arriver à structurer, à travers une demande massive, organisé l’approvisionnement des restaurants collectifs, pour maintenir une agriculture locale et permettre les installations » d’agriculteurs. Si toutes les organisations syndicales se disaient largement favorables, la réalisation concrète fut laborieuse par la suite. À commencer pour atteindre l’objectif de 50 % de produits durables (ou locaux), dont 20 % en Bio. Les derniers chiffres du Ministère font état de 28 % et 13 %, respectivement, au niveau national. La DDT n’a pas les données pour la Saône-et-Loire, ni la Draaf en région… « C’est loin de l’objectif, mais loin d’être négligeable, c’est encourageant », positivait-on à la DDT. Sauf en Siqo (Bio, AOP, labels), avec seulement 3 % des approvisionnements, la Saône-et-Loire « n’est pas bonne élève », jugeait Nathalie Delara, du pôle filière à la DDT. Mais comme le rappelait aussi la Répression des fraudes (DGGCRF), les marchés publics marchent par appel d’offres, avec cahier des charges et contrôles des produits. L’administration a bien tenté de les « simplifier » pour privilégier les produits locaux, les retours des Com’com semblent conclure le contraire.

Lever les obstacles

Au-delà, quels sont les « obstacles » à lever outre ce « mille-feuille administratifs ». Plusieurs réponses se croisent pour citer « l’équilibre carcasse ou produit » côté producteur, les frais logistiques, la masse ou régularité des commandes pour produire en face… et évidemment la « valorisation » retournant à l’agriculteur, parfois faible au regard de toutes les étapes. Les différentes Com’com et agriculteurs responsables des PAT faisaient la (longue) liste (lire encadrés).

Finalement, ce sont les témoignages des restaurants collectifs qui résumaient le mieux, les blocages en aval. Le directeur du lycée de Fontaines, Pierre Botheron témoignait « à la fois en tant que producteurs et utilisateurs ». Et il constate des difficultés des deux côtés. Côté producteur, « sa » ferme du lycée rencontre des difficultés « à satisfaire les demandes des restaurants collectifs, côté prix ou logistique », alors même qu’il fait pourtant partie du groupe de travail du PAT Chalonnais. En tant qu’acheteur ensuite pour la « cantine » du lycée, servant 1.000 repas par jour, s’il arrive à rentrer des produits avec des prix « acceptables », il avoue que les circuits courts sont « difficiles » à gérer individuellement, comparativement à une cuisine centrale ou un prestataire extérieur. À vocation pédagogique et de symbole, le lycée fait les efforts nécessaires, mais les « prix des pensions et repas sont encadrés par le conseil Régional qui les a bloqués depuis 2015 et n’a consenti qu’une hausse de +5 % l’an dernier », choisissait-il son camp, sans ignorer toutefois le fait que « certaines familles ne sont pas d’accord pour payer plus cher ». Et il sait en tant que vendeur que « faire 100 km pour livrer des yaourts en camionnette n’est ni économique, ni écologique » pour personne. Diminuer le « gaspillage » au milieu ne fait pas tout. Il invitait donc les producteurs à se regrouper, voyant dans les divers PAT, une nouvelle forme de « dispersion ».

Combler les trous dans la raquette

Le Conseil département en est conscient et a voté en septembre 2023 son PAT qui vient juste « d’émerger » en mars 2024. Responsable de la mission agricole au Conseil départemental, Sylvie D’Asgnanno redisait la volonté des conseillers – à commencer par le président André Accary et son chargé de l’Agriculture, Frédéric Brochot – de « ne pas faire ce que font les autres PAT, mais plus de combler les trous dans la raquette », comme la logistique. Évidemment, le premier axe reste d’approvisionner « en produits locaux » les 51 collèges gérés par le Département en mettant en avant la plateforme de commandes Agrilocal. Limité par la loi NOTre dans ses compétences, le Département agit ainsi pour « le renouvellement des générations d’agriculteurs ; facilité l’accès au bien manger en solidarité à certaines populations ; et pour rendre résiliente l’agriculture face au changement climatique ». Un plan d’action est en train d’être finalisé, mais d’ores et déjà le Département propose des formations aux cuisiniers pour qu’ils se réapproprient notamment les produits locaux. À l’écouter, il faudrait cependant aussi former « les gestionnaires des collèges » qui tiennent les cordons de la bourse et dépendent, eux, de l’Éducation Nationale.

