Loi d'orientation et d'avenir agricole
LOA : les grandes lignes du projet gouvernemental

Cédric Michelin
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Un projet de loi d’orientation et d’avenir (LOA) sera bien soumis au Parlement, en vue d’un vote d’ici la fin d’année. C’est l’assurance qu’a reçu la profession, après plusieurs semaines de rumeurs persistantes, laissant penser que le gouvernement se contenterait de la voie réglementaire et du projet de loi de finances (PLF) débattu à l’automne. Plusieurs professionnels ont livré les principales mesures de l’avant-projet de loi gouvernemental, tel qu’ils ont pu en avoir pris connaissance avant la pause estivale auprès de la Rue de Varenne.

LOA : les grandes lignes du projet gouvernemental
Fonds de transition, fonds de portage, découverte de l’agriculture en classe de primaire, point d’accueil transmission/installation… Il s’agit de la moitié législative de ce que doit présenter Marc Fesneau à la rentrée sous le terme de PLOA (Pacte et loi d’avenir), probablement lors du salon Terres de Jim le 10 septembre ; l’autre moitié, le Pacte (volet réglementaire), devrait être de même envergure, et recouper les mêmes thématiques.

Le risque en vaut-il la chandelle ? Finalement oui, estime-t-on en plus haut lieu. Une loi d’orientation et d’avenir (LOA) sera bien présentée à la rentrée, en vue d’un vote d’ici la fin d’année. C’est l’assurance qu’ont reçue plusieurs professionnels fin juillet. Pourtant, au début de l’été, rien ne semblait gagné. Les rumeurs ont persisté plusieurs semaines, décrivant un gouvernement partagé sur l’opportunité de présenter cette loi – quand bien même elle fut inscrite dans le programme d’Emmanuel Macron à l’élection présidentielle de 2022.

Pourquoi tant d’hésitations ? Plusieurs arguments pesaient contre le scénario d’une loi. Il y a d’abord les difficultés de la majorité présidentielle à faire adopter ses textes, et à en maîtriser le contenu, depuis les dernières élections législatives. Faute de majorité absolue, les initiatives parlementaires sont plus risquées qu’au temps d’Egalim. Pour être déposé, un projet de loi doit, plus que jamais, en valoir le coup. En l’espèce, le gouvernement doit tenir une promesse : celle réitérée par Emmanuel Macron il y a un an sur le salon agricole Terres de Jim, d’une « loi d’orientation d’avenir agricole » à la rentrée 2023.

Pour autant, le gouvernement est-il mû par une forte volonté de réforme ? C’est moins sûr selon les professionnels, qui constatent que ce texte pourrait contenir peu de mesures législatives lourdes (voir ci-après), à l’exception peut-être du stockage de l’eau – dont l’arbitrage semble encore hésitant. Pour preuve, le texte ne plongera pas dans les questions centrales du statut du fermage. Pas de grand coup de barre à venir, comme en étaient porteuses les précédentes lois d’orientations agricoles, qui soufflaient alternativement des vents de libéralisation, puis d’encadrement, en particulier sur les questions foncières.

Il faut ajouter qu’au-delà de la loi, environ la moitié des mesures pressenties dans le PLOA seront d’ordre réglementaires. Et qu’en matière de loi, des alternatives à la LOA existent, selon certains professionnels. D’abord, le projet de loi devrait comporter des dispositifs (fonds, crédits d’impôts) qui pourraient tout aussi bien être portés par le projet de loi de finances (PLF) ; un texte dont il est attendu qu’il soit, quant à lui, voté par une voie beaucoup moins glissante, celle de l’article 49.3 de la Constitution.

Deuxième option aux yeux d’une partie du syndicalisme : la proposition de loi (PPL) pour la Compétitivité de la Ferme France. Déposé en février, par un pool de trois sénateurs (PS, centriste et LR), le texte est déjà bien avancé, voté au Sénat au printemps.

