Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne
« Mission » Climat acceptée ; les contradictions pour atteindre la neutralité carbone

Cédric Michelin
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Réunie le 27 juin à Beaune, l’Assemblée générale du BIVB a plus que voter son traditionnel budget. La profession des vins de Bourgogne s’est officiellement chargée d’une grande, noble, mais lourde « mission » : celle d’accompagner la filière – 4.000 producteurs au bas mot - afin d’atteindre collectivement la neutralité carbone en 2035. 103 actions ont été identifiées pour déjà réduire l’empreinte carbone individuellement. Aux professionnels de s’en saisir.

 

« Mission » Climat acceptée ; les contradictions pour atteindre la neutralité carbone

Il y a six ans à son arrivée, le directeur Christian Vannier se voyait remettre le projet de Cités des vins. En 2023, son successeur, Sylvain Naulin s’est vu lui confier la « mission » d’amener la filière des vins de Bourgogne, sur une pente de réduction de ses gaz à effet de serre, et compenser le reste. Une lourde charge, proche de 372.600 t CO2e (équivalent CO2). L’objectif est de réduire l’empreinte de 60 % et de compenser les 40 % restants. Cet « engagement majeur », était donc soumis au vote de l’assemblée générale de l’Interprofession, mardi à Beaune, qui sans surprise l’a approuvé à l’unanimité, avec la confiance des deux familles notamment, CAVB (viticulture) et Fneb (négoces). Le président du BIVB, François Labet mettait cependant en garde sur la difficulté à atteindre cette « Objectif Climat », jeu de mots avec la notion classée à l’Unesco, car le changement climatique va venir encore compliquer l’adaptation. D’ici 2035, il faudra en plus « réinventer nos itinéraires de production pour les adapter au climat. Ce dernier devrait être équivalent à celui d’Orange », ville méridionale. C’est donc l’occasion ou jamais de remettre à plat ses pratiques, en interrogeant l’intelligence collective.

103 actions à mener…

Pour tenter de convaincre plus largement les 3.600 domaines, 270 négoces et 16 caves coopératives composant a minima la filière, le BIVB organisait une table ronde sur le sujet. Le directeur du Pôle Technique, Jean-Philippe Gervais lançait les débats sur le meilleur moyen d’atteindre « la trajectoire idéale et être le vignoble modèle » en termes de neutralité carbone. Mais, lui qui aide à calculer les coûts de production des itinéraires techniques, sait pertinemment que rien n’est simple à concilier : arrêter les herbicides pousse à augmenter le travail du sol, vendre en direct oblige à plus de déplacements… Les contradictions sont partout et le diable se cache dans chaque détail. Après de nombreux ateliers et séminaires, le BIVB a « co-construit » un catalogue de neuf thèmes, 41 axes et 103 actions. Par exemple, sur le thème de l’emballage, un axe est d’alléger les bouteilles et une action est d’inciter à les utiliser. « Ce plan d’actions va principalement parler de votre modèle économique », ne cachait-il pas. Ce sont « des propositions d’actions » car le BIVB est bien conscient qu’il n’a pas « de légitimité à décider pour les entreprises ».

Toutefois, le BIVB a son rôle à jouer dans les négociations avec les verriers ou les opérateurs du fret, principaux postes d’émissions. « Ces négociations ne peuvent être que collectives, voir avec les autres interprofessions », pour faire changer ces multinationales.

Pour autant, il n’y a pas de petits gains d’émission et les leviers sont parfois faciles à enclencher, comme sur l’énergie en cuverie, ne « pesant que 5 % du bilan carbone » mais où il est rapide et facile d’économiser jusqu’à 50 % de ses émissions individuelles. Ce qui est moins le cas pour les traitements phytos, en raison de la pression des ravageurs et maladies cryptogamiques à gérer, analyse le BIVB.

 

Se fixer ses propres objectifs

Du Domaine Malandes à Chablis, Amandine Marchive témoignait en vidéo. Avec 30 ha pour 200.000 cols/an, la vigneronne a repris avec son frère le domaine familial en 2017, pour le convertir en AB en 2019. Son objectif était ensuite de passer de 85 % exports à 50 % de ventes en France. « On fait un gros travail pour supprimer les intrants chimiques dans nos vignes donc, cela nous paraît aberrant d’exporter à l’autre bout du monde via des transports extrêmement polluants ». Elle a donc développé son réseau de grossistes et agents pour doubler ses ventes en France en 5 ans. « Une belle part de notre objectif est atteinte », se félicitait-elle.

