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Agriculture et l’agroalimentaire français

A la recherche d’une compétitivité perdue

La compétitivité de l’agriculture et de l’agroalimentaire européens est
l’un des objectifs de la Politique agricole commune (PAC) depuis sa
création en 1958. Cet objectif est réaffirmé dans les propositions de la
commission pour la PAC après 2013. Pourtant, cette compétitivité s’est
fragilisée au cours de la dernière décennie comme en témoigne
l’évolution du déficit de la balance commerciale de l’Union à 27 qui est
passé de 7 à 11 milliards d’euros entre 2000 et 2009. En France, la
production agricole stagne depuis quinze ans, les gains de productivité
s’essoufflent et les importations de produits agricoles

et alimentaires progressent plus vite que les exportations.
Par Publié par Cédric Michelin
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Depuis le milieu des années 1990, la production agricole et agroalimentaire française stagne et les gains de productivité diminuent. De 1960 à 1996, la production agricole augmentait au taux annuel de 1,6 %, ce qui correspond à un quasi doublement sur la période. Ce taux correspond approximativement à celui de l’augmentation de la productivité totale, ce qui signifie que la production agricole a augmenté à quantité
presque constante de facteurs de production (travail, terre, capital, consommations intermédiaires). Une part importante de l’accroissement de la productivité globale tient à l’amélioration de la productivité du travail (près de 5 % par an), avec pour contrepartie la diminution des emplois agricoles.
L’augmentation des rendements, notamment en productions végétales, a également généré une augmentation significative de la productivité partielle de la terre. Mais, depuis 1996, la production stagne et les gains de productivité ont régressé pour s’établir à environ 0,6 % par an. Ces gains de productivité tiennent surtout à l’accroissement de la productivité du travail qui se ralentit par ailleurs (2 % par an), alors que la productivité partielle des consommations intermédiaires stagne et que celle du capital se détériore (tableau 1).
Après la période de mise en place du modèle de production intensif (1960-1980), la productivité des consommations intermédiaires s’était améliorée entre 1980 et 1995, les
progrès de la génétique permettant de valoriser l’utilisation croissante d’intrants. Après 1996, on assiste à une inversion de cette tendance. La détérioration de la productivité du
capital tient à une certaine reprise des investissements qui avaient baissé dans la décennie précédente.


L’absence de gains de productivité dans les industries agroalimentaires (IAA)



En longue période, les gains de productivité des IAA ont toujours été inférieurs à ceux de l’ensemble de l’industrie (respectivement 0,1 % et 0,7 % de 1974 à 2004) en raison du poids des consommations intermédiaires (près de 70 % des coûts) et à des coefficients de conversion relativement fixes. A la différence du reste de l’industrie, l’emploi dans les
IAA est resté stable. De 1997 à 2002, la productivité globale diminue puis elle stagne de 2002 à 2006 (tableau 2). Sur l’ensemble de la période, la baisse de productivité est de
0,4 % par an. Les baisses de productivité sont les plus fortes dans les secteurs de la Viande et des Autres IAA. Pour les secteurs Lait, Boissons et Grains, la productivité totale des facteurs varie peu en moyenne. Au cours de la période, la production des IAA a progressé de l’ordre de 1 % par an.

La perte de la « compétitivité révélée »



Au début des années 70, la France était devenue un grand pays exportateur net de produits agricoles et alimentaires. A partir du milieu des années 1990, cette tendance s’inverse dans tous les secteurs. Les performances du commerce extérieur agroalimentaire s’effritent et le volume des importations progresse plus vite que le volume des exportations (graphique 1).
La relation est purement arithmétique : la demande intérieure, stimulée par l’accroissement des revenus et dans la période récente par le développement des agro-carburants de première génération, continue à progresser, la production restant stable, l’excédent commercial ne peut que reculer.
La détermination de la cause profonde de cette relation est plus problématique. On ne sait pas si c’est la stagnation de la production agricole qui limite les possibilités d’exportation
ou la moindre compétitivité des IAA qui empêche la conquête de nouveaux marchés.

