EXCLU WEB : 30 ans du Dimanche des Terres de France : Un succès au-delà de toutes les espérances

Nous reproduisons, ci-dessous l’article paru le lundi 30 septembre 1991.

EXCLU WEB : 30 ans du Dimanche des Terres de France : Un succès au-delà de toutes les espérances

Les mots manquent pour décrire la Journée des Terres de France du 29 septembre. Tout ce que l’on peut dire, c’est qu’elle a été un énorme succès. La presse et les médias ne s’y sont d’ailleurs pas trompés. Eux souvent si chiches à ouvrir leurs colonnes ou leurs antennes aux agriculteurs, aux ruraux, aux paysans, leur ont accordé une place sans précédent. Et pas seulement les organes d’information français. La presse et les télévisions étrangères étaient là, elles aussi. Grâce à elles, l’événement a pris une dimension mondiale. Il faut dire qu’il en valait la peine.

Cette journée a vu le plus grand rassemblement jamais connu sur un seul lieu d’agriculteurs, de ruraux, de paysans au sens large du terme. C’est-à-dire de ceux qui vivent dans des pays qui les font vivre.

Combien étaient-ils ? Plus de 200 000 certainement. Peut-être 300 000. Une telle masse est difficile à évaluer. Mais il faut savoir que la manifestation couvrait au moins 200 000 m2. Quand la tête du cortège, après avoir parcouru 6 km, est arrivée au lieu du meeting, la queue, tout le Bassin parisien qui s’était mobilisé en force, n’était pas encore partie et a dû rester en place.

Force et calme 

Une force énorme en tout cas, impressionnante de force mais aussi de calme. Et c’est là le deuxième succès pour les organisateurs, la FNSEA et le CNJA. Depuis des jours, certains annonçaient des troubles. Une organisation comme le Front national a tout fait pour créer le désordre. En vain, malgré le flot de tracts répandus, malgré les provocateurs glissés çà et là, ses provocations ont échoué. Leur leader, Jean-Marie Le Pen, invité comme les autres parlementaires européens, a dû rester quatre heures sous la tente réservée aux personnalités, aucune délégation n’en ayant voulu en son sein. Pour lui et ses troupes, même s’ils ont réussi à faire parler d’eux, cette journée est un échec.

Bref, les consignes de calme et de dignité lancées par Raymond Lacombe, Philippe Mangin et les autres dirigeants syndicaux, ont été entendues et parfaitement suivies. Cette réussite, on la doit aussi aux caractéristiques de l’organisation syndicale agricole. Décentralisée, proche du terrain, elle permet à ses responsables de connaître leurs troupes. Ceux-ci ont ainsi évité les débordements malgré l’ampleur du rassemblement et la profondeur de l’angoisse qui étreint certains agriculteurs, les éleveurs de bovins et d’ovins, par exemple, qui auraient pu laisser éclater une colère légitime.

Accueil chaleureux 

Par l’accueil qu’ils ont réservé aux ruraux, les Parisiens ont aussi contribué à créer une ambiance chaleureuse où la bonne humeur l’emportait malgré la gravité de la situation. Tout au long du cortège, ils étaient nombreux à les applaudir et à les encourager. Les interrogeant parfois : « Où est l’Aveyron ? L’Isère est-elle là ? Les Bretons sont-ils passés ? ». On a même vu un Guadeloupéen affirmer : « Je suis de la Guadeloupe mais je suis aussi Breton ! ». Sans doute avait-il un ancêtre armoricain. Bref, chacun recherchait « son pays, ses racines ». C’était vraiment des retrouvailles. Le tout dans un concert de pétards, de sirènes, de sifflets, d’accordéons, de fifres, de tambours, de gaboulets et bombardes. A la grande joie des gamins de la capitale.