Que 10 % des repas d’une famille

Bien qu’important en termes d’éducation, et sans remettre en cause les PAT, le maire de Louhans-Châteaurenaud en montrait les limites. « Pour un couple avec un enfant, cela ne représente que 4 repas dans la semaine, voire un de plus au centre de loisirs, donc à peine 10 % des repas de la famille sur la semaine ».

Qu’en est-il lorsque la nourriture est loin d’être la priorité ? Le témoignage d’un responsable de l’hôpital de Mâcon a le mérite de montrer d’autres systèmes de pensée. « On s’inscrit dans la loi EGAlim, avec 18 % de label ou Bio, ce qui a engendré un surcoût de 300.000 € pour nos 2.500 repas/jour, soit 650.000 par an », annonçait froidement ce « comptable qui a un budget à tenir ». Partant du principe « qu’aucun producteur ne peut me livrer 6.000 yaourts par semaine », il avouait ne pas vouloir « commander à plusieurs producteurs, car cela fait de l’administration en plus ». Et pour enfoncer le doigt dans la plaie, il concluait devoir faire attention à l’empreinte carbone des repas et le « bœuf est préjudiciable en émettant des gaz à effet de serre ». La seule chose que ce gestionnaire semble oublier est que le plaisir de manger, de bons produits, est source de satisfaction et donc d’amélioration de la santé en général.

« On pinaille pour quelques centimes »

À croire aussi qu’il n’avait pas écouté, Julien Quelin, depuis devenu nouveau président des JA71, réclamer à nouveau à tous, comme il le fait à chaque réunion : « ce qui m’ennuie et c’est bien dommage, c’est de pinailler pour quelques pourcentages, centimes… alors que l’objectif est que nos gamins, papys, malades… mangent Français ».

Voulant apporter une autre forme de réponse, le directeur du Rescam71 au cœur de la Cité administrative de Mâcon, Christophe Dambrine mélange à sa sauce la gestion avec la cuisine, en ancien chef cuisinier qu’il était. Depuis bientôt 50 ans, ce restaurant administratif « achète au juste prix et vend à prix coûtant ». Une contrainte chez ses confrères qu’il ne comprend pas est celle de « s’imposer un menu à cinq semaines : moi, je laisse des cases vides ». Ainsi, en fonction de la météo ou des contraintes agricoles, il peut plus facilement travailler - et inversement - avec des producteurs locaux et ainsi « sublimer leurs produits » frais. Il remettait aussi un peu de perspective financière dans cette réunion qui n’aura que peu parler budget. « Avec 3,20 €/repas, après avoir tout payé, pas facile de faire du caviar au prix des œufs de lump ». Des chiffres encore plus parlants étaient exposés par la Maire de HHHHHHHHHH qui tient à garder sa cuisinière sur place. Dans cette commune de 130 habitants, le repas est facturé aux familles 4,30 € alors que son vrai prix de revient est de 8 € environ, la différence étant les frais de fonctionnement et d’amortissement « assuré par le budget de la collectivité ».

Symbole du détricotage local

Le président de la FDSEA, Christian Bajard voit donc en ces PAT des « outils intéressants mais lourds qui mobilisent beaucoup de gens et d’énergie […] pour de petits volumes », quelque peu décevant à ce stade, même si cela apporte de la diversification côté agriculture et structure des outils de transformations sur le territoire. Il réclamait d’avoir une vision collective et partagée à long terme au risque sinon « de batailler tous les ans pour les budgets ». À force d’avoir « détricoté depuis 30 ans » les marchés locaux, la complexité des marchés publics « oublie le revenu des agriculteurs », concluait-il en guise de message aux représentants de l’État. Et que dire du développement de la restauration commerciale dont le développement a été important ces dernières décennies, avec une multiplication de franchises, allant du fast-food à de la nourriture se présentant comme traditionnelle.

