Dans la prochaine Pac qui entrera en vigueur en janvier 2023, les agriculteurs devront consacrer 25 % des aides dont ils bénéficient déjà à des écorégimes, c’est-à-dire des mesures favorables à l’environnement, qui s’ajoutent à une conditionnalité renforcée, intégrant la conditionnalité actuelle et les mesures du verdissement.

Accord sur une Pac plus verte

Après leur échec du mois de mai et trois années de discussions, les négociateurs de la présidence du Conseil des ministres de l’Agriculture, du Parlement européen et la Commission européenne réunis en trilogue sont parvenus à un accord sur la prochaine Pac, le 25 juin. Le compromis qui porte sur la répartition de 387 milliards d’euros (Md€) dont 270 Mds€ d’aides directes pour la prochaine programmation budgétaire 2023-2027 comprend trois volets : un règlement sur les plans stratégiques, un autre sur l’organisation commune des marchés et un règlement dit horizontal sur le suivi, le financement et la gestion de la Pac.

Le premier volet, celui qui a focalisé une grande partie des discussions, vise l’architecture verte de la prochaine Pac dont les écorégimes, et le nouveau modèle de mise en œuvre, via des plans stratégiques arrêtés par les États et validés par la Commission européenne. Les députés européens souhaitaient que 30 % des paiements directs soient consacrés aux écorégimes. Finalement les négociateurs sont tombés d’accord sur 25 % en moyenne sur 2023/2027, avec une période d’apprentissage de deux ans pendant laquelle les États s’engagent sur un plancher minimum de 20 % avec la possibilité de réaffecter les fonds non utilisés au sein du premier pilier en s’engageant à les compenser d’ici la fin de la période. Et pour ce qui est du deuxième pilier dédié au développement rural, 35 % des fonds devront être ciblés sur des programmes environnementaux, climatiques ou de bien-être animal.

La diversification reconnue ? 

Sur le sujet controversé de la conditionnalité des aides, c’est finalement la notion de rotation des cultures sur une même parcelle qui a prévalu (BCAE 8*), mais en tenant compte de la présence de cultures secondaires. La diversification des cultures pourrait être reconnue comme équivalente sous certaines conditions. Ainsi les États membres pourront autoriser d’autres pratiques « qui rehaussent la rotation des cultures avec des légumineuses ou une diversification des cultures, dans le but d’améliorer et de préserver le potentiel du sol en accord avec l’objectif de cette BCAE », précise l’accord. Ceci étant l’obligation de rotation ne s’impose pas quand 75 % des terres arables de l’exploitation sont dédiées à la production d’herbe, de plantes fourragères, de légumineuses ou de prairies permanentes, ni quand la surface arable est inférieure à 10 hectares.

Sur le point d’achoppement les zones non productives et de la jachère nue, les exploitants devront y consacrer au moins 4 % de leurs terres arables (BCAE 9). Cependant, ce pourcentage pourra être ramené à 3 % si l’exploitation implante des cultures dérobées ou des cultures fixatrices d’azote, cultivées sans utilisation de produits phytopharmaceutiques et d’engrais (SIE) sur plus de 13 % des terres arables de l’exploitation.

Restait également en suspens le niveau minimal obligatoire de convergence interne des paiements directs. Finalement, c’est le taux de 85 % de la valeur moyenne qui a été retenu avec une montée en puissance progressive dès 2023 et un aboutissement en 2026, la perte étant limitée à 30 % pour les bénéficiaires, comme le souhaitait Julien Denormandie. 

10 % de paiement redistributif 

Sur paiement redistributif qui avait également focalisé l’opposition entre le Parlement européen et le Conseil des ministres, et comme l’envisageait le ministre français, les négociateurs se sont accordés sur un taux de 10 % au moins au bénéfice des petites et moyennes exploitations. Sauf, si les États membres démontrent dans le cadre de leur plan stratégique que les besoins de redistribution sont atteints par d’autres instruments visant le même objectif comme la dégressivité ou le plafonnement des aides. Une avancée qualifiée d’historique par le rapporteur de ce règlement, le député européen Peter Jahr, en raison de son caractère obligatoire. 

S’agissant des soutiens couplés, ceux-ci ont été fixés à 13 % pour les productions autorisées, plus 2 % supplémentaires possibles pour les protéines végétales. La France a choisi pour sa part de retenir un taux 3,5 % pour les protéines végétales, une partie de l’enveloppe qui y est affectée est prélevée sur les aides couplées animales.

Enfin dernier sujet et non des moindre qui avait fait l’objet d’une profonde crispation dans le cadre des différents trilogues, l’insertion d’une dimension sociale dans la Pac. Une victoire pour le Parlement européen qui a obtenu que le versement des aides soit conditionné au respect des normes sociales et du droit du travail. Sa mise en œuvre sera volontaire en 2023 et obligatoire en 2025. Le rapporteur, Peter Jahr, a évoqué « succès incroyable » sur ce sujet, « et ce n’est qu’un début », a-t-il ajouté. 