Les effets des réformes de la PAC et du processus de libéralisation des échanges.



Pour les produits d’exportation, il ne fait guère de doute que les réformes successives de la PAC et l’accroissement de la concurrence étrangère induit par le processus de libéralisation des échanges sont à l’origine de la stagnation de la production agricole. Les baisses de prix et le découplage des aides ont joué en faveur d’une certaine extensification de la production de viande bovine. La production laitière a stagné malgré l’augmentation récente des quotas. La suppression des restitutions a fortement entamé, dans les secteurs des viandes blanches et rouges, le potentiel des exportations qui reposait jusqu’alors essentiellement sur l’octroi de ces subventions. La production en grandes cultures a légèrement progressé en raison de l’abandon de la jachère obligatoire mais les rendements n’ont pas suivi. L’ouverture des frontières s’est traduite par un accroissement des importations en fruits et légumes. La filière viticole a du mal à s’adapter à l’évolution de la demande mondiale.
La stagnation de la production agricole n’est pas spécifique à la France. Elle concerne la quasi-totalité des pays européens mais aussi tous les pays de l’OCDE qui, antérieurement,
soutenaient fortement leur agriculture et qui se sont engagés dans une politique de réduction de ces soutiens ou qui ont substitué le soutien par les prix par un soutien au revenu. La croissance de la production agricole est en revanche forte dans les pays qui soutenaient peu leur agriculture ou dans les économies émergentes qui profitent notamment de l’accroissement des cours mondiaux.

Une rupture du progrès technique en grandes cultures ?



En grandes cultures, agronomes et économistes s’accordent pour reconnaître une stagnation des rendements depuis le milieu des années 1990, notamment du blé tendre. Ils n’attribuent pas cette stagnation à un changement des pratiques des agriculteurs. Il n’y a pas eu de désintensification induite par l’évolution des rapports de prix et on observe un très léger tassement de la quantité d’intrants variables comme l’engrais ou les pesticides à l’hectare. A la stagnation des rendements correspond aussi une stagnation de la productivité des consommations intermédiaires. Un phénomène qui ne s’observe pas, même si le contexte est différent, aux Etats-Unis (cf. graphique 2).
Pourtant, selon les généticiens, il n’y aurait pas de baisse du progrès génétique. Les agronomes avancent alors l’idée que les effets du changement climatique, entrainent plus
fréquemment des épisodes climatiques défavorables notamment pour le blé tendre très sensible à la variabilité des températures. Ils évoquent aussi le raccourcissement des cycles de rotation, l’augmentation de la culture du colza générant par exemple un recours plus important aux pesticides.
L’hypothèse d’une rupture du progrès technique peut donc être admise en France qui serait pénalisée par sa spécialisation dans des cultures fragiles et exigeante en intrants (blé tendre, colza), alors que les recherches mondiales en génétique (malgré les programmes de l’INRA) profitent surtout à d’autres cultures comme le maïs et le soja moins adaptées aux conditions pédoclimatiques françaises.

Et les contraintes sur l’environnement et la santé publique ?



Les contraintes liées à l’environnement et à la santé publique sont souvent évoquées pour expliquer la perte de compétitivité de l’agroalimentaire français. En production végétale,
le poids de ces contraintes semble être assez faible pour pouvoir expliquer le ralentissement des gains de productivité, si ce n’est l’interdiction de certains pesticides en cultures fruitières. En production animale, plusieurs mesures sur la mise aux normes des bâtiments, l’instauration de conditions sur l’épandage ou l’identification des animaux ont sans doute généré des coûts qui peuvent être à la source de la détérioration de la productivité des consommations intermédiaires et du capital.
C’est sans doute le cas également pour les IAA. La détérioration de la productivité, telle qu’elle est mesurée, dans les industries de la viande est sans doute imputable, pour une
part, aux mesures instaurées après la crise de la vache folle et les différentes crises sanitaires. Se prémunir contre ces risques est coûteux mais se traduit par une amélioration de la qualité du produit, mal prise en compte dans les analyses de productivité. Dans tous les cas, l’enjeu n’est pas de revenir sur ces contraintes mais de les concilier avec l’amélioration des performances des filières. De nombreux exemples montrent que ce n’est pas antinomique.