Le préfet Séguy concluait sur une note et une expression plus optimiste : « les petits ruisseaux finissent par faire de grandes rivières », ne promettant toutefois pas de grande révolution pour le lendemain.

CCGAM : le modèle structurant le territoire

Le PAT porté par la Communauté de communes du Grand Autunois-Morvan (CCGAM) semble être un modèle du genre à suivre. Mais, tout est parti « du soutien à l’abattoir qui fut l’élément déclencheur », rappelait Didier Talpin, éleveur charolais. En 2011, l’abattoir étant menacé, élus, chambre, organisations professionnelles se sont mis autour de la table pour « maintenir l’outil » avec l’engagement de nombreux éleveurs et acteurs de la filière. Pari réussi qui avec une gouvernance nouvelle et « transparente » a mené à de plus amples développements. En intégrant la cuisine centrale tout d’abord et ainsi livrer les restaurants collectifs et centres sociaux. Avec ces nouveaux débouchés « constants », une nouvelle organisation s’est faite en parallèle avec le GIEE de l’Autunois, s’orientant vers la labellisation HVE. Désormais, le PAT cherche à s’approvisionner localement en légumes et donc avoir des maraîchers sur son territoire. Par exemple, pour les légumineuses, « le plus dur est le triage/ensachage des lentilles », nécessitant de créer « de micro-filières », expliquait l’animatrice du PAT, Marie-Amandine Latour, faisant ainsi le parallèle avec l’abattoir qui vient structurer la filière viande. Idem pour « des aubergines » dont les restaurants scolaires n’ont que faire l’été puisque fermés… De nouveaux partenariats ont donc vu le jour avec des enseignes alimentaires et même la création d’un magasin de producteurs. Si la tentation est grande « d’aller plus loin » que l’échelle intercommunale, le risque grandit aussi avec « plus de concurrence », ont-ils observé dans d’autres PAT nationaux. Le PAT préfère donc « commencer à mécaniser » certaines filières pour atteindre de nouveaux « seuils économiques à l’équilibre avec des débouchés » satisfaisants les consommateurs qui sont aussi des contribuables.

Chalonnais : que les PAT soient labelisés « Territoires d’agricultures »

Le syndicat mixte du Chalonnais porte le PAT pour « 150.000 habitants et 137 communes sur 4 EPCI », expliquait son directeur, Rodolphe Duroux. Avec de nombreux établissements scolaires urbains, il ne cachait pas faire appel à une « régie d’un prestataire extérieur (Sogeres) puisque seulement 13 % ont une cuisine sur place ». Devant le préfet, il insistait sur le « vrai sujet » qu’est la complexité à rédiger le cahier des charges « pour avoir des approvisionnements en produits locaux ». Alors que la ceinture maraîchère chalonnaise est désormais sous les routes et lotissements, « la reconstruire est compliqué » et il regarde donc au-delà du Chalonnais pour ses « 10.000 repas/jour ». S’il n’occulte pas la question financière aux usagers, il mettait plutôt le doigt sur un autre aspect central. « On a du mal à financer et transformer l’essai avec nos chargés de mission. On en a "épuisé" deux en trois ans ». Car la tâche est gigantesque pour un « animateur » se retrouvant confronté à de plus en plus d’injonctions sur l’alimentation, la recherche de foncier pour installer, sur l’eau à préserver… Son rêve est dès lors d’avoir des moyens financiers et humains pour reproduire le succès du programme Territoire d’Industries porté par l’État. Son président, Sébastien Martin aimerait les décliner en « Territoire d’agricultures ».