Davantage de régulation 

Sur l’OCM unique, le deuxième volet de la réforme, la Pac se conclut par « davantage de régulation que de dérégulation », une première depuis la mise en place de la Pac en 1962 selon Eric Andrieu, le rapporteur du texte du Parlement européen. Dans l’ensemble la nouvelle Pac reste orientée vers les besoins du marché, mais elle renforce la position des agriculteurs dans la chaîne agroalimentaire en offrant à ces derniers davantage de moyens pour unir leurs forces, en prévoyant par exemple des exceptions au droit de la concurrence, notamment pour les produits sous signe de qualité. Idem pour les produits issus de pratiques visant des normes plus élevées en matière d’environnement, de santé animale ou de bien-être des animaux qui pourront échapper au droit de la concurrence.

Néanmoins, le rapporteur n’a pas obtenu l’interdiction des produits importés traités aux pesticides et non autorisés en Europe. Mais la Commission européenne s’est engagée à mettre en place une législation spécifique dans les plus brefs délais pour que « les pesticides interdits en Europe présents dans les produits importés ne soient plus tolérés ». Il n’a pas obtenu non plus que le sucre soit éligible à l’intervention publique en raison d’une minorité de blocage au sein du Conseil des ministres. 

Application en 2023 

Enfin sur le troisième volet de l’accord sur le règlement horizontal, une nouvelle réserve agricole sera introduite pour financer des mesures de marché en temps de crise. Elle sera dotée d’un budget annuel de 450 millions d’euros. « C’est une journée de réussite », estime Ulrike Muller, la rapporteuse du Parlement sur le sujet. En effet, la réserve de crise actuelle, qui aide les agriculteurs en cas d’instabilité des prix de marché, ne sera plus un instrument ad hoc mais deviendra un outil permanent pourvu d’un budget propre. « Nous n’allons pas reporter les fonds sur l’année suivante mais ils seront reversés aux agriculteurs l’année suivante, dès 2023 », a-t-elle ajouté.

Suite à cet accord en trilogue, le texte devait être avalisé par le Conseil des ministres de l’Agriculture réuni le 28 juin, puis adopté par le Parlement européen. Les nouvelles règles de la Pac devraient être applicables à partir du 1er janvier 2023. 

Accueil mitigé 

« Cet accord était nécessaire dès aujourd’hui pour préparer au mieux la future Pac et réussir dans de bonnes conditions sa mise en œuvre en France », indique la FNSEA. « Son contenu est tout sauf un statu quo pour les agriculteurs », poursuit-elle dans la mesure où entreront en vigueur une nouvelle conditionnalité des aides, des écorégimes qui représentent un quart du budget du premier pilier et des mesures agroenvironnementales et climatiques renforcées.

Sur le fond, la FNSEA considère qu’elle a limité les dégâts sur certains points, notamment sur une rotation annuelle stricte à la parcelle, initialement envisagée, ou un pourcentage d’écorégime trop important. Le Parlement européen souhaitait 30 %. Idem sur la convergence des aides retenue à 85 % qui va dans le sens de la position affirmée par la centrale. Les autorisations de plantation en vignes, la consolidation de l’organisation économique, la mise en œuvre du droit à l’erreur vont dans le même sens. En revanche, elle déplore l’obligation qui est faite de soustraire 4 % des terres de la production ou encore la non-éligibilité du sucre à l’intervention publique. « Maintenant, la France devra utiliser toutes les possibilités envisageables dans le cadre du Plan stratégique national (PSN) pour offrir de manière adéquate et réaliste des solutions pour permettre une production agricole compétitive, qui puisse se réaliser dans de bonnes conditions agronomiques et sur l’ensemble du territoire, tout en assurant un revenu correct pour les agriculteurs », conclut la FNSEA. 

 

Alignement sur le Green deal

La Pac s’aligne donc bien sur les objectifs du Green deal européen. Ce dernier point inquiète les États membres, qui devront présenter à Bruxelles d’ici le 31 décembre leurs projets de plans stratégiques nationaux. Toutefois, la ministre portugaise Maria Ceu Antunes a été chaleureusement applaudie pour avoir dégagé un accord qui respecte les grandes lignes de la position des Vingt-sept, même si le Parlement européen est parvenu à obtenir quelques concessions de dernières minute – notamment un engagement d’alignement des plans stratégiques nationaux (PSN) avec les objectifs du Green deal, c’est-à-dire sur l’architecture verte de chaque PSN.

Il s’agit de « la réforme de la Pac le plus ambitieuse depuis les années 1990 », se sont félicités à l’unisson le commissaire européen à l’Agriculture Janusz Wojciechowski et le président de la commission de l’Agriculture du Parlement européen. « Même si j’aurais bien sûr aimé aller un peu plus loin sur l’environnement, je crois que si nous concrétisons les engagements pris aujourd’hui dans le cadre des futurs plans stratégiques, cet accord va réellement donner un cap plus vert à la Pac », a renchéri le vice-président en charge du Green deal, Frans Timmermans.