Vendanges 2020 dans le Beaujolais
Belle récolte mais hétérogène
Malgré les incertitudes qui planaient sur la filière, en cause, la gestion de la crise sanitaire de la Covid-19, la récolte 2020 a pu être ramassée. Si la qualité est au rendez-vous en Beaujolais, seule la quantité fait défaut sur des secteurs les plus exposés à la sécheresse.
Chaque millésime réserve son lot de confirmations, de bonnes et mauvaises surprises, et de déceptions. Ces dernières années, les vignobles du Rhône peuvent en témoigner en étant confrontés à des aléas climatiques, parfois à grande échelle, mais aussi localisés. Cette récolte 2020 qui vient de se terminer non sans un ouf de soulagement, confirme une règle essentielle : rien n’est joué tant que la récolte n’est pas intégralement rentrée dans les cuves.
La campagne 2020 partait pourtant sur les chapeaux de roue. Jamais depuis 2003 les vignerons n’avaient vendangé aussi tôt. Pour preuve, dans le Beaujolais, dans les zones précoces et moyennes, certains d’entre eux avaient déjà rangé au placard sécateurs, serpettes, bennes et autres matériels de vendanges avant même que ne débute septembre. Un symbole, un de plus. Sur ce point-là, la récolte 2020 confirme une réalité. On vendange de plus en plus tôt et les prévisions climatiques à l’horizon 2050 n’incitent pas à penser le contraire.
Au-delà de cette précocité, principal marqueur du millésime 2020 donc, c’est bien la sécheresse qui, sur le tard, a joué un rôle majeur, et sans doute le plus mauvais dans l’histoire. Les faits sont là. Malgré un beau potentiel de récolte, les vignes les plus exposées au soleil ont souffert d’un criant manque d’eau en juillet et août. Ce phénomène, aggravé par deux épisodes de très fortes chaleurs, frôlant les 40 °C, n’est pas passé inaperçu dans les vignes, entre des feuilles jaunies voire même desséchées et des baies flétries, comme aspirées de l’intérieur.
L’impact de la sécheresse
Comme le confirment les principaux responsables des appellations beaujolaises, tous les secteurs et les domaines n’ont pas été logés à la même enseigne. Pour l’appellation beaujolais, son premier représentant Jean-Pierre Rivière annonce un rendement moyen allant de 40 à 45 hl/ha pour le gamay, avec évidemment de « fortes disparités d’une commune à une autre et d’une parcelle à une autre selon son âge et son sol. Des jeunes vignes avec un fort potentiel de production ont souffert de cette sécheresse car elles ne sont pas assez enracinées, surtout celles dans des sols légers et peu profonds. Mais on aurait pu craindre le pire. Les chardonnays, dont la majorité des surfaces se destinent à la production de vin base crémant, ont mieux résisté avec des rendements supérieurs », résume Jean-Pierre Rivière.
En beaujolais villages, David Ratignier, président de l’ODG beaujolais – beaujolais villages, tire un constat à l’identique de son homologue. « D’après les premiers retours que j’ai pu avoir, on va certainement accuser un déficit de 25 % environ par rapport au rendement de l’appellation. Avec une estimation à 45 hl/ha en moyenne, et une surface plantée de 2.900 ha, on devrait ainsi produire 130.000 hl, primeur et garde confondus, soit 30.000 hl de moins par rapport à notre première estimation en juillet. On voit l’impact de la sécheresse », dit-il. Cependant, ce déficit intervient au moment où les stocks sont déjà faibles pour cette appellation. « Lors de la dernière campagne, nous avions enregistré 145.000 hl, avec une belle activité des ventes aux USA. Avec une estimation à 130.000 hl, l’offre serait ainsi en-deçà du marché et des stocks écoulés sur les douze mois de la précédente campagne », déplore David Ratignier.
La zone des crus illustre aussi cette hétérogénéité dont tout le monde parle, entre des vignobles au Nord qui ont bénéficié de précipitations que la zone Sud a attendu désespérément. « Sur l’ensemble des crus, c’est très hétérogène, confie Jean-Marc Lafont, vice-président de l’ODG. On estime un rendement entre 40 et 50 hl/ha. Mais des secteurs ont plus souffert, dans le Nord déjà avec quelques épisodes de grêle durant l’été, comme à Juliénas et Chénas, et dans le Sud, avec la sécheresse, notamment les parcelles les plus exposées et plantées dans les sables. Inversement, les vignes en altitude ont mieux tiré leur épingle du jeu ». Les chiffres des déclarations de récolte, qui tomberont en début d’année 2021, permettront d’évaluer plus précisément le volumes produits pour chacune des appellations du Beaujolais.