Clunisois : Précurseur ne veut pas dire en premier car…

Avec 15.000 habitants, la Communauté de communes du Clunisois a paradoxalement été pionnière en matière de « PAT ». Tellement en avance qu’elle s’est retrouvée à contretemps de cette politique. En charge depuis 10 ans de ce qui s’appelait alors « Cantines en mouvement », Jean-François Bonnetain avait également développé Terroirs de Saône-et-Loire, avec la chambre d’Agriculture et dont la « base logistique » était à la ferme de Jalogny. En 2018, sentant le besoin de structurer l’offre et la demande, la Com’com a investi dans un laboratoire de transformation (Melting Popote) pour « fournir aux agriculteurs un outil pour tester leurs débouchés et éviter d’investir au départ. Mais également produire des repas » pour la restauration collective et les centres de loisirs. À l’ouverture, le Covid est passé par là, mettant un coup d’arrêt temporaire. Pourtant, le coût matière avec 50 % de produits de qualité dont 20 % Bio ne dépassait pas « 2,84 € », félicitait-il, preuve de la pertinence du modèle. Le comité de pilotage relance la mécanique actuellement, en se rajoutant la mission d’aider les porteurs de projets à trouver du foncier si nécessaire. Des visites d’exploitations sont également réalisées. Une carte des potentielles cultures est faite selon les sols. Tous les maires en disposent. « La terre est un bien culturel, sentimental et pas qu’économique et parfois, certains n’ont pas cette vision », n’arrivant pas à se mettre d’accord sur le foncier ensuite. Avec autant de missions à gérer, l’animatrice du PAT doit en plus gérer « sur la moitié de son temps les appels d’offres des restaurants & co et ceux de la Draaf. C’est épuisant alors que la volonté politique est là », appelait-il le préfet à faire remonter le besoin de simplification à tous les étages.

Bresse Bourguignonne : Le coût matière est marginal

Pour une fois, la publicité de Leclerc dit vrai : « c’est pas bon, oui c’est pas cher. Y’avait moins cher mais c’est encore moins bon ». C’est un peu la spirale infernale de la concurrence des marchés publics qui n’ont aucun indicateur du « bon » mais que du « pas cher ». C’est en somme ce que reprochait Didier Laurency, élus du Syndicat mixte de la Bresse Bourguignonne qui vient de lancer son PAT, encore en « phase de diagnostic ». Car dans ce territoire rural, il rappelle que les précédentes tentatives « n’ont pas pris ». Et les raisons sont multiples. « Nos maraîchers préfèrent servir Lyon en direct », n’ayant pas attendu la « prise de conscience » actuelle des élus. Éleveur de volailles de Bresse AOP, Didier Laurency est pour une alimentation de qualité partout où c’est possible. « On se trompe sur les prix des repas. Ce n’est pas le nerf de la guerre. Seulement 2 ou 3 € de coût matière, tout le reste, c’est de l’accompagnement », jugeant que cela fait « beaucoup de matière grise pour gagner petit ». Il appelait donc le préfet à imaginer une autre forme de structuration pour valoriser et faire prévaloir l’origine France dans son ensemble et en local.

Entre Arroux Loire et Somme : pas de sens sans agriculteurs

Dernier né des PAT en Saône-et-Loire, celui de la Com’Com Entre Arroux Loire et Somme a été labellisé officiellement au Salon de Paris en février. Tout est parti d’un « audit territorial », l’Audit 360 de la chambre d’agriculture. « Notre cible était le renouvellement de nos agriculteurs car nous avons de grandes exploitations de moins en moins faciles à transmettre », explique le directeur. L’audit a fait ressortir un manque de production en porcs, légumes… De quoi se diversifier donc. Pour Christelle Quiquandon, la directrice adjointe, le territoire possède aussi deux entreprises importantes, FPT et Aperam, nécessitant des « centaines de milliers de repas » qui avec les restaurants collectifs publics représentent un vrai potentiel pour le PAT. « Mais sans agriculteurs, cela n’a pas de sens si on n’est pas attaché à notre territoire ».

Lycée agricole de Tournus : ne pas multiplier les trajets

Le directeur du lycée agricole de Tournus, Antoine Philippe mesure les difficultés des maraîchers au quotidien. « C’est une production peu mécanisable ». Résultat, même si l’envie est là de fournir les restaurants collectifs, l’échelle « massive » fait peur. « On aimerait faire plus de transformation pour passer outre ». D’autant que les légumes sont périssables. Et livrer Chalon tous les jours par exemple, se tournant vers son voisin du Syndicat Mixte, « nécessite une heure de trajet » aller-retour, devant donc bien optimiser la logistique et calculer la marge restante, après avoir enlevé tous les frais.