EXCLU WEB / Le blé de la Mer Noire en juge de paix

Christophe Soulard 
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Cette année encore les analystes économiques ont les yeux tournés vers la Mer Noire où les deux principaux opérateurs, en guerre ouverte depuis le 24 février, vont donner le « la » des échanges de céréales, notamment de blé, sur les marchés mondiaux. 

EXCLU WEB / Le blé de la Mer Noire en juge de paix

Le cours du blé devrait, selon Nicolas Cordier, chef analyste à Argus Media France (AMF /ex-Agritel) se maintenir encore quelques temps aux alentours de « 300-330 euros /tonne » même si dans la seule journée du 29 août, son prix s’est accru en une séance de +5 % en raison de la contre-offensive de l’Ukraine sur le Donbass. Or de telles variations ne s’observent en règle générale que sur un mois. Le cours du blé pourrait tout aussi bien « chuter si les hostilités entre Moscou et Kiev devaient s’arrêter », a-t-il ajouté lors d’une conférence de presse le 30 août. Le marché reste donc très volatil en raison de nombreux facteurs : la bonne tenue ou non des devises, en particulier le dollar ; la météo qui a fait chuter la production de blé français (lire encadré) ; les incertitudes liées à la demande (pouvoir d’achat des ménages et des pays importateurs) et aussi celles liées à la géopolitique.

« La tension peut reprendre » 

Ainsi cette année, la Russie s’attend à une récolte record avec une production de 95 millions de tonnes (Mt) de blé, soit « 20 Mt de plus que la campagne précédente », a expliqué Nicolas Cordier. Le record de la campagne 2020/2021 (85,4 Mt) est largement dépassé. Avec un stock de 13 Mt, la Russie dispose de près de 100 Mt. Bien que le début de campagne à l’export soit « moyen », les opérateurs russes s’attendent à vendre 42 Mt de tonnes sur les marchés internationaux, en partie vers les pays « amis » comme la Chine ou l’Inde. Soit presque 6 Mt de plus que la moyenne. Même si l’Ukraine a vu sa production de blé chuter de 33 Mt à 19,6 Mt, elle reste un opérateur de premier plan. Elle pourrait exporter 12 Mt de blé contre 18,1 Mt en moyenne ces cinq dernières années. Les deux pays belligérants représentent toujours presque un tiers des exportations de blé dans le monde. Malgré le conflit, les niveaux de stock pourraient être, au moins sur le papier, « colossaux » avec 27,2 Mt, en incluant ceux du Kazakhstan à ceux de l’Ukraine et de la Russie. D’autant que cette dernière a vu ses exportations chuter de 17 % malgré le fait qu’il n’existe aucune sanction occidentale envers l’exportation de céréales russes. Or « sans une véritable accélération des exportations de la zone Mer Noire, la tension peut vite reprendre, les marges de manœuvre des autres pays exportateurs étant limitées », a précisé Nicolas Cordier.  

Faibles disponibilités 

En effet, l’Europe est confrontée à des disponibilités en blé jugées « moyennes » par AMF. La production globale devrait atteindre 131,2 Mt en repli de 7 Mt par rapport à la campagne précédente. Si la France a perdu 4 % de sa production, la Hongrie (-20 %), l’Espagne (-19 %) et l’Italie (-19 %) affichent des pertes importantes, que les bonnes récoltes dans les pays du Nord (+17 % en Finlande, + 11 % au Danemark, + 25 % en Estonie par exemple) ne parviennent qu’à peu compenser. Les États-Unis eux-mêmes connaissent une situation « relativement hétérogène », malgré un rebond de leur production de blé de +3,8 Mt à 48,5 Mt. Les disponibilités du marché nord-américain (20,7 Mt pour les États-Unis et le Canada) restent « faibles », a souligné l’analyste d’AMF. « Les marchés restent donc fragiles et tendus », a-t-il conclu. 

 

France : une récolte de blé à 33,6 Mt 

« C’est la 7e pire récolte du XXIe siècle », a jugé Nathan Cordier. Après une récolte moyenne de 35,4 Mt lors de la campagne 2021/2022, la campagne qui s’ouvre devrait confirmer une chute de la production de blé à 33,6 Mt, très loin du record de 2015/2016 (40,9 Mt) mais mieux que celle catastrophique de 2016/2017 (27,5 Mt). Les rendements devraient rester dans la moyenne autour de 71,6 quintaux/ha. Quant à la qualité, elle reste très hétérogène. Ainsi un quart de la récolte affiche moins de 11 % de protéines « mais elle sera valorisée auprès du bétail qui en a besoin », a précisé l’analyse d’AMF. Le blé français reste une valeur sûre à l’export, tant à l’intérieur de l’Union européenne (7 Mt) qu’à l’extérieur (10,2 Mt). « Avec plus de 2,5 Mt chargées en juillet et août, 25 % du potentiel export est déjà réalisé », a expliqué Nathan Cordier qui estime que la « demande export devra ralentir, soit par une hausse des prix, soit par une reprise des exportations de la Mer Noire ».