Quelques considérations finales



La stagnation de la production agricole dans un contexte de baisse des prix et d’essoufflement des gains de productivité, a eu des effets négatifs sur l’évolution des revenus agricoles. Cette baisse de prix correspond à l’objectif, aujourd’hui quasiment atteint, de la PAC d’aligner les prix intérieurs européens sur les cours mondiaux.
Cet alignement des prix intérieurs sur les prix mondiaux s’est effectué dans un contexte où les prix mondiaux étaient tirés à la hausse par l’augmentation de la demande des pays émergents. Selon les projections de la FAO et de l’OCDE (2008), cette tendance se poursuivrait dans la prochaine décennie, du fait de la croissance mondiale et notamment celle des pays émergents. La tendance à la baisse des prix agricoles dans l’Union européenne devrait donc être enrayée, même si cela n’exclut pas une variabilité accrue des prix.

Dans ce nouveau contexte, il n’est pas pour autant opportun, pour l’agroalimentaire français, de miser, comme par le passé, sur une compétitivité par les prix des produits de
base. Un certain nombre de pays émergents ont des avantages comparatifs bien plus importants que la France, dans ce domaine. Autant sur le plan intérieur que sur le marché
international, seule une production orientée vers la qualité peut être compétitive, en valorisant mieux les labels mais plus largement la différenciation des produits et en s’adaptant mieux à la demande internationale. Au niveau local, le développement des réseaux de proximité ne doit pas être négligé. Pour les IAA, un accroissement de la taille des firmes, notamment des PME, est sans doute souhaitable.
Cela est d’autant plus important que l’accès aux marchés à l’exportation est coûteux et nécessite d’atteindre des niveaux de productivité suffisamment élevés.
Au cours de la dernière décennie, la quasi-totalité des faibles gains de productivité globale est imputable à la diminution de l’emploi agricole. De nombreux indices montrent que, même ralentie, cette diminution de l’emploi agricole devrait se poursuivre.

La poursuite de la baisse des emplois agricoles est-elle socialement souhaitable ?


Cette baisse peut en effet entrer en contradiction avec des objectifs d’occupation du territoire. Il devient nécessaire de poser la question de la taille optimale des exploitations, non seulement d’un point de vue strictement économique dans la fonction de l’agriculture
de fournisseur d’aliments, mais en prenant en compte les fonctions non marchandes de l’agriculture, notamment celles relatives à l’occupation de l’espace. C’est un enjeu important et relativement urgent pour la recherche que d’éclairer ce débat afin de guider les politiques publiques.
L’autre grand dilemme qui est posé, notamment à la recherche, est de rompre avec la stagnation de la production tout en améliorant la productivité des consommations intermédiaires et la productivité globale. Il est possible, en adoptant des techniques alternatives, d’améliorer simultanément les performances économiques des exploitations, via l’amélioration de la productivité des consommations intermédiaires et de la productivité globale, et leurs performances agroenvironnementales, via la diminution des intrants. Mais, au stade actuel de nos connaissances, l’adoption de ces techniques
se traduirait par des baisses, certes modérées, de la production. Or, on ne peut pas se satisfaire de la stagnation de la production agricole. Simultanément à l’adoption de techniques moins intensives, il apparaît nécessaire d’enrayer des phénomènes tels que le plafonnement des rendements, en adaptant les végétaux aux nouvelles conditions climatiques.

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