Revenu des agriculteurs
« Égalim 2 réclame de notre part de la vigilance »

Sénatrice de Côte-d’Or, Anne-Catherine Loisier vient d’être nommée rapporteure de la proposition de loi Égalim 2. Une fonction qu’elle avait déjà assumée pour Égalim 1. L’objectif de cette loi était de rééquilibrer les rapports de force entre producteurs, industriels et distributeurs de produits issus de l’agriculture. La sénatrice balise pour nous le chemin qui reste à accomplir...

« Égalim 2 réclame de notre part de la vigilance »
Pour la sénatrice de Côte-d'Or, « Egalim 2 réclame de la vigilance face à tout ce qui risque d'affaiblir la possibilité d'un rééquilibrage du rapport de force entre producteurs, industriels et distributeurs ».

Vous avez été nommée rapporteure de la proposition de loi Égalim 2 le 8 juillet. En quoi consiste cette fonction ?
Anne-Catherine Loisier : Mon rôle sera d’instruire le texte pour le compte de la Commission des affaires économiques du Sénat. J’aurai à proposer une lecture de la proposition de loi mais aussi des amendements que je soumettrai à ladite commission. Le texte sera ensuite soumis à l’assemblée. J’avais déjà été rapporteure pour Égalim 1 aux côtés, à l’époque, du sénateur de Haute-Saône, Michel Raison. C’est donc une continuité pour moi. 

Vous abordez cette mission avec une expérience déjà solide d’Égalim ...
A-C. L. : Au Sénat, nous avons monté un groupe de suivi de la loi Égalim parce qu’au terme du vote de la première version, un certain nombre de points nous interpellaient déjà. Nous souhaitions suivre la mise en œuvre et la pertinence des dispositions contenues dans Égalim 1. Dans Égalim 2, on retrouve des points que nous avions déjà mis en évidence à l’époque, notamment en matière de contractualisation mais surtout pour ce qui touche à l’indexation des prix, avec des révisions systématiques en lien avec la hausse des matières premières. 

Égalim 1 semble avoir beaucoup déçu dans les milieux agricoles, et en particulier dans l’élevage, par rapport aux attentes qu’elle avait pu générer. Avec le recul, quel regard portez-vous sur ce qui a été fait ?
A-C. L. : Dès le départ, le Sénat a loué l’objectif d’amélioration de la rémunération des agriculteurs porté par Égalim 1. Cette première mouture comportait aussi un volet consacré à une alimentation saine et durable. Dès le départ, nous nous sommes interrogés sur les réelles capacités à atteindre les objectifs fixés, dans la mesure où il n’y avait pas d’accompagnement permettant d’affirmer qu’on allait renverser le rapport de force existant entre producteurs, industriels et distribution. Même dans Égalim 2, il est permis de s’interroger. On voit bien qu’aujourd’hui encore, le rapport de force met les producteurs à la merci des industriels et transformateurs. Renverser ce rapport est d’autant plus compliqué qu’intervient aussi la Loi de modernisation de l’économie (LME) qui, quelque part, fournit des outils pour la guerre des prix, au détriment, une nouvelle fois, des producteurs. Le Sénat, très tôt, a aussi souligné le fait que si les prix sont un élément majeur du revenu des agriculteurs, ils ne sont pas l’unique élément. On doit aussi prendre en compte les charges qui pèsent sur les producteurs. Dans un contexte où on continue à alourdir ces charges, on ne parviendra pas plus à rééquilibrer ce rapport de force. Nous sommes très vigilants sur l’environnement dans lequel évoluent ces producteurs, en termes de contraintes sanitaires, de normes, et dans la loi Climat et Résilience, adoptée le 19 juillet par le parlement, un certain nombres de charges ont encore été mises sur le dos des agriculteurs... 

