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Filière du lait bio

Changement d’échelle pour la filière du lait bio

Tirées par un marché porteur et les crises successives de la filière lait conventionnelle, les conversions des élevages laitiers à l’agriculture biologique ont connu un nouveau boom depuis 2015, portant la collecte au seuil du milliard de litres.

Par Publié par Cédric Michelin
Changement d’échelle pour la filière du lait bio

Benoît Baron, chargé d’étude du département économie de l'Institut de l'élevage, a dressé un état des lieux du marché des produits laitiers biologiques et un panorama des stratégies des opérateurs de la filière. Il a retracé la cinétique particulière des conversions laitières à l’agriculture biologique, au sein d’une dynamique générale porteuse pour le bio. En France, ce marché jouit en effet d’une croissance à deux chiffres depuis plus d’une décennie, pour atteindre un chiffre d’affaire de 9,7 milliards d'euros en 2018 ! Le lait et les produits laitiers suivent la même tendance, mais par à-coups… des accélérations directement imputables aux crises de la filière conventionnelle. « On connait une nouvelle vague de conversion de grande ampleur, tirée par un marché croissant d'un côté et poussée par les crises de la filière laitière conventionnelle de l'autre », expose le spécialiste. Graphique à l’appui, on note que ce sont surtout les crises du lait conventionnel qui ont poussé les producteurs vers l'agriculture biologique en réalité. « On note trois vagues distinctes : fin 95/début 2000 avec la mise en place des CTE et la vache folle, 2009 avec la crise laitière puis 2015/2016 pour la même raison. L'écart de prix peut alors grimper jusqu'à 200 €/1.000 litres entre le lait bio et le conventionnel lorsque ce dernier est au plus bas sur des marchés encombrés face à un lait bio très recherché à l'automne. Ça a par exemple été le cas en octobre 2010 avec un écart de 199,30 € sur le prix du lait en 38/32 ». Mais ce n’est pas le seul facteur d’explication, car l’Etat a aussi encouragé les conversions avec une politique d’aides ciblées à la conversion d’un côté et comme prescripteur avec des initiatives dans le domaine de la restauration des enfants par exemple d’un autre côté. « Le rôle déterminant des opérateurs de l’aval dans ces conversions, qui doivent intégrer des exigences logistiques fortes en lien avec des coûts spécifiques en entrée (lancement collecte, mise en marche de lignes de fabrication...), explique aussi cette évolution par paliers ».

Des conversions par vagues

Les chiffres présentés donnent le vertige : le nombre de livreurs, multiplié par deux depuis 2001 ne cesse d'augmenter, pour approcher la barre symbolique des 3.500 producteurs de lait bio en 2018, ce qui représente près de 7 % des éleveurs. Le volume national de lait bio s'élevait à 840 millions de litres sur l'année 2018 (soit un triplement par rapport à l’année 2011) et on était déjà à 940 millions de litres en juillet 2019. « Le suivi de l’évolution de la collecte nous permet de dire que le milliard de litres sera bientôt atteint ».
La géographie du développement du lait bio diffère assez peu de celle de la production laitière conventionnelle : la Bretagne arrive en tête avec 21 % de la quantité livrée totale, devant les Pays de la Loire (20 %) et la région Auvergne-Rhône-Alpes (15 %). A la quatrième marche du podium, la Bourgogne Franche-Comté (11%). Concernant les collecteurs, Biolait est en tête de classement avec 30 % des volumes, suivi de Lactalis et Sodiaal. À eux trois, ils ont collecté en 2018 environ 70 % du lait bio français.

