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Emploi agricole

70.000 postes à pourvoir

L'agriculture recrute, mais les candidats sont peu à se bousculer pour ces métiers dont ils redoutent le plus souvent la pénibilité. Et il ne s'agit plus pour les agriculteurs de trouver des bras, par défaut, pour les travaux des champs, mais du personnel qualifié pour des tâches de plus en plus techniques. Le gouvernement et les acteurs économiques du monde rural se sont engagés à résoudre cette équation par la signature, le 3 mai, d'une charte pour l'emploi, destinée, outre à revaloriser ces métiers, à développer la formation. D'autres efforts semblent déjà nécessaires...
Par Publié par Cédric Michelin
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Mille chômeurs de plus par jour depuis 1.500 jours, selon les statistiques compilées de la Dares. Alors que les chiffres du chômage ne cessent d'aller de record en record en France, comme en Europe, la bonne nouvelle c'est qu'avec ses 70.000 postes à pourvoir et son taux d'insertion record de 93% à l'issue des formations, l'agriculture recrute. Seulement, les candidats ne se bousculent pas. Et la difficulté à attirer inquiète. [WEB]C'est le cas notamment dans la région du Limousin où l'on se demande comment, dans les prochaines années, les trois exploitants sur cinq qui vont partir à la retraite seront remplacés.
Même difficulté pour recruter les salariés agricoles : faute de candidat, les demandes d'emplois locales sont parfois pourvues par l'embauche de travailleurs étrangers, polonais ou espagnols, note le service emploi de la communauté de communes terrasse et vallée de l'Aveyron. En Indre-et-Loire, le conseil général et le groupement des employeurs de Touraine, en partenariat avec la chambre d'agriculture, le centre de formation agricole et Pôle emploi, viennent de constituer un groupe de travail pour tenter de résoudre les difficultés de recrutement, en viticulture en particulier.[/WEB]

Trop dur, trop loin, pas assez propre



Comme la plupart des métiers de l'artisanat, les métiers de l'agriculture sont en effet sous tension. Et la première explication de ce déficit est sans conteste la pénibilité, selon les candidats. D’après le baromètre IFOP pour Dimanche Ouest-France 2011, pour plus des trois quarts des Français, les agriculteurs représentent une profession moderne (77%), et dans un contexte de forte concurrence, ils sont compétitifs pour une majorité de personnes interrogées (61%). Mais voilà : seuls 15% estiment aussi que les métiers de l'agriculture sont des métiers enviables. « C'est trop dur, trop contraignant », répliquent principalement les candidats du Pôle emploi de Saint Yrieix-la-Perche (Haute-Vienne), selon la directrice de l’agence.
Pourtant, en la matière, le secteur est en pleine évolution. Le métier a changé, avec l'utilisation d'outils de plus en plus perfectionnés rendant les tâches moins fatigantes. La technicité, l'informatique, des machines sophistiquées, des innovations constantes, des savoirs indispensables pour des investissements de plus en plus lourds, sont autant de faire-valoir auprès des candidats. Mais, malgré cela, « il peut parfois être simplement difficile de faire déplacer un candidat dans un département voisin, décrit l'une des responsables de l'Association départementale pour l'emploi et la formation agricole (Adefa) de Montauban. D'autres nous demandent des emplois “plus propres”, les jeunes veulent surtout s'occuper des jardins et des espaces verts ».

Relooking



Pourtant, les agriculteurs ne ménagent pas leur peine pour appâter. La FNSEA a lancé en octobre 2012, une campagne de communication, sous le slogan « Les métiers de l'agriculture : ils font tourner la tête ». Douze mille affiches ont été diffusées dans toute la France rurale, sur les thèmes de la croissance économique, du commerce extérieur, de l'emploi, de la gestion des territoires, du développement des zones rurales, ainsi que du patrimoine culturel et gastronomique français. Des job dating, des forums dédiés au recrutement de saisonniers agricoles, des « vitiparty », en présence des viticulteurs et des demandeurs d'emplois, des visites d’exploitation, une semaine de « promotion de l’emploi agricole » en Aquitaine, et même des « points pomme » dans le Limousin : il s'agit pour l'ensemble des acteurs économiques du monde rural de mettre en synergie les offres et les demandes. La chambre d'agriculture de Rhône-Alpes vient aussi de lancer son site : www.deveniragriculteur.fr.