Cela nous amène à l’incontournable question, en ce temps d’instabilité parlementaire : quelle option choisira le gouvernement ? Faire voter le texte par la droite ou la gauche ? La question du statut « d’intérêt général majeur » des infrastructures de stockage d’eau pourrait être centrale dans les débats – sa formulation dans le texte des sénateurs avait reçu un avis défavorable du gouvernement en séance.

« Souveraineté » dans le code

Venons-en au contenu. Fin juillet-début août, l’avant-projet de texte comportait d’abord une mesure symbolique, dont la portée juridique devrait être quasi-nulle, mais faire office de marqueur politique : inscrire un objectif de « souveraineté » (agricole ou alimentaire) dans le préambule du Code rural. La décision s’inscrit dans la continuité du changement de nom du ministère en 2022, devenu avec l’arrivée de Marc Fesneau, celui de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire (Masa). Des précédents existent. Un article préliminaire au Code rural avait déjà été créé par la loi d’avenir de 2014 de Stéphane Le Foll, qui rappelait les grandes finalités des politiques agricole et alimentaire. Il est vrai qu’il y était peu question de la provenance géographique des produits, si ce n’est par l’objectif affirmé alors de « renforcer la capacité exportatrice de la France ».

Ce qui pourrait susciter le débat dans l’Hémicycle, au-delà du terme même de souveraineté, c’est la façon de le définir ; terminologie très en vogue depuis la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, la « souveraineté » est un concept élastique, pouvant se référer à différents indicateurs (taux d’auto-approvisionnement, solde des échanges commerciaux…). L’échelle géographique – nationale ou communautaire – à laquelle se réfère l’objectif est aussi variable, selon les acteurs. Rappelons que parmi les cinq objectifs assignés par le Traité de Rome (1957) à la politique agricole commune (Pac), figure déjà « la sécurité des approvisionnements ».

Fonds de transition

Plus concrètement, le texte législatif instaurerait également un « fonds de soutien à la transition » de l’agriculture et l’agroalimentaire. Son financement pourrait provenir notamment de la re-fiscalisation annoncée du gazole non routier (GNR), dont les contours devraient être présentés à la rentrée, dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2024, examiné à l’automne. La défiscalisation du gazole non routier représente actuellement un soutien budgétaire annuel de 1,4 milliard d’euros aux agriculteurs, soit 3.500 euros par exploitation. Avant l’été, Bruno Le Maire a promis une « bascule progressive d’ici 2030 » et « des mesures de compensation ». Un chiffre de 400 millions de baisses en sept ans circule auprès des professionnels. Mais à terme, il s’agit de supprimer la défiscalisation, confirmait-on à Bercy fin juillet. Sa gouvernance pourrait être assurée par un « Conseil de la planification de la souveraineté alimentaire et des transitions ».

L’usage de ces fonds n’est pas encore arbitré et fait l’objet de dissensus, y compris au sein du syndicalisme majoritaire. La FNSEA pousse pour que les fonds soient redistribués au plus grand nombre parmi les agriculteurs qui auront été grevés. Ses pistes : augmentation des taux d’incorporation de biocarburants dans les machines agricoles, avoirs fiscaux pour installations vertueuses (p.ex. matériel d’enfouissement de l’azote au semis), augmentation du seuil d’exonération des plus-values, TVA réduite pour les activités équines. Au risque d’un « saupoudrage », et d’un manque d’effet sur la décarbonation de l’agriculture, craignent d’autres voix au sein du syndicalisme majoritaire. Dans un rapport paru en décembre, le CGAAER (ministère de l’Agriculture) proposait de concentrer les recettes issues du GNR sur la transition énergétique (aide à l’achat de tracteurs GNV, robots électriques, panneaux photovoltaïques…).

