Dossier du Lynx
« Nous nous opposons à la réintroduction de lynx »

Les prédateurs ne cessent de voir leur population croître en France. Après l’ours, le loup mais également les vautours, le lynx se multiplie et s‘étend sur le territoire français. Il s’en prend de plus en plus régulièrement aux animaux domestiques. Guy Scalabrino, référent national de la FNSEA sur le dossier du lynx, établit un point de situation sur ce prédateur inscrit sur la liste rouge des espèces menacées en France.

« Nous nous opposons à la réintroduction de lynx »

À combien d’attaques les éleveurs ont-ils été confrontés ces dernières années ?

Guy Scalabrino :  En 2018, selon l’Office français de la biodiversité (OFB), dans le Jura, 52 dossiers avaient été déposés pour 82 victimes et un coût total de 14.100 euros. En 2019, nous étions à 55 dossiers pour 94 victimes et une enveloppe totale de 20.300 €. L’an dernier, ce sont 75 dossiers qui ont déposés pour 81 victimes et un volume financier de 24.300 €. On le constate, le nombre d’attaques se multiplie et les dégâts générés par le lynx, sans atteindre ceux du loup ou de l’ours, vont cependant croissant.

 

Pourquoi ne présenter que les chiffres du Jura seulement et pas de chiffres globaux ?

GS : La raison en est simple : les services de l’État manquent réellement de coordination. Les éleveurs ont l’impression que le travail s’effectue en silo et que les services déconcentrés n’échangent pas leurs données entre départements. Cela étant, les chiffres du Jura me paraissent assez significatifs car le département concentre à lui tout seul 80 % de la population de lynx en France. D’ailleurs, l’OFB reconnaît lui-même que le massif jurassien arrive aujourd’hui à saturation, alors même que cette colonisation s’est effectuée de manière naturelle depuis les années 70-75 à partir de la Suisse.

 

Quelles sont les victimes de ce prédateur ?

GS : Elles sont essentiellement d’origine ovine ou caprine. À 99 %, ce sont des petits ongulés. Quelques rares jeunes bovins juste nés peuvent-être prélevés. Mais le phénomène reste très rare, voire exceptionnel. À la différence du loup, le lynx s’attaque à une, voire deux bêtes, par attaque. Mais contrairement à lui, il camoufle sa bête et peut revenir manger dessus pendant quelques jours.

 

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez pour lutter contre ce phénomène ? De quels moyens de protection disposez-vous ? Souhaitez-vous mettre en place des moyens de lutte identiques à ceux utilisés par les autres éleveurs contre le loup ou l’ours ? 

GS : La FNSEA constate que les moyens dont les éleveurs disposent aujourd’hui, c’est-à-dire, le patou et les clôtures électriques ne sont pas adaptés à ce félin. En effet, le lynx est un chasseur très discret dans ses modes d’attaque et peut se rendre véritablement indétectable par un chien de protection de troupeaux. Par ailleurs, il est capable de sauter 3 ou 4 mètres en hauteur. La clôture devient inopérante. Il existe aussi une autre donnée dont il faut tenir compte : le lynx qui a investi les zones de plaine s’attaque aux petits élevages (150-200 brebis) qui sont généralement allotis et proches des zones d’habitation. Ces brebis et moutons paissent par lots de 50 têtes environ dans des pâturages tournants. Dans ces conditions, le coût de la protection devient exorbitant pour une efficacité quasi nulle. De même, il est impossible de mettre en place un effarouchement simple comme nos collègues des Pyrénées sont autorisés à le faire contre l’ours. Dans les estives, loin de tout, une fusée détonante ne gêne pas grand monde. À proximité des zones d’habitation, surtout s’il est deux heures du matin, c’est autre chose ! Les conflits de voisinage risqueraient de se multiplier. Nous écartons donc cette solution.

 

Qu’est-ce le projet de Plan national d’action (PNA) pour le lynx et quels sont les grands objectifs ?

GS : Le PNA vise à protéger les espèces de faune et de flore sauvages : il en existe notamment pour la loutre, le lézard ocellé, certaines libellules et donc pour le lynx. Il vise trois objectifs : améliorer les conditions de coexistence avec les activités humaines ; réduire les menaces sur la viabilité de l’espèce et lever les freins à son expansion ; et enfin, communiquer sur l’espèce, améliorer la perception, et sensibiliser sur les enjeux de sa conservation. Ces objectifs sont, certes, louables et les éleveurs participent volontiers au comité de pilotage de ce PNA. Cependant, nous sommes dubitatifs sur l’évolution de cette structure et les modes d’actions retenus pour réaliser ces objectifs.