La proposition de loi Égalim 2 doit être examinée à partir de début septembre. Sur quels points souhaitez-vous travailler pour l’améliorer ?
A-C. L. : Si on prend, par exemple, le volet de la contractualisation pluri-annuelle, on peut considérer que c’est une avancée, encore faut-il que cela se passe dans de bonnes conditions. Alors qu’on dit que la contractualisation doit être obligatoire dans tous les secteurs, on a vu arriver à l’Assemblée nationale de nombreux débats sur les exemptions et sur la pluriannualité des contrats, qui serait la règle pour l’amont, mais pas forcément pour l’aval... La trame reste bonne mais on doit faire en sorte que les différents amendements qui ont pu être portés à l’Assemblée nationale et ceux qui pourraient être portés au Sénat ne viennent pas encore affaiblir la puissance que chacun souhaite donner aujourd’hui à la contractualisation obligatoire pluriannuelle. C’est aussi le cas pour tout ce qui concerne les modalités de révision automatique des prix, point sur lequel nous avions fait une proposition de loi dès 2018. Les craintes qui s’expriment, c’est qu’au final, la loi comporte des possibilités d’affaiblissement du système, ou de contournement. Si on veut renverser le rapport de force, il faut que les outils nécessaires soient disponibles rapidement. Il ne faut pas répéter ce qui s’est passé avec Égalim 1 où les industriels et les distributeurs ont demandé de nombreux assouplissements ce qui, au final, n’a pas permis d’atteindre les objectifs d’une meilleure rémunération pour les agriculteurs. 

Dans ce contexte, il y a un sujet qui vous tient particulièrement à cœur, c’est celui des Marques distributeurs (MDD)...
A-C. L. : Je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas une symétrie des contraintes. Clairement, avec Égalim 1, les MDD ont constitué une sorte d’échappatoire pour les distributeurs. Cela leur a permis de mettre la pression sur les petits producteurs et même les industriels. Très souvent, dans les rayons aujourd’hui, le produit en MDD est mis en avant aux dépens d’autres marques. Ces MDD sont un levier pour les distributeurs : si une marque autre ne veut pas se soumettre aux exigences des distributeurs, on valorise la MDD à sa place. Je suis bien consciente que derrière ces MDD il y a aussi des PME qui ont le droit de vivre mais je ne vois pas pourquoi elles ne seraient pas soumises, de la même manière, au système des indicateurs, à la pluriannualité... J’aimerais aussi, dans le cadre d’Égalim 2, qu’on puisse agir sur le Seuil de revente à perte (SRP). C’est le « carburant » du dispositif puisqu’il permettait aux distributeurs de refaire des marges qu’ils allaient redistribuer aux producteurs. Ces marges, les distributeurs les ont bien réalisées -on estime que cela a représenté entre 400 et 600 millions d’euros- mais nous n’avons aucune visibilité sur ce qui a été effectivement redistribué. Une partie a sans doute été redistribuée sur les MDD, mais, finalement, pour faire monter la pression sur les autres producteurs. Je ne remets pas en cause le SRP mais, en tant que législateur, je m’interroge sur le bon usage de ces deniers qui sont quand même liés à une évolution des prix payés par le consommateur. C’est le grand silence autour de ce sujet... J’aimerais qu’on dispose au moins d’un bilan d’étape sur cette question, parce qu’il s’agit de sommes importantes.

Vous êtes élue d’un territoire rural et agricole. Quels retours de terrain aviez-vous par rapport à Égalim 1 ?
A-C. L. : Il y a eu beaucoup de déception. Saulieu (dont Anne-Catherine Loisier a été maire, NDLR) est en plein bassin allaitant et en pays de charolaises. Avec Égalim 1, la filière bovins viandes n’est absolument pas sortie de la crise dramatique qu’elle traverse. Au contraire, la situation est toujours tendue. J’ai, sur tout cela, une vision avec un prisme particulier : celui de la filière bovine. Elle attend beaucoup d’Égalim 2, notamment sur le volet de contractualisation obligatoire, un principe qu’il ne faut pas affaiblir.

Propos recueillis par Berty Robert