La qualité, heureusement
Certes, la quantité a fait défaut pour des domaines. Mais elle ne doit pas occulter la qualité générale de cette récolte 2020 qui laisse augurer un beau millésime, un de plus en Beaujolais. « Globalement, nous avons vendangé des raisins sains, avec des beaux degrés. Conséquence de la sécheresse, on a aussi observé des phénomènes de concentration. Dans tous les cas, on aura des vins puissants et structurés. Comme l’ensemble des vignerons, je suis très optimiste pour les vins de 2020 », affirme Jean-Pierre Rivière. Son homologue à l’ODG des crus se montre tout aussi enthousiaste sur la qualité d’une récolte qu’il juge pourtant difficile à appréhender avant la campagne. « Notre chance, c’est d’avoir ramasser une vendange avec des acidités bonnes voire, légèrement supérieures. Elles facilitent les vinifications et atténuent les forts degrés. On dégustera des vins riches, ronds, souples, sur le fruit, le croquant et la pureté. En comparaison avec d’autres millésimes, on va retrouver la concentration de 2015 et la finesse de 2011 ».
David Duvernay
On efface tout et on recommence
2020, année atypique ? Les viticulteurs vont vraiment finir par le croire. Très précoce et presque comparable à 2003, cette récolte a aussi mis en lumière pour certains producteurs un bouleversement de l’ordre de ramassage de leurs parcelles. « C’était déjà complexe de définir une date pour des vendanges optimales. La gestion du ramassage des parcelles l’était tout autant avec des maturités rapprochées. Il a fallu jongler entre les maturités analytiques, phénoliques et l’état sanitaire des raisins dont certains exposés Sud étaient brûlés », précise Jean-Marc Lafont.
L’irrigation, bientôt expérimentée en Beaujolais
En abordant la sécheresse et les pertes partiellement engendrées sur la récolte 2020, les responsables du Beaujolais ont sans surprise remis sur la table la question de l’irrigation. « Je sais que des viticulteurs étaient réticents à cette idée. Mais avec la sécheresse que nous venons de vivre, certains ont changé leur fusil d’épaule. Et ce que nous avons vécu cet été et les précédents deviendra récurrent », commente Jean-Pierre Rivière, président de la section beaujolais à l’ODG, mais aussi président de la Sicarex Beaujolais.
Ce dernier annonce prochainement la mise en place d’essais qui seront réalisés par l’organisme technique du vignoble. Car pour faire valider auprès de l’INAO un changement au cahier des charges d’une ou plusieurs appellations regroupées sous un seul ODG, cette demande doit être accompagnée d’une étude réalisée sur un référentiel de parcelles. « Nous allons trouver des parcelles à titre expérimental, là où l’eau est accessible. Elles vont cependant perdre l’appellation même dans le cadre d’un essai. L’intérêt serait de trouver plusieurs parcelles dans les trois grandes zones du vignoble et sur des pentes et des sols différents. Un protocole sera mis en place par les équipes de la Sicarex », développe-t-il.
Que dit la réglementation et dans quelles conditions peut-on irriguer la vigne ? Comme le rappelle l’IFV, l’irrigation est régie par le décret n° 2006-1527 du 4 décembre 2006 qui stipule ses conditions de mise en œuvre. Et les possibilités varient selon les segments de production. En vins sans IG, elle est autorisée tout le temps, sauf entre le 15 août et la récolte. Pour les IGP, il en va de même, sauf en cas de restriction par arrêté préfectoral. En AOC par contre, l’irrigation est autorisée seulement depuis la fin de la récolte jusqu’au 1er mai. En revanche, si le décret de définition de l’appellation d’origine le prévoit, elle peut être exceptionnellement accordée entre la fermeture de la grappe et la véraison (au maximum du 15 juin au 15 août). Il faut toutefois que l’ODG de l’appellation concernée fasse annuellement une demande à l’INAO, avec un argumentaire prouvant que la situation climatique le justifie, comme l’explique notre homologue Xavier Delbecque de Réussir Vigne.