 

C’est-à-dire ? Pouvez-vous préciser ?

GS : Sur la forme, nous étions partis sur un PNA à dix ans entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2031 avec un bilan à mi-mandat, c’est-à-dire en 2027. Maintenant, à la demande du Conseil national de la protection de la nature (CNPN), l’échéance pourrait être raccourcie à cinq ans, du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2026, avec un bilan d’étape à trois ans. La FNSEA est favorable au maintien d’une durée de dix ans car c’est un temps long qui permet d’apprécier l’état de conservation et de développement de l’animal, d’avoir des statistiques sur un terme convenable, en particulier sur les attaques. Sur le fond, l’ensemble des organisations partie prenante à ce PNA avaient convenu d’écarter tout processus de réintroduction du lynx. Comme je l’ai indiqué, il s’est naturellement développé en France, à partir de la Suisse. Mais au fil des réunions, le positionnement des associations de protection de l’environnement a évolué. Elles commencent à évoquer le « renforcement des populations » de lynx, à parler de réintroduction et de remplacement, en particulier dans le cas de destructions illégales. D’autres évoquent la nécessité de sanctuariser des zones entières pour préserver la tranquillité des mères et de leurs petits, au nom du critère de dérangement. Ces positionnements nous  interrogent sur le devenir des activités humaines que sont l’élevage, l’activité agricole et économique en général (je pense aux forestiers), au tourisme etc. Très clairement, la FNSEA s’oppose à la réintroduction de lynx et se bat aux côtés des éleveurs pour maintenir les activités de pâturage des animaux dans tous nos territoires

 

Qui va financer ce PNA lynx ?

GS : C’est également un élément de désaccord entre les membres du PNA. Les dégâts du lynx sur les animaux et les mesures de protection des troupeaux doivent être pris en charge par l’État qui impose aux éleveurs les prédateurs. Pour la FNSEA, il n’est pas question que la profession agricole finance ces dépenses via le FEADER ou tout autre fonds agricole. Le ministère de tutelle du dossier lynx est celui de la Transition écologique. Il, est le plus pertinent et le plus compétent pour financer les dégâts, la protection et d’une façon générale la mise en œuvre des actions inscrites dans le PNA lynx.

La FNSEA suivra attentivement la mise en œuvre de ce plan et entend être pleinement associée aux décisions qui seront prises. Ainsi, il est anormal que certains lynx, recueillis et soignés après des accidents sur les voies routières ou bien parce qu’ils ont été abandonnés par leur mère et recueillis par des centres qui ont pris soin d’eux, soient relâchés, en catimini, sans que l’on soit prévenus. Ce n’est pas le fait qu’ils soient relâchés qui nous pose un problème mais c’est la non-information sur la zone du lâcher. La connaître permettrait de prévenir les éleveurs pour qu’ils puissent se prémunir contre ce prédateur… C’est la moindre des choses.

 

La profession agricole a-t-elle d’autres demandes ?

GS : Le PNA devrait mieux prendre en compte les “lynx déviants”, c’est-à-dire ceux qui sont blessés, vieux, ou malades et qui, de par leur état, multiplient les attaques sur des proies domestiques. Il faudrait les “neutraliser”. J’entends par ce terme, les mettre hors d’état de nuire, c’est-à-dire les capturer et les transférer, pourquoi pas, dans un parc sanctuarisé afin qu’ils ne puissent plus sévir.

La FNSEA a aussi demandé à Fabien Sudry, préfet de Bourgogne-Franche-Comté – coordonnateur du PNA Lynx-, de modifier les textes relatifs à l’indemnisation des dommages causés aux troupeaux domestiques par lynx qui exigent qu’à compter de la cinquième attaque de lynx sur une période de deux ans, le versement de l’indemnisation est subordonné à la mise en place d’une mesure de protection. Cette disposition n’est pas en cohérence avec les pratiques d’élevage qui rendent impossible la mise en place de mesures de protection efficaces face aux lynx dont certains individus déviants peuvent causer, chez un seul et même éleveur, une dizaine d’attaques sur l’année dont les dégâts ne seront pas indemnisés. Nous souhaitons que le seuil soit relevé à 10 ou 15 attaques. Le préfet s’est engagé à soutenir nos propositions.