Le succès de l’opération “jumelage” entre les régions et les arrondissements parisiens a sans doute été beaucoup dans cet accueil. Comme le pique-nique géant, Cours de Vincennes. Les stands ont été carrément dévalisés et les conversations sont allées bon train. Les Parisiens ont été séduits par ces paysans pacifiques et l’idée qu’il fallait défendre la France rurale dans sa diversité, a fait l’unanimité. Si bien qu’en plusieurs endroits du parcours, ce sont les spectateurs eux-mêmes qui empêchaient les provocateurs du Front national de pénétrer dans le cortège. Tout cela les manifestants l’ont bien compris. Et de se sentir ainsi soutenus les a convaincus de tout faire pour conserver cette fraternelle ambiance.


Et ce n’étaient pas les autres ruraux, artisans, commerçants et professions libérales qui étaient les moins fiers et les moins ardents. Même si, comme c’est normal, vu leur nombre et leur dispersion sur le territoire, ils ne représentaient que 10 % des participants. Mais pour eux, c’était une “première”.

Pas de récupération politique 

Un autre danger guettait ce rassemblement : la récupération par les partis politiques. Particulièrement ceux de l’opposition.

La FNSEA et le CNJA avaient invité TOUS les élus locaux, départementaux, régionaux et les parlementaires français et européens. Ils sont venus en nombre. Chacun avec leur région, leur département. Et si les vedettes ont attiré photographes, cameramen et journalistes, elles ont vite compris qu’ils ne pouvaient s’approprier une manifestation d’une telle ampleur qui, très vite, les a noyés dans la masse. Et si le parti socialiste avait interdit à ses élus de participer, bon nombre – et pas seulement des maires anonymes – sont passés outre et sont venus. On a même pu voir le ministre de l’Environnement, Brice Lalonde, dans le 6e arrondissement, sur le stand de la région Centre. Sans doute pour se faire pardonner des paysans, quelques-unes de ses déclarations provocatrices.

Bref, là encore, succès total.

Il y aura, désormais, l’avant et l’après 29 septembre. Ce jour-là, pour la première fois, les ruraux français ont montré leur force et leur détermination à la face du monde. Les autorités françaises et communautaires les ont entendus. De force. Les ont-ils compris ? L’avenir le dira. Mais maintenant, elles ne peuvent ignorer des revendications aussi largement diffusées, aussi puissamment soutenues. Voici les principales :

-          mesures d’urgence pour les producteurs bovins et ovins

-          réduction des charges, en particulier fiscales, pour les exploitants agricoles mais aussi tous les entrepreneurs ruraux

-          révision des projets de réforme de la politique agricole commune

-          fermeté dans les négociations commerciales du GATT.

Et enfin, et cela concerne directement tous les ruraux mais aussi tous les citadins, mise en place d’une politique volontariste et planifiées d’aménagement du territoire capable de sauver 40 % de l’espace rural en voie de déclin. 

Jean Sasnière 

Les grands témoins 

Outre les dirigeants agricoles et ceux représentant les autres professions rurales, MM. Legras, président de l’UNAPL (professions libérales) et Léon, président de l’UPA (artisans), plus cinq personnalités ont pris la parole, place de la Nation :

-          François Paour, président de la Fédération nationale des maires ruraux

-          Piotr Dabrowski, pour le syndicat agricole polonais, Solidarité rurale

-          Jacques Proulx, président de l’UPA (Syndicat des agriculteurs du Québec)

-          Rudolf Schneiders, secrétaire général du DBV (le syndicat agricole allemand).

D’autres responsables agricoles étrangers étaient là (Espagnols, Britanniques, Italiens, Luxembourgeois) mais n’ont pu prendre la parole, faute de temps.

En revanche, des personnalités pouvant paraître fort éloignées du monde agricole et rural ont tenu à apporter un message de solidarité :

-          le professeur Cabrol (cardiologique)

-          le philosophe Jean-Marie Domenach

-          le comédien Jean Rochefort qui a envoyé un message de solidarité.