Le chef de l'Etat s’appuie sur l’agriculture



Le 3 mai, les métiers agricoles ont trouvé un VRP de taille pour les valoriser : le président de la République, dont l'ambition est d'inverser la courbe du chômage avant la fin de l'année, s'est déplacé dans le Doubs pour montrer « là où il y a de l'emploi ». En sa présence et celle de Pierre Moscovici (Économie et finances) et de Michel Sapin (Travail), le ministre de l’Agriculture et les représentants de 15 structures des filières agricoles, agroalimentaires et de la forêt, ont signé une charte pour l'emploi en milieu rural. Le but : encourager la création d’emplois et favoriser l’insertion dans ces zones. Le chef de l'Etat qui consacrera sa conférence de presse du 16 mai à l’emploi, a déclaré avoir « besoin du concours de tous » pour mener cette « bataille ». [WEB]« Je viens à un moment où beaucoup s’interrogent sur la capacité du système de formation à offrir des emplois ». Or, « dans tous les établissements d’enseignement agricole, plus de 90% de ceux qui y sont accueillis, trouvent un travail à la fin de leur parcours de formation ». [/WEB] Le chef de l’Etat souhaite que 60.000 emplois soient créés dans les prochains mois pour la seule année 2013, pour la filière agricole et agroalimentaire : « 50.000 sous forme de contrats d’apprentissage, 4.000 sous forme de contrats de professionnalisation qui pourraient être créés si des jeunes pouvaient trouver des lieux de formation. C’est le sens de cette charte ». C’est aussi un appel, a-t-il poursuivi, « pour qu’il puisse y avoir une meilleure insertion de nos jeunes et de nos demandeurs d’emploi vers ces métiers ».

Une nouvelle charte sur l'installation des jeunes



Xavier Beulin, le président de la FNSEA, signataire du texte, a de son côté souligné l’engagement du syndicat à « faire connaître et valoriser les acteurs des territoires, en matière d’insertion, de formation, mais aussi en direction des publics les plus fragilisés par rapport à l’emploi ». Et de pointer déjà la diversité d’action du syndicat qui « nous permet de nous mobiliser sur de multiples thèmes », à savoir « les formations en alternance, les contrats de génération, les emplois d’avenir, la sécurisation de l’emploi et l'insertion professionnels, voilà quelques dispositifs que nous entendons valoriser ». Stéphane Le Foll a, pour sa part, annoncé qu’une autre charte sur l’installation des jeunes serait présentée « dans quelques semaines ». Les Jeunes agriculteurs, signataires également du texte, ont, eux, souhaité rappeler que l’emploi durable en milieu rural passe en effet « déjà par (…) l’installation ». De plus, parmi les opportunités soulignées par la charte, le contrat de génération intéresse les entreprises du monde rural.
François Thabuis, président des JA, a rappelé l’attente des siens sur ce point : il faut « que nous sachions rapidement trouver les modalités de son extension à la transmission des exploitations agricoles d’un cédant à un repreneur (qu’il soit ou non sous statut salarié) ».

Priorité à la formation



Les efforts de tous sont à la hauteur de l'enjeu : si l'agriculture recrute aujourd'hui, elle est aussi un gisement pour demain. « Ce sont des métiers d'avenir, affirme Xavier Beulin, à en juger par les besoins alimentaires qui vont perdurer et les nouveaux défis (bioénergie, biomatériaux etc.) à relever ». Le nombre d'exploitations diminue, mais leur taille grandit. L'appoint des personnels se fait ressentir. Par ailleurs, les techniciens monteurs d'appareils de traite laitière ou encore les mécaniciens agricoles sont très recherchés. À travers les différentes activités de commerce, de manoeuvre ou de logistique, les débouchés sont vastes. Avec, pour la majorité, des postes durables et à temps plein. L'agro-écologie devrait aussi nécessiter plus de main d'oeuvre. Ce qui peut constituer paradoxalement un frein pour les agriculteurs désireux de se lancer. Car embaucher n’est pas sans obstacle. Notamment pour la main d’oeuvre qualifiée. La formation professionnelle continue est en effet en progression mais reste peu développée : il y a eu seulement 10.000 stagiaires en 2005 et 13.000 en 2009 (sur une population totale de salariés permanents agricoles de 144.000 en 2007), selon le Fonds national d’assurance formation des salariés des exploitations et entreprises agricoles (Fafsea) qui finance des actions de formation et d’accompagnement des entreprises liées à l’agriculture et au monde rural. « La formation, ça va être la grande réforme que le gouvernement va engager », a prévenu François Hollande. [WEB]L'objectif du gouvernement est de « permettre que ceux qui sont loin du marché du travail puissent y venir dans de bonnes conditions ». Des travaux devraient être prochainement menés, notamment avec les régions, à partir du 21 mai, pour une carte des offres en phase avec les métiers en tension. Le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi qui sera voté le 14 mai au Sénat, prévoit par ailleurs la création d’un compte personnel de formation pour favoriser l’accès à la qualification des plus jeunes.[/WEB]

