EXCLU WEB / Eau : « A chaque territoire de trouver son équilibre »

Propos recueillis par Christophe Soulard
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Thierry Boudaud est à la tête de la Coop de l’eau qui a été créée en 2011. Elle a pour principale mission de mettre en place des réserves collective de substitution pour sécuriser l’approvisionnement en eau des agriculteurs irrigants. Il revient pour nous sur la manifestation qui a eu lieu à Sainte-Soline les 29 et 30 octobre derniers.

EXCLU WEB / Eau : « A chaque territoire de trouver son équilibre »

Comment allez-vous ? Vous-même et les autres agriculteurs, n’avez-vous pas été trop secoués par ce déferlement de violences auquel s’est ajouté un déferlement médiatique ?

Thierry Boudaud : Ça va bien merci. J’ai la chance d’être bien entouré. Il le faut compte tenu du niveau de pression et d’engagement subis ces dernières semaines. Il faut y être bien préparé tant sur le plan individuel que collectif. En 2018, nous avions grâce une concertation longue et aboutie, pu parvenir à un consensus que nous pensions solide. La force du dialogue l’avait emporté. J’étais loin de m’imaginer que nous en arriverions là les 29 et 30 octobre. Mais certains éléments extérieurs au groupe de signataires du protocole ont commencé dès 2021 à se mettre en marge et à muscler leur discours.

 

C’est-à-dire ?

TB : La construction de ces retenues est le fruit d’une longue réflexion, de nombreuses études techniques et scientifiques, sur le terrain et naturellement d’une large consultation. Le jour de la signature de ce protocole sur lequel tout le monde était d’accord (en 2018, ndlr), nous avons vu les premières contestations de personnes venues manifester devant la préfecture à Niort. Il y a eu quelques tensions et quelques heurts avec les forces de l’ordre et je m’étais fait la réflexion qu’une telle contestation pouvait devenir violente. La suite m’a malheureusement donné raison. Les opposants au projet ont saisi la justice. Le tribunal administratif de Poitiers a pris une position très claire sur les retenues en les rendant légales. Une fois les voies de recours épuisées, quelques-uns ont pris le chemin de la radicalité pour devenir des quasi-professionnels de la contestation et de la confrontation. Je salue la prise de conscience des autorités de l’État ont anticipé la manifestation des 29 et 30 octobre derniers et mis en place le dispositif approprié.

 

Comment parvenir à garder son calme dans de telles circonstances ?

TB : Nous nous sommes préparés longtemps à l’avance en nous réunissant, en déterminant les bonnes attitudes à adopter. L’objectif premier était surtout de ne pas tomber dans le piège tendu par les fauteurs de troubles, en particulier les black-blocs : ne pas répondre à la violence par la violence, ne pas répondre aux intimidations, aux provocations et surtout parvenir à prendre de la distance. Cet exercice demande beaucoup d’énergie, je puis vous l’assurer. Nous savions par exemple qu’ils allaient s’en prendre à des canalisations d’irrigation. Nous nous y étions tous préparés psychologiquement et quand la dégradation est survenue, nous avons appelé l’agriculteur au téléphone et nous l’avons soutenu. Répondre à la violence par le calme et la dignité est une arme redoutable.

 

Comment expliquez-vous que les ultraécologistes puissent être soutenus par des militants d’une cause dite « paysanne », alors que ces derniers sont censés exercer le même métier que vous ?

TB : Lors de la signature du protocole, la Confédération paysanne s’était abstenue pour des raisons politiques : les élections aux Chambres d’agriculture avaient lieu peu de temps après. Je ne condamne pas les postures : elles font partie de la démocratie. Je regrette simplement que certaines personnes se soient radicalisées et aient pris part aux manifestations des 29 et 30 octobre. Cependant, je sais faire la part des choses entre mes collègues paysans et ceux qui versent dans la violence. Je puis en tout cas vous assurer que ce mouvement n’a pas de prise sur le monde agricole.

 

La présence de représentants de la Nation qui sont censés respecter la loi vous-a-t-elle choqué ?

TB : Oui bien sûr et j’ai une formule pour cela : il ne faut pas confondre immunité parlementaire et impunité parlementaire. En l’espèce, cette manifestation d’élus de la Nation a franchi un cap et laissé la triste image que des députés français ou européens cautionnent, par leur seule présence, la violence de cette manifestation. Il est regrettable qu’ils aient apporté leur soutien à une désobéissance violente sur un exercice de coopération participative aussi exemplaire que celui porté par la Coop de l’eau. A ce titre, je vous fais une confidence : L’avenir de l’eau écrit par Erik Orsenna est mon livre de chevet. Il y répète à l’envi que l’eau est un bien commun, qu’il faut le préserver, le partager et que les conflits qui pourraient naître de ses usages ne trouveront de voies de sortie que par le dialogue. J’y crois fermement et je me refuserai toujours à l’idée de violence au détriment de la démocratie.

 

Quelles leçons faut-il selon vous tirer de ces événements ? (politiques, économiques, écologiques, communication…. ?)

TB : Il faut faire attention à bien laisser sa chance à la démocratie représentative et aux corps intermédiaires. Il revient à chaque territoire d’écrire son histoire sur la gestion de l’eau. Car chaque territoire dispose d’une cartographie pluviométrique et hydrographique différente. Comme pour l’énergie, la solution ne tiendra pas en une réponse unique mais dans un mix qui, à l’image de ce protocole, combine transition écologique, économie, biodiversité etc. Notre ambition, à travers ces retenues, est aussi préserver notre modèle d’agriculture familiale en polyculture/élevage, avec des exploitations de petite taille. La retenue de Sainte-Soline concerne une majorité de ce type d’exploitations. C’est d’ailleurs l’une des motivations qui nous incite à poursuive l’aménagement de ces retenues.

 

Il reste encore 14 retenues d’eau à construire. Craignez-vous que le mouvement ultraécologiste ne s’attise encore plus ? Ou bien espérez-vous qu’il retombe comme un soufflet ?

TB : Je ne sais pas lire dans l’avenir mais je peux vous assurer que nous sommes prêts à affronter d’autres événements. En premier lieu, il importe de poursuivre le dialogue avec ceux qui entendent avancer sur les sujets de transition agroécologique, de biodiversité, de respect de la ressource mais aussi de la pérennité du monde agricole quel que soit le mode de production. En deuxième lieu, il faut que la justice passe pour conforter notre système démocratique. Elle est parfois lente à la détente, mais on sent que les choses commencent à bouger. La circulaire publiée récemment par le ministre de la Justice demandant aux procureurs d’apporter une réponse pénale systématique et rapide aux infractions commises en marge des manifestations est un signe positif.  Enfin, en troisième lieu, il faut faire passer le message que les agriculteurs sont victimes du réchauffement climatique et qu’ils sont aussi une des solutions. Je le dis et le répète : à chaque territoire de trouver son équilibre et ses solutions qui seront forcément multiples : sobriété, stockage, gouvernance, changement de pratiques culturales etc. Car c’est l’ensemble de l’agriculture et de notre souveraineté alimentaire qu’il faut protéger.