Du domaine Méo-Camuzet à Vosne-Romanée, Jean-Nicolas Méo a aussi commencé par un "gros" poste émetteur de CO2 : ses bouteilles verre. « Le bilan carbone du BIVB est source de réflexions. La bouteille est le gros poste. J’utilise une bouteille de moins de 600 g et j’essaye une bouteille de moins de 500 g, en l’expliquant à mes clients. Cela semble plaire et sans casse. J’ai changé de cartons pour en rentrer plus sur des palettes Europe et densifier mes envois. Je suis passé à la voiture électrique et j’essaye de partir moins souvent et plus longtemps en représentation », admettant que ces deux derniers gestes sont plus « anecdotiques ».

Le risque est de se dire que tout va bien

Si la cave des Vignerons des Terres Secrètes est depuis 2011 engagée dans une démarche plus large RSE (Responsabilité sociétale des entreprises), démarche nommée Vignerons Engagés, la responsable technique, Émeline Favre l’admet dans tout collectif, « il y a des coopérateurs plus en avance, d’autres viticulteurs plus en demande. Toute la difficulté est de savoir se structurer autour d’un vrai collectif et bien communiquer ». La prisséenne mettait même les pieds dans le plat Beaunois : « le vrai risque est que la Bourgogne viticole va bien et qu’elle se repose sur ses lauriers ». L’assemblée générale brandissait le spectre de la crise du Bordelais en bout de course…

Le diable se cache dans les détails et partout, du verrier proposant « 20 références de Bourgogne alors que 3-4 paraissent logiques » aux « étiquettes avec deux pigments naturels réduisant le visuel ». Tout est question de compromis à toutes les étapes de la chaîne de production. S’ensuit un nouveau travail d’explication aux clients, individuellement pour l’heure, avant de massifier sur l’ensemble des gammes, notamment premium. Elle l’avoue, le travail sur la gamme écoconçue Cerço a néanmoins eu pour plus grande vertu « d’ouvrir les yeux » des derniers récalcitrants, salariés et prestataires compris.

Bio, conventionnels, RSE… même défi

Seul sur son domaine Chablisien, Louis Poitout figurait parmi les premiers à vouloir se lancer dans un bilan carbone, il y a quinze ans, mais le BIVB « n’était pas mature », reconnaît aujourd’hui l’Interprofession, qui était bien embêtée sur le lourd bilan carbone du Bio en ventes directes, alors en plein essor. Aujourd’hui, les débats se sont apaisés et des crus, comme pouilly-fuissé par exemple, ont décidé d’arrêter les herbicides de synthèse, nivelant ainsi les cahiers des charges.

Reste qu’avec un catalogue de « 103 directions à prendre », Louis Poitout estime encore « très complexe pour un petit vigneron » comme lui de choisir parmi la somme d’actions proposées ce jour au BIVB. « Je ne sais pas faire et je perds du temps, donc je risque d’abandonner », admettait-il publiquement pour montrer les limites de l’exercice à ce stade. En réalité, comme beaucoup, il n’a pas attendu pour avancer sur le sujet avec des pompes à chaleur au chai, un tracteur de moindre puissance… et demain des toitures bâtiments repeint en blanc pour "repousser" la chaleur. Son message à l’adresse du BIVB était simple, les vignerons ne doivent pas être laissés au milieu du gué et ont « besoin d’être épaulés » pour réussir leur transition technico-économique vers la neutralité carbone.

Rattraper le retard et le climat

Encore directeur du BIVB jusqu’à la fin du mois, Christian Vannier en est conscient et a déjà expliqué à son successeur : « le BIVB est un outil ». Des animations et formations seront prochainement proposées. Ce qui est moins facile sera de suivre les progrès des « 4.000 initiatives individuelles. On l’a vu sur la diminution des phytos, c’est compliqué » de recueillir, ne serait-ce, que les informations. Encore moins sur 103 actions possibles. Le BIVB a donc resserré l’éventail des actions à une « cinquantaine ».

« Les esprits sont prêts. Le problème est qu’on a pris du retard et on doit maintenant aller vite. On n’évitera pas des injonctions. Donc, il vaut mieux choisir et communiquer positivement », encourage Jean-Nicolas Méo. Le BIVB en est conscient, la trajectoire ne « sera pas un beau trait » comme sur le graphique projeté vers la neutralité, mais plutôt parsemé de jalons « erratiques ». Même si la profession « est interrogée par les élus, les journalistes… », pas de précipitation à ce stade. « On ne communiquera que sur des faits, donc pas tout de suite », conclut le BIVB qui a peur logiquement de voir son Objectif Climat jugé comme du « greenwashing ».

Le mot de la fin revenait au président Labet redonnant de la hauteur sur ce défi générationnel : « Notre responsabilité et nos engagements sont attendus par nos clients et nous le devons aux générations futures. L’ampleur des adaptations à venir est considérable et il ne suffira pas de réduire notre empreinte carbone », préfigurant déjà des suites, certainement autour de l’eau, l’air, la biodiversité…