Stockage de l’eau et remplacement

En plein débat sur les bassines, le texte pourrait aussi prévoir un statut plus protecteur pour des projets hydrauliques dits « d’intérêt général majeur ». « C’est presque officiel », glisse un professionnel, ne souhaitant confirmer fermement cette information émanant d’une autre source proche du dossier. La mesure évoque bien sûr celle proposée par plusieurs sénateurs en début d’année, mais la rédaction sera-t-elle la même ? Dans l’esprit, la PPL Compétitivité des sénateurs vise à faire en sorte que tous « les plans d’eau, permanents ou non, comme les prélèvements nécessaires à leur remplissage, à usage agricole, soient réputés répondre à un intérêt général majeur ».

Concernant l’installation et l’attractivité du métier, le texte prévoirait l’amélioration du crédit d’impôt remplacement et l’élargissement de son accès à davantage d’agriculteurs. De fait, il est aujourd’hui essentiellement réservé aux éleveurs, car affecté par la loi aux agriculteurs qui « exercent effectivement et régulièrement une activité agricole qui requiert leur présence sur l’exploitation chaque jour de l’année ». Une source précise que le taux de prise en charge pourrait passer de 50 à 60 % des dépenses (voire 100 % dans le cas d’une formation), dans la limite de 20 jours de remplacement par an, contre 14 actuellement.

Comme attendu, un point d’accueil installation et transmission serait créé dans les chambres d’agriculture départementales, qui orienterait les jeunes souhaitant devenir agriculteur ou salarié agricole vers des structures d’accompagnement agréées par l’État. Une source mentionne le renforcement des sanctions pour les agriculteurs qui ne rempliraient pas leur Déclaration d’intention de cessation d’activité agricole (Dica), sans que les modalités de sanction ne soient connues. La question ne serait pas encore arbitrée, indique une autre source : des discussions pourraient être nécessaires avec les Régions, qui gèrent désormais les aides à la transmission, si celles-ci devaient être conditionnées à la Dica.

Fonds de portage, GFA investisseurs

Par ailleurs, le texte mentionne la création du fonds dédié au portage, annoncé par Emmanuel Macron au salon Terres de Jim en 2022. Il y a un an, le président de la République avait promis un fonds de 400 millions d’euros, intitulé Entrepreneurs du vivant. Il devait être dédié au « portage du foncier », et « différencié selon les régions ». Il n’avait alors pas été précisé si ce fonds pourra également monter au capital d’exploitations. Toujours est-il qu’une source indique que le financement proviendrait de fonds issus du livret A, gérés par la Caisse des dépôts. Là encore, le sénateur Duplomb trouvera un écho à l’une des mesures issues dans sa proposition de loi.

Par ailleurs, le texte créerait un nouveau statut de société agricole, le « GFA investisseur », sur le modèle des Groupements forestiers d’investissement (GFI) qui sont autorisés à effectuer une offre publique de leurs parts sociales.

Côté formation, le texte généraliserait la découverte de l’agriculture chez les enfants des classes de primaire, indiquent les professionnels ; et cette fonction pourrait notamment être assurée par les chambres d’agriculture, dont les missions seraient par la même occasion étendues à la formation. Comme annoncé par Emmanuel Macron à Terres de Jim, le texte instaurerait un statut d'« expert associé » pour les professionnels intervenant dans l’enseignement agricole. Plus nouveau, il créerait un diplôme de « bachelor Agro », sanctionnant trois années d’étude après le bac, intermédiaire entre le BTS et l’ingénieur, à destination des conseillers agricoles.

Concernant la recherche et l’innovation, le texte soulève la question des fonds du Casdar (développement agricole). Il est acquis que son plafonnement budgétaire serait « levé », pour financer l'« innovation » et la « recherche appliquée » en agriculture, assure un professionnel – cette question ne serait pas encore arbitrée selon une autre source.

Des mesures en faveur des projets alimentaires territoriaux (PAT), portées par Marc Fesneau, auraient été recalées du projet de loi par l’Élysée, selon une source. Elles pourraient ressurgir dans le Pacte, la partie réglementaire du projet gouvernemental, qui pourrait être d’une envergure semblable à la loi, et reprendre les mêmes thématiques.