Assemblée nationale
Mieux intégrer l’agriculture à la politique de défense

Le ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Marc Fesneau a été auditionné début mars par les membres de la Commission de la Défense nationale et des Forces armées de l’Assemblée nationale (CDNFA).

Mieux intégrer l’agriculture à la politique de défense

Il était sans doute temps de « réparer cette anomalie », a d’emblée attaqué le député Thomas Gassilloud (Renaissance, Rhône), président de la CDNFA. En effet, c’est la toute première fois qu’un ministre de l’Agriculture était auditionné, le 5 mars dernier, par cette commission. Bien que le code de la défense prévoit que « le ministre chargé de l'agriculture a la charge du ravitaillement de la population civile et de l'approvisionnement des forces armées et formations rattachées en denrées et produits alimentaires »*, son rôle est loin d’être secondaire. Il est même stratégique à de nombreux titres, a rappelé Marc Fesneau.

Stratégie de Poutine 

Tout d’abord sur le plan de nos nombreuses dépendances agricoles et alimentaires. La France est en effet tributaire de nombreux autres pays pour son approvisionnement en fruits et légumes, en matériel agricole, en énergies fossiles, en engrais azotés… Ce qui constitue autant d’écueils si un conflit majeur devait survenir.

« Il faut aussi tenir compte de nos vulnérabilités futures », a ajouté Marc Fesneau. Parmi elles, la possible baisse des rendements consécutive aux aléas climatiques, le stress thermique « qui fera évoluer les assolements et les variétés », la survenance ou la résurgence de nouvelles maladies « comme la MHE qui est directement liées au dérèglement climatique ». Analysant la stratégie de Vladimir Poutine, il note que dès 2014, et les sanctions qui ont suivi le referendum bidon de Crimée, on prenait celle-ci pour « ringarde ». Le chef du Kremlin a cependant su « assurer à la fois sa souveraineté alimentaire et sa souveraineté énergétique », remarque Marc Fesneau. Le fait d’avoir bloqué le trafic des céréales en Mer Noire, et de saturer aujourd’hui certains marchés sous couvert d’aide alimentaire est en train de « déstabiliser le marché des céréales », note-t-il.

Désarmer la souveraineté 

Pour contrer ces actions, la France tente de reconquérir sa souveraineté dans de nombreux domaines. Plusieurs plans de reconquête sont en cours d’application ou sur le point de l’être, en protéines végétales, en fruits et légumes, dans l’élevage, en blé dur, sur nos engrais, notamment. « Il faut conserver notre capacité de production », plaide le ministre de l’Agriculture qui va confier à sa ministre déléguée, Agnès Pannier-Runacher le plan de reconquête engrais. « On va continuer à décliner les plans de souveraineté filière par filière et territoire par territoire dans le cadre de la transition agroécologique », assure-t-il. Au passage le ministre regrette que « l’erreur collective de l’Europe est d’avoir désarmé sa souveraineté agricole. Ni les États-Unis, ni la Chine, ni la Russie ne l’ont fait ». Cette souveraineté n’est pas synonyme de protectionnisme pour Marc Fesneau qui plaide pour la poursuite des accords de libre-échange, à armes égales, avec des clauses miroirs. « Mais la souveraineté, c’est long à reconquérir », concède-t-il. 

Syndrome Nimby 

Interrogé sur la résilience des systèmes agricoles et alimentaires français et européens, le ministre juge nécessaire de mieux faire coopérer les grands organismes de recherche et stratégiques pour élaborer un véritable plan stratégique. « Il faut être résilient sur nos facteurs de production : les semences, les produits phytosanitaires, les engrais (…) Il faut développer les NGT/NBT et travailler sur la résilience sur l’eau », plaide-t-il faisant remarquer que Vladimir Poutine a bien compris l’enjeu majeur de l’eau… en faisant bombarder les barrages, privant ainsi les Ukrainiens de deux ressources essentielles : l’énergie et l’eau. Cet esprit de souveraineté, de reconquête et de résilience nécessitera surtout de la « cohérence », insiste-t-il. « Il faudra accepter d’avoir des usines d’engrais et des élevages à proximité de chez soi », martèle-t-il. Autrement dit vaincre le fameux syndrome Nimby « Never in my back yard / Pas de ça chez moi ». En résumé, il va rester encore beaucoup de chemin à parcourir avant que l’agriculture ne soit considérée par la population et nos gouvernants comme un élément essentiel de la stratégie de défense de la France.

(*) Article R1337-1 du Code de la Défense 

Les rations de combat françaises 

« La souveraineté alimentaire est-elle respectée dans la fabrication des rations de combat ? » Telle est la question posée au ministre de l’Agriculture Marc Fesneau, par le député Christophe Bex (LFI, Haute-Garonne). Renvoyant la réponse au ministre des Armées, Sébastien Lecornu, Marc Fesneau a concédé « ne pas savoir ce qu’il y avait dedans ». Ces rations de combat individuelles réchauffables (RCIR), qui « couvrent les besoins alimentaires journaliers d'un combattant, lorsque les circonstances excluent une alimentation traditionnelle », sont réalisées par l’Établissement spécialisé du commissariat de l'armée de terre (ESCAT) d’Angers en concertation avec les industriels et l'économat des armées. Un cahier des charges est imposé aux industriels, comme la teneur en viande ou poisson, la teneur en cacao du chocolat, la teneur en fruit des pâtes de fruit, la provenance française ou européenne des produits, etc. De nombreuses rations contiennent des produits de l’association Bleu-Blanc-Cœur. Preuve de la qualité des rations françaises : lors du conflit en Afghanistan, une ration française s’échangeait conte trois à cinq rations américaines.