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Journée Agence de l'eau : "Produire autant avec moins d'eau est déjà un défi"

Florence Bouville
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Outre les retours d'expérience, de riches débats ont nourri les échanges de la journée du 9 mars. Débats parfois éloignés de la question spécifique de l'eau, véhiculant cependant un message très positif envers le monde agricole. La volonté d'action de l'Agence de l'eau et des acteurs présents est claire : aucune avancée ne se fera sans les agriculteurs et agricultrices du bassin. Au cours des discussions, peu de solutions concrètes ont été abordées mais un consensus est nettement ressorti sur les défis de demain (pratiques à mener, valeurs à véhiculer...). 

Journée Agence de l'eau : "Produire autant avec moins d'eau est déjà un défi"
Table ronde réunie le 9 mars à Mâcon. De gauche à droite : Eric Savignon, Christian Morel, Laurence Henriot, Jean-Pierre Royannez, François-Claude Cholat, Emmanuel Hugo.

Avant même de rentrer au cœur du sujet de la gestion de l’eau, tout le monde s’accorde sur un point : la juste rémunération des agriculteurs. Cette dernière est au centre de toutes les préoccupations. Quels que soient les projets menés, « les paysans doivent pouvoir vivre de manière décente » déclare François Lavrut, président de la chambre d’agriculture du Jura. « Si on ne rémunère pas l’agriculteur, on n’y arrivera pas », ajoute François-Claude Cholat, président-directeur général de la Maison François Cholat. Malgré la diversité des profils réunis autour de la table et dans l’assemblée, la vision est donc partagée : « l’agriculture est à mettre au centre […] et il faut trouver les bonnes solutions pour maintenir la production agricole », déclare Jean-Pierre Royannez, président de la chambre d’agriculture de la Drôme. En tant que vice-président en charge de l’eau potable à Bièvre Isère Communauté, Éric Savignon insiste sur le fait que « les collectivités doivent montrer l’exemple ». « Le problème de l’eau et de l’accès à la terre date de la nuit des temps », souligne François Lavrut. Ajoutée à cela, l’intensification du changement climatique, qui rend l’eau moins disponible en période estivale, sur l’ensemble du territoire.

« Aujourd’hui, aucun agriculteur ne remet en cause le changement climatique »

Christian Morel, vice-président en charge de l’agriculture, de la viticulture et de l’agroalimentaire à la région Bourgogne-Franche-Comté, explique avoir, autrefois, été agriculteur dans un bassin-versant près de Besançon. Sur ce territoire, ils réfléchissent à la gestion de l’eau depuis vingt ans. Cela montre que l’agriculteur est bien conscient, parfois même pionnier, des enjeux environnementaux qui l’entourent. Laurence Henriot, présidente de l’association Bio Bourgogne et installée en Gaec sur sa ferme bio en polyculture élevage, redoute les prochaines années. Elle devra sûrement baisser son cheptel, car elle ne pourrait pas se permettre d’acheter des gros volumes de foin. Elle confie avoir perdu une bête l’été dernier, probablement à cause d’une insolation. Pour Jean-Pierre Royannez, « obligatoirement le niveau de production va baisser ». À l’échelle de son exploitation à 80 % irrigable et 60 % irriguée, il a déjà constaté une baisse de rendement de 30 %. Avec la chambre, ils se sont rendus en groupe au Maroc et en Tunisie, pour voir quelles étaient les espèces fourragères cultivées là-bas. Les voyages en Grèce et en Espagne ont permis d’étudier les cépages résistant aux fortes chaleurs. « Mais ce n’est pas tout d’observer, il s’agit ensuite de tester et de cultiver en France », précise-t-il. Pour Christian Morel, « il faut qu’on soit plus autonomes et autosuffisants dans nos productions et arrêter d’importer de l’eau ». Il fait ici référence à l’eau virtuelle issue des produits que nous importons et qui creuse un peu plus notre impact environnemental.

« Il faut revenir à l’agronomie »

« Notre génération a vu le sol comme seulement un support de production, il faut revenir à l’agronomie et proposer plus de formations », poursuit Christian Morel. Il faut bien comprendre qu’avant, l’eau n’était pas considérée comme un "intrant" à réguler et à préserver. Même au sein de l’Agence de l’eau, cette perception a changé. Une filière à Bas Niveau d’Intrant (BNI) prend désormais en compte les projets économes en eau. On parle donc de plus en plus de "retour à l’agronomie", à juste titre, car les mentalités et les pratiques vis-à-vis de la ressource en eau sont en train de considérablement évoluer. Toujours est-il qu’un « vrai travail de pédagogie est à faire, un agriculteur ne changera ses pratiques que s’il comprend pourquoi », soutient Christian Morel. Parfois, les mesures étatiques pêchent car elles se basent uniquement sur un calendrier politique, en oubliant « le calendrier des réflexions agronomiques ». Pour Emmanuel Hugo, président du centre Inrae Clermont-Auvergne-Rhône-Alpes, il va falloir travailler simultanément sur les deux aspects de la recherche : « la rupture et l’incrémental ». Réaction de Jean-Pierre Royannez : « moi le mot rupture me pose problème, qu’est-ce qu’on met derrière ? […] L’agriculture d’aujourd’hui n’est plus celle d’il y a 30-40 ans ».

Des dialogues et des animations en commun

Gros point positif dans le monde de l’eau : le dialogue et l’entraide entre acteurs, sur des thématiques multiples. Par exemple, la chambre de la Drôme travaille actuellement sur plusieurs Projets Alimentaires Territoriaux (PAT) et propose une animation en commun. Autre champ d’action, les Aires d’Alimentation de captages (AAC). « Sur les territoires d’AAC, tout le monde dialogue ensemble », souligne François-Claude Cholat. De même, en comité de bassin, les votes se font généralement à l’unanimité et « il y a réellement capacité à parler », affirme Laurent Roy, directeur général de l’Agence de l’eau. Les Projets de Territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) sont également un outil collectif intéressant mais « il en manque encore sur des petits territoires », remarque Jean-Pierre Royannez. Tout n’est pas encore gagné, notamment concernant la doctrine Éviter Compenser Réduire (ERC), pointée par François Lavrut. Les pertes socio-économiques liées à l’agriculture sont fréquemment sous-estimées et trop peu compensées lorsque disparaissent des terrains agricoles.

De nombreuses questions restent ainsi en suspens : comment concilier affluence touristique et gestion des milieux aquatiques ? Quelles variétés culturales et quels itinéraires techniques va-t-on pouvoir garder ? Quels débouchés rentables pour revenir à une juste rémunération, condition de départ ? Comment articuler les dispositifs nationaux avec la Pac ? Au sujet de la politique européenne, Laurent Roy se dit d’ailleurs « déçu de la manière dont sont mis en place les paiements verts de la Pac, loin d’être aussi élaborés que les Paiements pour services environnementaux ». Bien sûr, « les défis sont encore nombreux », conclut-il. Défis d’autant plus nombreux dans un monde où « on continuera à avoir non pas une, mais des agricultures », souligne Emmanuel Hugo. Pour Jean-Pierre Royannez, c’est certain, « il faut un pacte de confiance entre les gens ».