La bête noire : le coût du travail



Mais, malgré ces initiatives et, par ailleurs, la mise en place du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), pour les productions les plus employeuses, le nerf souverain de l’embauche est le coût du travail. Un coût « trop élevé » qui représente « un obstacle insurmontable pour lutter contre
nos concurrents dans un marché ouvert
», estiment la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF), les producteurs de Légumes de France et les producteurs des végétaux d'ornement (FNPHP), pointant les pratiques de leurs voisins allemands (dumping social). [WEB]« Même le gouvernement belge vient de déposer une plainte auprès de la Commission européenne afin de faire cesser le dumping social pratiqué par l'Allemagne ». [/WEB]
Les organisations spécialisées de la FNSEA incitent le gouvernement à chercher un accord avec l'Allemagne pour la mise en place d'un salaire minimum en Europe.
Elles déplorent également son silence sur la question des charges sociales : il « évoque une réforme sans même aborder la remise en cause de leur financement ». Et de défendre à nouveau la TVA sociale, afin de faire participer tous les produits consommés en France, y compris les produits étrangers. [WEB]Un sujet qui a été probablement évoqué, le 7 mai, entre le ministre de l’Agriculture et l’auteur du rapport sur la compétitivité, Louis Gallois, convié au ministère pour un déjeuner. [/WEB]
A coup sûr, le sujet sera abordé, les 20 et 21 juin, à Paris, à l'occasion de la nouvelle conférence sociale organisée par le gouvernement. L’ensemble des partenaires sociaux, dont les représentants du monde agricole, devraient en effet être présents, pour rendre les métiers et le recrutement plus attractifs.

Pôle Emploi : « Mon agence a été moins touchée par la crise, grâce à l'agriculture »



À Saint Yrieix-la-Perche, dans la Haute-Vienne (Limousin), Marie-Angélique Bagur dirige l'agence Pôle emploi, dont 50% de l'activité relève des métiers agricoles. Un établissement qui, grâce à cela, a été moins affecté par la crise, relève la directrice. Les inquiétudes dans la région sont en effet autres : qui va remplacer les 3 exploitants sur 5 qui vont partir à la retraite dans les dix prochaines années ? Si l'agriculture est sans conteste un gisement d'emplois pour l'avenir, confirme Marie-Angélique Bagur, le secteur peine à recruter. Mais des partenariats se créent progressivement pour redorer le blason de métiers souvent méconnus et former les demandeurs qui veulent s'y engager.

Comment se caractérise la région du Limousin en matière d'emplois agricoles?
Marie-Angélique Bagur : Les exploitants de la région font essentiellement de l'élevage bovin et ovin. On le sait, les vaches limousines sont reconnues pour leur qualité de viande et il existe même un label au niveau national. La deuxième grande activité agricole de la région est l'arboriculture.
Tout une partie du Limousin se distingue en effet par un label AOP, pour les pommes. L'autre particularité du territoire en matière d'agriculture, enfin, est que dans les cinq à dix ans à venir, 3 exploitants sur 5 vont partir à la retraite. Et c'est un phénomène qui va toucher aussi bien l'élevage que l'arboriculture.

Les offres d'emploi qui émanent du secteur concernent donc aussi des reprises d'exploitation?
Oui, tout-à-fait. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, nous avons tous les types d'emploi. D'abord des contrats à durée indéterminée : dans le cadre d'une reprise d'entreprise, cela commence par un emploi salarié, et cette période de transition va permettre d'organiser progressivement l'association avec l'agriculteur qui, de son côté, va céder petit à petit ses terres, puis complètement lâcher son activité. Nous avons aussi des contrats à durée déterminée, plutôt longs, pour des remplacements de salariés ou même d'agriculteurs, au sein de GAEC ou d'entreprises agricoles. Enfin, il y a le volet des emplois saisonniers qui concerne principalement l'activité de pomiculture. Au total, sur l'agence Pôle emploi de Saint Yrieix-la-Perche, le secteur agricole représente plus de 50% des offres d'emplois (précisément entre 54 et 58% selon les années).

