Cannibalisation des GMS
Ce nouveau moyen de commercialisation combine e-commerce et grande
distribution. Ainsi, alors que l’hypermarché fête cette année ses 50
ans, la distribution alimentaire s’apprête à connaître une nouvelle
mutation. Les enseignes sont obligées de concurrencer leurs propres
magasins, investissent, augmentent leurs coûts de production avec des marges à la
baisse. La Grande distribution va-t-elle se cannibaliser ? Les fabricants
vont-ils reprendre le pouvoir ?
Au premier semestre 2013, selon une étude Nielsen publiée en juin, 2.321 "Drives" ont été recensés sur l'ensemble du territoire hexagonal. Environ 3.000 sont attendus d’ici la fin de l’année. " Toutes les enseignes ont compris qu'elles devaient investir ce territoire soit pour gagner de nouveaux clients, soit pour ne pas en perdre ", explique Thierry Desouches, porte-parole de Système U. La concurrence est rude. La guerre des prix s’accentue avec l’habitude de comparer les produits sur Internet, en magasin (phénomène de showrooming) ou depuis chez soi (comme le comparateur MrDrive).
Selon une étude Harris Interactive publiée en décembre 2012, près d'un Français sur cinq y aurait déjà fait ses courses grâce aux Drives, mettant en avant les avantages : facilité d'utilisation pour les natifs du numérique, gain de temps (relatif selon les études)…, tout en contrôlant mieux les achats d'impulsion, estimés à près de 40 % en magasin ! Si les Français y ont très vite vu leur intérêt, les enseignes sont désormais inquiètes mais obligées de conquérir ses précieuses premières parts de marché.
Le modèle est donc en construction. " Étant donné qu'il est une source d'investissements pour la grande distribution, le drive peut représenter un danger au regard de la réduction des marges ", explique Nicolas Le Hérissier, directeur marketing du cybermarchand Houra.fr.
Pour l'heure, deux grands types de drive co-habitent. Tout d'abord, les drives déportés, aussi appelés drives "solo". Cela consiste pour un distributeur, de se munir d'un entrepôt construit sur un site dédié, en totale indépendance d'un hypermarché ou d'un supermarché, auquel s'ajoute une zone de retrait des achats. L’autre solution est le drive accolé. Problème, ce dernier cannibalise les ventes du magasin historique. A en croire les estimations de l'Institut Nielsen, elle pourrait même être très significative, entre 30% et 50% du chiffre d’affaires du magasin auquel il est adossé. C'est peut-être la raison pour laquelle ce modèle est celui qui génère le plus de chiffre d'affaires moyen annuel : 5,7 millions d'euros par unité. De plus, ces drives accolés provoquent parfois des ruptures de stock à gérer. Les grandes enseignes poussent alors leurs marques (de distributeur, MDD), mécontentant actuellement les multinationales de l’agroalimentaire…
Du coup, certains fabricants profitent du canal de vente Internet pour s'émanciper de la grande distribution. En Angleterre, le géant Procter & Gamble (Ariel, Pampers…) devient indépendant et livre ses clients à domicile. Les produits ménagers suivent donc la tendance observée pour les produits informatiques, culturels, électroménagers, tourismes… En Gironde l’an passé, des agriculteurs ont également lancé le premier drive fermier ! A quand, des drives communs de fabricants ou commerçants pour le bazar et vêtements à la sortie des marchés ou des centres villes ?
Inquiet mais réactif, Auchan a lancé un nouveau concept de magasin en mars, en région parisienne. L'enseigne, dont le nom de code est aujourd'hui "Multifrais", alliera un drive à un magasin consacré aux produits frais dits traditionnels (viande, fruits et légumes...). " Ce type de concept a déjà été testé au Royaume-Uni par Tesco ou Marks & Spencer. L'idée est d'anticiper ce qui se passe outre-Manche, où de nombreuses enseignes mettent la clef sous la porte car le e-commerce, adossé ou non à un magasin, vide les points de vente traditionnels ", explique un bon connaisseur du projet d'Auchan. L'alimentaire restant encore le produit d'appel pour acheter tout le reste...
L'enseigne nordiste compte ainsi remédier au principal point faible de ce format de distribution : la faible part de produits frais dans le caddie – ou plutôt le coffre – des clients. Surtout, les achats en drive sont plutôt dédiés à des produits "secs" comme les conserves, ou lourds, comme les boissons, souvent préenregistrés par les utilisateurs dans des listes Internet.
" Les produits frais que l'on pèse – les fruits et légumes, mais aussi la viande ou le poisson – sont le maillon faible du drive. Les consommateurs préfèrent toucher et choisir ces produits directement en magasin ", explique Frédéric Valette, directeur du département distribution chez Kantar Worldpanel.
Le nouveau concept "Multifrais" est lui-même un pari. " Le projet est pertinent parce qu'il permet de tester une configuration avec ce qu'il manque actuellement au drive. Le problème principal sera la rentabilité de la partie 'frais', qui nécessite un volume très important compte tenu du "taux de casse des produits périssables ", estime Olivier Dauvers, auteur d'un blog spécialisé. " Le client apprécie de gagner du temps grâce au drive. Toute la difficulté va consister à le convaincre de descendre de voiture ", prévient Frédéric Valette.
Après le commerce de proximité, les grands magasins, les supers et hypermarchés, les cash & carry, le hard discount, le e-commerce, le Drive rebat aujourd’hui les cartes de toute la filière agroalimentaire (et autres). Il pourrait bien déplacer durablement la valeur des magasins vers les services et la fonctionnalité (ré-enchantement éthique des consommateurs).
Des panier moyen élevés
Selon son baromètre mensuel, IRI fait un zoom sur les MDD dans le e-commerce GSA sur le premier trimestre 2013. Le poids des MDD dans le e-commerce GSA est nettement plus élevé que dans les magasins physiques. Leur part de marché dépasse 40% en valeur et même 50% en volume. Plus d'un produit sur deux vendu dans le e-commerce est donc un produit à marque de distributeur. Ce phénomène de surreprésentation des MDD est général, à l'exception des bières. Il est très prononcé sur l'ensemble des produits frais.
Il faut rappeler que le drive génère des paniers moyens élevés. En moyenne sur toute l'année 2011, l'institut Kantar mesurait un budget annuel de 521 euros en drive contre 1.542 euros en hyper pour 8 actes d'achat en drive contre 39 en hyper ! Mais aussi 31 articles par panier en drive contre 17 en hyper et un panier de 76 euros en drive contre 57 euros en hyper.
Le Drive sous une épée de Damoclès ?
Le succès du drive pourrait-il prendre fin du jour au lendemain ? C'est ce que craignent certains professionnels de la grande distribution. La première des menace porte sur des questions légales. La ministre de l'Artisanat, du Commerce et du Tourisme Sylvia Pinel souhaite en effet intégrer les drives dans l'urbanisme commercial, en les soumettant donc à une demande d'autorisation au même titre que tous les autres commerces.