Groupe français de recherches sur les pesticides
Rencontre entre le Beaujolais et la recherche

Charlotte Favarel
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Lors du 52e congrès du Groupe français de recherches sur les pesticides organisé à Lyon du 22 au 24 mai par l'Inrae Lyon Villeurbanne, la fondation Evertéa et l’Institut des sciences analytiques, des acteurs viticoles du Beaujolais ont pris part à une table ronde sur la réduction des usages de pesticides et les impacts associés, animée par Bruno Rougier, journaliste spécialisé en sciences et en santé.

Rencontre entre le Beaujolais et la recherche
Bruno Rougier, Sylvain Paturaux, Caroline Le Roux, Pascal Hardy et Emilie Adoir ont pris part aux débats. CF/IAR

« Notre recherche a évolué grâce à une implication croissante des acteurs du territoire. Il est crucial de les intégrer davantage dans ces processus. Nous attendons que chacun puisse exprimer ses contraintes et ses visions pour l’avenir, partager les difficultés rencontrées ainsi que les initiatives prises sur le terrain », introduit Véronique Gouy-Boussada, chercheuse à l’Inrae sur les pollutions diffuses, en amont de la table ronde. Le temps pour Alice Patissier, chargée de missions au syndicat mixte des rivières du Beaujolais, de souligner les enjeux de préservation des 500 km de rivières du Beaujolais : « impliquant sensibilisation, collaboration avec agriculteurs et collectivités pour lutter contre les inondations et améliorer la qualité de l’eau des rivières et du captage d’eau potable prioritaire de Belleville-en-Beaujolais avec une présence de pesticides interdits depuis longtemps montrant une rémanence dans les nappes d’eaux souterraines ». Bien que les efforts soient en cours, la datation des améliorations reste complexe, suggérant un besoin d’observatoire de l’eau pour un suivi régulier et ciblé sur les molécules pertinentes.

Évolution des pratiques…

Interrogé sur ses pratiques, Sylvain Paturaux, viticulteur à Fleurie (ancien directeur du Domaine des Poncétys à Davayé) et président du cru, a ouvert la discussion en expliquant les nombreux changements dans la conduite des vignes au cours des deux dernières décennies. « Nous avons élargi l’écartement entre les rangs pour permettre la mécanisation et l’enherbement, ce qui réduit l’érosion et facilite l’usage des machines. Historiquement, les vignes étaient conduites en gobelet au ras du sol, mais maintenant nous privilégions des conduites plus classiques avec palissage ». Il a également noté que bien des produits phytosanitaires ont disparu, tandis que de nouvelles connaissances sur les cycles des maladies ont permis un recours accru aux produits naturels et biostimulants. « Nous utilisons moins de produits CMR (cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques) qu’avant », a-t-il précisé. À cela, Caroline Le Roux, référente technique viticole à la fédération des caves coopératives du Beaujolais, a salué les succès obtenus grâce aux pratiques innovantes, notamment l’éradication de l’utilisation des acaricides grâce à la favorisation des typhlodromes. « Aujourd’hui, nous n’avons plus besoin de traiter les acariens dans le Beaujolais, c’est une vraie réussite des viticulteurs ». La référente a également souligné l’ouverture des opérateurs aux nouvelles méthodes, citant des pratiques comme les couverts végétaux temporaires et l’aménagement des abords des vignes avec l’enherbement des tournières, des chemins et la mise en place progressive de haies.

… et des connaissances

Les connaissances sur les ravageurs et les maladies de la vigne ont considérablement évolué ces dernières années. Pascal Hardy, responsable du pôle filière agronomie et environnement à la chambre d’agriculture, explique : « le niveau de formation des viticulteurs est maintenant plus élevé. Nous avons travaillé sur la protection raisonnée, créant des groupes communaux pour apprendre à observer et reconnaître les maladies ». Cette méthode a permis de réduire significativement les traitements phytosanitaires, passant de « 15 à 18 traitements par an à seulement 8 à 10 aujourd’hui ». Pascal Hardy souligne également l’importance des démarches certifiantes, notant que « 70 % des surfaces sont maintenant certifiées Terra Vitis, HVE ou AB. C’est une progression énorme », démontrant ainsi les efforts continus pour une viticulture plus durable.

Un défi pentu

« La culture des vignes en haute densité sur des pentes faibles offre la possibilité de mécaniser la parcelle et de réduire un certain pourcentage des produits phytopharmaceutiques », explique Émilie Adoir, chargée de mission en évaluation environnementale à l’IFV-Sicarex Beaujolais. Sur ces terrains, l’utilisation d’enjambeurs facilite la pulvérisation des fongicides et insecticides à proximité des vignes, complétée par l’enherbement entre les rangs qui contribue à la réduction des herbicides. La situation se complique sur des pentes plus fortes, notamment celles dépassant les 25 %. La mécanisation des vignes haute densité devient presque impossible, obligeant les viticulteurs à moderniser les vignobles pour pouvoir réduire les doses de produits phytosanitaires. « Au-delà de 40 % de pente, le travail manuel est souvent la seule solution, rendant les leviers de réduction de l’usage phytosanitaire peu viables », a-t-elle précisé.

Des freins, des craintes, des manques…

« Nous sommes les premiers en contact avec les produits, et voir leurs impacts ne donne pas envie de les utiliser plus que nécessaire », a affirmé Sylvain Paturaux. Grâce à une meilleure compréhension de leur mode de fonctionnement, les viticulteurs peuvent les appliquer de manière plus ciblée et seulement en cas de besoin. « La réglementation et les aides financières pour l’équipement ont eu un impact significatif, nous permettant d’investir dans des outils de travail du sol et de réduire notre recours aux herbicides ». Selon lui, les freins à la réduction des produits phytosanitaires résident dans la rentabilité économique où « l’utilisation des phytos est perçue comme une forme d’assurance pour garantir la production et la rentabilité ». Il ajoute que la méconnaissance persistante du cycle de certaines maladies - dont le manque d’indicateurs précoces d’observation du black-rot - constitue un autre obstacle majeur. « Les anciens apprenaient sur le terrain et étaient acteurs de leur stratégie de traitement, mais aujourd’hui, beaucoup de viticulteurs se reposent entièrement sur les techniciens de la distribution pour planifier leurs traitements, observe Caroline Le Roux. Les réglementations et les pratiques en matière de traitements phytosanitaires ne sont plus enseignées de manière approfondie dans les lycées agricoles ». Selon elle, la réticence au changement vient davantage d’une peur face à la pression des maladies et des conditions météorologiques. Même si les générations et modes d’échange ont changé, le collectif et l’accompagnement restent des leviers majeurs pour aller plus loin.