Et en nombre, parmi les offres, quel est le type de contrat le plus souvent proposé?
Sur la région, ce sont avant tout des emplois saisonniers. Mais, nous avons aussi des offres qualifiées ou durables, pour l'élevage notamment. Il s'agit en effet de trouver des techniciens, des gens de plus en plus qualifiés donc, mais aussi de plus en plus polyvalents. Les outils nécessitent par exemple une maîtrise technique très pointue. Ça n'est pas du bricolage. Il y a aussi tous les métiers qui tournent autour de l'agriculture, comme le machinisme agricole qui est très pourvoyeur d'emplois. Quelqu'un qui se forme au machinisme agricole a de l'emploi sitôt qu'il sort de l'école. D'ailleurs, ceux-là ne passent pas toujours par nos agences, tout simplement parce qu'ils n'ont souvent pas le temps de s'y s'inscrire. Le machinisme agricole, comme tous les emplois qualifiés de l'agriculture, est très pourvoyeur d'emplois.

Parvenez-vous à contenter ces offres?
L'agriculture a malheureusement l'image de tous les métiers manuels. Il faut travailler dehors, dans les intempéries, c'est un métier jugé très dur. Avec une mauvaise image donc. Lorsque que l'on dit aux demandeurs d'emploi qu'il y a du travail dans l'agriculture, « et pourquoi pas vous ?», les réactions les plus courantes sont : « C'est compliqué, les conditions de travail sont difficiles ». C'est la pénibilité qui ressort en premier. Les métiers de l'agriculture sont malheureusement dévalorisés, quand bien même il y a de nombreuses offres, très qualifiées, qui peuvent donner une certaine qualité de vie, différentes de bon nombre d'autres emplois. Beaucoup de gens pensent par ailleurs que l'on ne peut être agriculteur que de père en fils, ou qu'il faut nécessairement avoir des terres... Tout cela fait que nous avons beaucoup de travail à faire pour convaincre. Et nous avons du mal : l'an dernier, par exemple, sur les 1.300 candidatures de cueilleurs que l'on avait eues, pour la saison d'été, nous avons contacté tous ceux qui nous avaient dits être intéressés par une formation. Il y en avait une soixantaine, nous les avons tous conviés à une information collective pour pouvoir leur proposer une formation agricole. Résultat : 5 sont venus. Au bout du compte, les gens ont du mal à passer le cap.

Cette situation est-elle propre au seul secteur de l'agriculture ?
C'est malheureusement aussi vrai pour tous les métiers manuels. Je pense que l'on trouverait la même chose si l'on faisait des actions en mécanique auto, ou pour les boulangers, les charcutiers, les bouchers... Tous les métiers manuels sont extrêmement dévalorisés et l'agriculture n'y échappe pas.

Quant à ceux qui décident de se former, trouvent-ils rapidement un emploi ?
Par exemple, sur les 11 personnes formées actuellement pour un diplôme agricole sur le secteur, 8 n'ont pas encore fini leur formation, mais ont déjà un emploi assuré. C'est-à-dire que oui : quelqu'un qui se forme en agriculture, aujourd'hui, trouve de l'emploi. C'est de notre côté un travail de fourmi que l'on doit mener chaque jour, en matière de communication sur les métiers agricoles.
Chaque année, on organise notamment un forum dans le Limousin sur la découverte de ces métiers, avec par exemple des visites d'exploitation. C'est un travail mené dans le cadre de partenariats avec les chambres d'agriculture, la FDSEA, Arefa (l’Association régionale pour l'emploi et la formation agricole) et un centre de formation agricole du secteur. Notre rôle est d'attirer des personnes vers ces métiers. Et pas forcément des jeunes qui sont en échec scolaire, ou encore qui disent : « je ne sais pas ce que je veux faire... ». Aujourd'hui, un métier agricole demande aussi de l'investissement sur la formation, ça peut être très technique, et très complexe. Et ça demande aussi parfois de faire des études. Un bac en agriculture devient de moins en moins suffisant. L'on ne devient pas agriculteur par hasard. Il faut aussi faire un choix de vie en conséquence. On ne peut pas être agriculteur ou salarié agricole avec l'idée de ne faire qu'un travail alimentaire où l'on va faire ses 35 heures. Ça aussi, c'est une réalité. Même si en tant que salarié, les droits du travail, bien sûr, s'applique. Mais c'est plus impliquant qu'un travail uniquement « mécanique ».

