Influenza aviaire
Décryptage des questions soulevées par la crise

Une souche virale hautement contagieuse qui se propage à vitesse grand V, une introduction par les oiseaux migrateurs, puis une propagation en tache d’huile dans les Landes, des retards à l’allumage dans la réponse sanitaire… Dans le Sud-Ouest, l’influenza aviaire fait autant polémique que la gestion du Covid-19. Décryptage des questions soulevées par la crise.

Décryptage des questions soulevées par la crise

Mi-janvier, tous les ingrédients étaient réunis pour un nouveau scénario catastrophe, trois ans après l’épisode d’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) de 2017. Lors du dernier décompte disponible, au 11 janvier, le ministère de l’Agriculture dénombrait 197 foyers d’IAHP (170 dans les Landes, sept dans les Pyrénées-Atlantiques, six dans le Gers et deux dans les Hautes-Pyrénées). Pourtant, le virus H5N8 semble proche de celui rencontré il y a trois ans, et les investissements massifs dans la biosécurité permettent à de nombreux éleveurs de mettre leurs animaux à l’abri en cas d’alerte sanitaire. Sur le terrain, de nombreuses questions émergent et des controverses refont surface, autour de l’élevage en plein air notamment.

Si beaucoup d’éleveurs constatent une intensité sans précédent, le spécialiste de l’influenza aviaire, Jean-Luc Guérin, professeur à l’École nationale vétérinaire de Toulouse, appelle toutefois à « se méfier des illusions d’optique : il y a quatre ans, il était aussi très contagieux ».

L’ennemi est donc sensiblement le même, mais les défenses ont une nouvelle fois cédé. Malgré les lourds investissements réalisés et les mesures de biosécurité prises depuis 2017, la rapidité de propagation du virus a pris de court pouvoirs publics et professionnels. Le point sur les questions soulevées par ce troisième épisode d’IAHP en cinq ans.

Le plein air pointé du doigt

Comme en 2017, « la première introduction s’est probablement faite via un élevage plein air », à partir des oiseaux migrateurs, estime Gilles Salvat, directeur de la santé animale et du bien-être des animaux à l’Anses.

« Il y avait des milliers de canards en Chalosse en plein air au moment où le virus est arrivé », constate Jean-Luc Guérin. Alors que toutes les volailles de l’Hexagone doivent être claustrées depuis le 17 novembre 2020 (date du passage en risque « élevé »), le président de la FDSEA des Landes François Lesparre estime qu’« il aurait fallu être moins souple sur les dérogations ». Sauf que l’élevage plein air, « c’est l’ADN des Landes, on ne va pas revenir dessus », martèle Hervé Dupouy, responsable de la section palmipèdes de la FDSEA. « Nous sommes ouverts à tout, il faut mettre toutes les solutions sur la table : mise à l’abri totale sous filet, vaccination, etc. ». À long terme toutefois, « faire du plein air sans risque pendant les périodes à risques, ce n’est pas possible », tranche Gilles Salvat. Pour continuer le plein air, les éleveurs devront « adapter les conditions zootechniques les années d’alertes fortes », propose-t-il, c’est-à-dire abaisser leur cheptel « à un niveau qui permette de réduire la densité en bâtiment si les animaux viennent à être claustrés. Ce n’est pas antinomique avec le fait d’avoir des animaux en plein air le reste du temps ».

La claustration suffit-elle ?

Après l’introduction du virus, « l’activité humaine a ensuite pris le relais, avec les mouvements de personnes, de matériel ou d’animaux contaminés, explique Nicolas Eterradossi, de l’Anses. Même le paillage peut jouer un rôle ». Cette propagation en " tache d’huile " n’épargne pas les animaux confinés. « Le virus a pénétré dans des élevages très claustrés chez des éleveurs en autarcie qui se muraient chez eux », confirme Jean-Luc Guérin.

À une pression virale dans la faune sauvage « bien plus forte qu’il y a quatre ans », selon lui, s’est ajoutée la tempête Bella. La Chalosse et plus largement la rive de l’Adour sont en alerte inondation depuis début décembre. En temps normal, « la pluie a plutôt tendance à faire tomber les particules », relativise Gilles Salvat. Mais en cas d’inondations, « les eaux de surface sont contaminées. Dans les zones très humides, le virus survit bien dans les eaux de surface – surtout dans la vase – et d’autant mieux avec des températures assez basses ». Dernier facteur aggravant : le vent, qui peut transporter le virus « dans l’extrême proximité, à quelques centaines de mètres », estime le responsable de l’Anses.

Résultat : « le virus est partout », souffle François Lesparre. Dans ces conditions, il est établi que la claustration seule ne suffit pas à protéger les animaux. Pas tout à fait.

« En 2016-2017, on avait bien mis en évidence le facteur des transferts d’animaux. Là, il est trop tôt pour le dire, tempère Gilles Salvat. Nous ne pourrons faire cette évaluation qu’en post-crise ». Pour le responsable de l’Anses, « il y a eu une réorganisation de la production » depuis le précédent épisode entre zones d’élevage et de gavage. Par exemple, « il n’y a pas d’échange d’animaux entre le Périgord et les Landes, et aujourd’hui on n’observe pas de cas en Périgord ». « Des efforts considérables ont été faits en biosécurité, rappelle Nicolas Eterradossi. Tous les animaux sont testés avant d’être déplacés, des investissements ont été faits, des formations organisées. Les mouvements d’animaux sont beaucoup plus contrôlés ».

D’autres épisodes ?

Après trois épisodes d’influenza aviaire hautement pathogène en cinq ans, la filière avicole doit-elle se préparer à vivre en permanence avec ce risque ? « L’apparition du virus de l’influenza dans les colonies d’oiseaux migrateurs dans les années 2010 change la donne de manière durable, rappelle Jean-Luc Guérin. Il n’y a aucune raison que cela change l’année prochaine ». Seule certitude dans cette épizootie : après l’heure de la gestion de crise viendra donc, une nouvelle fois, celle du débat de fond sur l’avenir de la filière.