Tonnellerie et viticulture
"Un tonneau doit être l’écrin du vin, comme s’il s’agissait d’une œuvre d’art"

Frédéric RENAUD
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Si la vigne pousse sur les bois du cep, le jus de raisin devient le vin en passant du temps entre des morceaux de bois. L’académie de Mâcon a donné la parole à deux experts du vignoble du Mâconnais pour identifier ce lien particulier entre le bois et la vigne.

 

"Un tonneau doit être l’écrin du vin, comme s’il s’agissait d’une œuvre d’art"
Le métier du tonnelier ? « "cuisiner" des fûts, pour qu'ils deviennent des outils de vinification et d’élevage, » décrit Jean-Marcel Jaeglé.

Jean-Jacques Vincent, ancien président de l’appellation Pouilly-Fuissé et ancien gérant du domaine du château de Fuissé, et Jean-Marcel Jaeglé, Gérant de la tonnellerie Dargaud et Jaeglé à Romanèche-Thorins, se sont attelés à cette tâche, lors d’une conférence donnée le 19 janvier.

C’est le tonnelier, Jean-Marcel Jaeglé, qui prenait la parole en premier devant les membres de l’Académie de Mâcon et en particulier de ceux du Pôle agriculture et viticulture.

« Aujourd’hui, on demande au tonnelier un mariage parfait entre le vin et le bois. Un tonneau doit être l’écrin du vin, comme s’il s’agissait d’une œuvre d’art à mettre en valeur.

Le premier moyen pour mettre le vin en valeur, c’est la matière des cuves. La matière première du tonnelier se compose principalement de deux espèces, le chêne pédonculé et le chêne sessile.

Un autre moyen de différenciation vient du séchage. Il permet d’adoucir ou d’apaiser les tanins du vin. Ceux du bois, particulièrement agressifs, et ceux de la vigne peuvent se marier l’un à l’autre. Mais pour que le mariage fonctionne, il faut que le temps agisse, pour adoucir la composition chimique du chêne : chaque pièce va recevoir une quantité de pluie, de neige, des vents, de gel et être ensuite réchauffée. La durée du séchage, c’est au minimum 18 mois, en moyenne deux ans. C’est une donnée qui varie selon les tonneliers, selon les usages finaux aussi. Notre zone de travail se caractérise par son humidité, celle du Val de Saône : car notre paradoxe, c’est que pour bien assécher les bois, on a besoin de beaucoup d’humidité ! Dès que le bois atteint 15 à 17 % d’humidité, on le passe à l’usinage, pour obtenir les douelles ou douves, qui partent ensuite au montage.

L’autre moyen de différenciation des vins provient de la chauffe. Il y a deux étapes, et d’abord l’assouplissement des fibres de bois, en vue du cintrage. On pratique une immersion dans l’eau bouillante, de 20 minutes, pour obtenir une certaine élasticité ; cette étape permet aussi le dégorgement des tanins les plus agressifs. En passant les fûts sur les braseros, on obtient la deuxième partie de la chauffe, alors qu’ils sont encore humides. On procède à une cuisson, qui permet de pénétrer profondément le bois sans l’endommager, en transformant la composition chimique du chêne. Les différentes formes de chauffe apportent une panoplie de goûts, du beurre frais à la torréfaction, en passant par les fruits secs.

Les clients indiquent donc un niveau de chauffe, de léger jusqu’à intense, en fonction des objectifs de goûts, qu’il s’agisse de faire ressortir la minéralité, pas du tout de vanille, ou le plus naturel possible. C’est un outil très important pour coller à la demande du viticulteur : un tonnelier « cuisine » ainsi des fûts. Car son souci, c’est de révéler le vin, sans forcément générer un boisage. Le fût est conçu pour devenir un outil de vinification et d’élevage ».

 

Second intervenant et avis complémentaire, Jean-Jacques Vincent poursuivait les propos de son partenaire en narrant les besoins du viticulteur, d’après son expérience au Domaine du Château de Fuissé, dont il a été le gérant.

« L’influence de l’homme sur ses raisins s’effectue aussi par la vinification. Un grand soin est apporté à son suivi. Toutes les combinaisons sont possibles, avec l’utilisation ou non de barriques neuves, permettant au mieux l’expression des caractéristiques intrinsèques du parcellaire. Les vinifications parcellaires ont toujours été la règle au domaine. Chaque année, une quinzaine de lieu-dits sont vinifiés de cette manière. Elles sont conduites en barriques, dont les plus anciennes ne dépassent pas cinq ans d’âge, en excellent état. Ceci nous permet d’analyser sur plusieurs années les caractères propres de la parcelle et de constituer un historique.

Le parcellaire est choisi en fonction de sa situation à l’intérieur de notre propre vignoble : avec des parcelles qui ont une excellente exposition, généralement est/sud-est, avec des sols de type bathoniens (strate géologique datant du Jurassique, N.D.L.R.) principalement. L’âge des vignes de la parcelle est aussi l’un des critères. Car les trop jeunes vignes portent un caractère dilué du fait d’une production plus importante. Et elles pourraient porter un préjudice à l’intérêt final de la parcelle.

Au lieu-dit « Les Combettes », on n’utilisait pas de barrique neuve. Car les tanins apportés par leur usage masquaient trop le caractère très minéral de cette parcelle. La structure légère de ces vins ne fait pas envisager une très longue garde ; les Combettes ne bénéficient pas de la classification « 1er cru ». Les notes de dégustation orientent vers une couleur or brillant à reflets verts, un nez noisette, beurré, minéral et floral, une attaque fraîche et dense.

Le climat « Les Brûlés » bénéficie, lui, de la classification « premier cru », à Fuissé. Pour soutenir la puissance de ce vin, nous le vinifions uniquement en barriques neuves. Et la puissance de ces vins est telle que les notes boisées n’apparaissent que très légèrement. Localement, on dit que ce vin « mord le bois ». Parce qu’il est riche, gras, droit et mûr. En dégustation, on constate une couleur jaune clair brillante, un nez de fruits mûrs et amples, un fond discret de sucre brûlé, de grillé, une bouche très ronde et grasse, des notes de miel d’acacia et de brioche, de noisettes, avec une bonne pointe de fraîcheur. C’est un vin complet et puissant, long en bouche ».

(1) barriques ou fûts, les deux intervenants parlent pourtant de la même chose.

(2) c'est un étage géologique du Jurassique, caractérisée par des alternances de marnes et de calcaire. Ce type de sols se sont formés il y a 166 millions d'années.