L'agro-écologie, plébiscitée par le ministre de l'Agriculture, devrait nécessiter plus de main d'oeuvre. Constatez-vous dès aujourd'hui une recrudescence du nombre des offres d'emplois pour ce type d'agriculture ?
Les agriculteurs sont très prudents. Aujourd'hui, la réalité est que l'on a quelques arboriculteurs qui commencent à consacrer une partie de leur verger a du bio, mais pas la totalité. Parce qu'ils ont quand même une grande difficulté, plus ou moins problématique : c'est la question des débouchés commerciaux. Aujourd'hui, les agriculteurs ont en effet une vision très parcellaire des débouchés bio. Les coopératives aussi. Quand je leur pose la question, ils me disent : « Aujourd'hui le bio on en parle beaucoup, mais les débouchés, on ne les connaît pas vraiment ». C'est une vision, pour le moment, encore très très parisienne. D'ailleurs, on a quelques marchés, avec quelques arboriculteurs, qui proposent du bio, de l'exploitant directement au consommateur. Après, sur une macroéconomie arboricole par exemple, où l'on a 160.000 tonnes de pommes à évacuer dans une année, et bien, ça n'est pas du tout la même chose en termes de marché. C'est encore trop tôt.

Considérez-vous cependant l'agriculture comme un gisement d'avenir en matière d'emploi?
Oui, très certainement. Et pour preuve : l'agence que je gère – dont la plupart de l'activité relève de l'agriculture – a été moins touchée par la crise, grâce à l'agriculture. Alors que certaines autres agences ont été extrêmement affectées, parce qu'elles avaient des activités industrielles fortes. Alors, oui, nous avons nous aussi subi des augmentations du chômage, bien évidemment, mais ça n'a pas tant touché le domaine agricole. Oui, aussi, c'est un secteur tributaire de la météo – et l'année dernière pour les pommes, les conséquences de gelées, notamment, ont été terribles. Mais si l'on regarde 2009, 2010, 2011 et l'année 2013 qui se préfigure, c'est un secteur qui marche. Nous, notre préoccupation, ça n'est pas tant les saisonniers qui représentent trois à cinq semaines de cueillette par an, mais bien, qui va remplacer les personnes qui vont partir à la retraite dans les années à venir ? Ça, c'est notre vraie difficulté, pour ne pas mettre nos campagnes en friches tout simplement.
PROPOS RECUEiLLiS PAR ROSANNE ARiES


Donner envie



Dans un pays où, depuis vingt-quatre mois les chiffres du chômage atteignent des sommets, il est paradoxal de constater que certains métiers ne sont pas pourvus. C'est le cas pour l’agriculture. A qui la faute ? Sans doute les raisons sont multiples. D'abord une dévalorisation endémique à ce pays des métiers manuels au profit des « cols blancs ». Dans les années 70, quitter la ferme pour partir à la ville, pour travailler dans un bureau, était un signe de promotion sociale. Cette tendance a ensuite été amplifiée par l'éducation nationale pour qui l'entrée dans une filière professionnelle sanctionnait souvent l'échec scolaire. L'agriculture elle-même ne donnait pas toujours envie, exprimant, souvent à juste titre, les difficultés à vivre dans l'exploitation, tant sur le plan professionnel (le rapport au revenu et au temps de travail) que sur le plan social et familial. Il y a pour autant aujourd'hui quelques raisons d'espérer. Une nouvelle génération d'agriculteurs s'emploie à faire évoluer l'image de cette profession.
Elle ne se pose plus en nostalgique d'un modèle qui ne reviendra plus, mais comme un acteur d'une voie de progrès, utilisant les méthodes managériale et organisationnelle de l'entreprise. Se réappropriant son destin, non pas comme sous-traitant d'une filière mais comme co-traitant, acteur d'un marché. L'enjeu de se ré-impliquer dans la gouvernance des coopératives pour, grâce à sa puissance collective, maitriser le client consommateur final, sera déterminant pour séduire une génération qui ne comprendra plus d'être la portion congrue dans le partage de la valeur.
Rosanne Aries, rédactrice en chef adjointe AgraPresse