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Abattage Halal

Autant social que religieux

Selon le spécialiste du droit islamique Mohammed Hocine Benkheira, le
développement du halal en France est un phénomène au moins aussi social
que religieux. Il rappelle en effet que les autorités religieuses, même
les plus radicales, autorisent de manger la viande couramment consommée
en France.
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La tendance du halal grossit en France alors que les autorités religieuses, même les plus radicales, n’interdisent pas aux musulmans de manger la viande couramment consommée en France.
C’est le paradoxe mis en avant par l’exposé du spécialiste du droit islamique et directeur d’étude à l’Ecole pratique des hautes études, Mohammed Hocine Benhkeira, le 1er juin, lors d’une audition parlementaire sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie. Le développement du halal serait un phénomène social, au moins autant que religieux, comprend-on à l’issue de son audition. Il rappelle en effet, que dans le Coran, le verset cinq de la sourate cinq dit aux musulmans que « la nourriture des gens du livre (chrétiens et juifs, ndlr) vous est permise ». En somme, Mohammed Hocine Benkheira explique que le Coran réglemente la façon dont les musulmans doivent abattre les animaux, mais n’interdit aucunement à ceux-ci de consommer la nourriture abattue par les juifs et les chrétiens, quand bien même ils n’auraient pas suivi ces prescriptions. D’ailleurs, « les muftis, même ceux présentés comme extrémistes défendent l’idée que la nourriture abattue en France peut être consommée ».

Représentation faussée…


Mais en France et dans toute l’Europe de l’ouest, les musulmans ordinaires ne l’entendent pas de cette oreille, selon Mohammed Hocine Benkheira. « Certains musulmans en France sont convaincus que la viande mangée en France n’est pas halal ».
L’hypothèse des sciences humaines pour expliquer ce phénomène est que « les musulmans qui vivent en situation minoritaire dans un environnement qui n’est pas toujours favorable, ont tendance à mettre l’accent sur des aspects de la vie quotidienne qui permettent de renforcer leur identité. C’est la frontière rituelle », selon le spécialiste du droit islamique. Autre explication avancée par Anne-Marie Brisebarre, directeur de recherche en anthropologie sociale au CNRS) : « certains musulmans sont persuadés que la viande n’était pas saignée. Il y a souvent une représentation faussée de la viande mangée en France ».
Pour Mohammed Hocine Benkheira, le décalage entre le texte et les pratiques des musulmans français ne peut se résorber que sur le moyen terme. « Vouloir contraindre les adeptes d’une religion à une règle qui n’est pas fondamentale, la rendrait justement fondamentale ». Le développement du halal en Europe serait, selon lui, très social, et par ailleurs hors du contrôle des autorités musulmanes ; car à la différence du judaïsme, poursuit-il, religion dans laquelle les rabbins peuvent édicter une loi qui s’applique à tous, dans la religion musulmane, un mufti peut émettre une fatwa sans qu’elle ait d’effet sur les fidèles. « C’est la particularité de l’islam ».

Une interprétation mouvante des textes


De la même manière, les prescriptions du Coran concernant l’abattage par les musulmans des animaux de boucherie sont soumises à de nombreux débats parmi les théologiens. Par exemple, explique Mohammed Hocine Benkheira, selon l’esprit de la loi islamique, « on ne peut avoir une relation instrumentale avec l’animal car c’est une créature du Dieu créateur, et l’Homme n’a aucun droit sur les animaux, si ce n’est avec l’autorisation ou la permission du Dieu créateur ». C’est ainsi qu’« en invoquant le nom de Dieu avant l’abattage, l’Homme demande la permission à ce dernier de mettre à mort un animal ». Mais cette interprétation a soulevé « de gros problèmes en théologie », rapporte-t-il. « Certains théologiens se sont demandés pourquoi Dieu permettait-il de faire souffrir un animal dans ce cas-ci ». La réponse des théologiens, rapporte le spécialiste du droit islamique, légèrement dubitatif, est que « chaque fois qu’un animal sera abattu, Dieu sera tenu de lui offrir une compensation après la mort. C’est le seul cas où les théologiens ont accordé quelque chose aux animaux après la mort ». Par ailleurs, l’interprétation des textes a toujours intégré les avancées des connaissances scientifiques, rappelle-t-il. Ainsi la demande, en Europe, d’étourdissement préalable à la saignée serait aujourd’hui l’objet de nombreux débats entre théologiens, selon Mohammed Hocine Benkheira : « pour qu’un abattage soit licite, il faudrait que la bête soit vivante ; on ne peut pas rendre licite ce qui est déjà mort ; l’insensibilisation de la bête, n’est-ce pas déjà la tuer ? ».