Segmentation et régulation des volumes

Dans ce paysage de volumes en forte hausse, les laiteries ont développé des marques, élargi leurs gammes et lancé des démarches de segmentation intégrant par exemple des critères de bien-être animal. Benoît Baron est confiant en matière de perspectives : « Le marché est dynamique et ne semble pas s'étouffer, avec de nouveaux entrants aux côtés des acteurs historiques de la bio. De plus, les opérateurs gèrent les volumes. Sodiaal a par exemple mis le bouton "pause" sur les conversions, ce qui laisse penser que les objectifs 2020 sont en passe d'être atteints. Lactalis et Agrial font de leur côté des annonces chiffrées pour 2023 qui correspondent à une relance ou une poursuite du plan de conversion. Quant à Biolait, il régule ses volumes et revoit ses modalités d'accompagnement à la conversion ».
Pour l'expert, la visibilité à cinq ans demeure toutefois limitée : « Et si l'un des maillons de la chaîne ne jouait pas le jeu et déséquilibrait le marché ?, s’interroge-t-il. Est-ce que la segmentation de l'offre ne nuit pas à la crédibilité du label AB ? ». Les questions affluent aussi quant à la ressource : « Si les volumes deviennent réellement excédentaires, les opérateurs seraient-ils fragilisés ? Ou à l'inverse, peut-on aller vers un épuisement du réservoir de producteurs "convertissables"? »
Enfin les conditions "pédo-climatiques" constituent également une contrainte à prendre en compte. « Il faut que les producteurs en question soient en capacité, techniquement parlant, de produire du lait bio. Et la réponse n'est pas toujours positive car les coûts de production dépassent ceux du conventionnel, avec une mécanisation importante liée au travail du sol, des aliments plus chers, l’impossibilité de recourir aux engrais de synthèse qui bride les rendements fourragers... ».
Alexandre Coronel

Changement d’échelle pour la filière du lait bio

Changement d’échelle pour la filière du lait bio

Benoît Baron, chargé d’étude du département économie de l'Institut de l'élevage, a dressé un état des lieux du marché des produits laitiers biologiques et un panorama des stratégies des opérateurs de la filière. Il a retracé la cinétique particulière des conversions laitières à l’agriculture biologique, au sein d’une dynamique générale porteuse pour le bio. En France, ce marché jouit en effet d’une croissance à deux chiffres depuis plus d’une décennie, pour atteindre un chiffre d’affaire de 9,7 milliards d'euros en 2018 ! Le lait et les produits laitiers suivent la même tendance, mais par à-coups… des accélérations directement imputables aux crises de la filière conventionnelle. « On connait une nouvelle vague de conversion de grande ampleur, tirée par un marché croissant d'un côté et poussée par les crises de la filière laitière conventionnelle de l'autre », expose le spécialiste. Graphique à l’appui, on note que ce sont surtout les crises du lait conventionnel qui ont poussé les producteurs vers l'agriculture biologique en réalité. « On note trois vagues distinctes : fin 95/début 2000 avec la mise en place des CTE et la vache folle, 2009 avec la crise laitière puis 2015/2016 pour la même raison. L'écart de prix peut alors grimper jusqu'à 200 €/1.000 litres entre le lait bio et le conventionnel lorsque ce dernier est au plus bas sur des marchés encombrés face à un lait bio très recherché à l'automne. Ça a par exemple été le cas en octobre 2010 avec un écart de 199,30 € sur le prix du lait en 38/32 ». Mais ce n’est pas le seul facteur d’explication, car l’Etat a aussi encouragé les conversions avec une politique d’aides ciblées à la conversion d’un côté et comme prescripteur avec des initiatives dans le domaine de la restauration des enfants par exemple d’un autre côté. « Le rôle déterminant des opérateurs de l’aval dans ces conversions, qui doivent intégrer des exigences logistiques fortes en lien avec des coûts spécifiques en entrée (lancement collecte, mise en marche de lignes de fabrication...), explique aussi cette évolution par paliers ».

Des conversions par vagues

Les chiffres présentés donnent le vertige : le nombre de livreurs, multiplié par deux depuis 2001 ne cesse d'augmenter, pour approcher la barre symbolique des 3.500 producteurs de lait bio en 2018, ce qui représente près de 7 % des éleveurs. Le volume national de lait bio s'élevait à 840 millions de litres sur l'année 2018 (soit un triplement par rapport à l’année 2011) et on était déjà à 940 millions de litres en juillet 2019. « Le suivi de l’évolution de la collecte nous permet de dire que le milliard de litres sera bientôt atteint ».
La géographie du développement du lait bio diffère assez peu de celle de la production laitière conventionnelle : la Bretagne arrive en tête avec 21 % de la quantité livrée totale, devant les Pays de la Loire (20 %) et la région Auvergne-Rhône-Alpes (15 %). A la quatrième marche du podium, la Bourgogne Franche-Comté (11%). Concernant les collecteurs, Biolait est en tête de classement avec 30 % des volumes, suivi de Lactalis et Sodiaal. À eux trois, ils ont collecté en 2018 environ 70 % du lait bio français.

Segmentation et régulation des volumes

Dans ce paysage de volumes en forte hausse, les laiteries ont développé des marques, élargi leurs gammes et lancé des démarches de segmentation intégrant par exemple des critères de bien-être animal. Benoît Baron est confiant en matière de perspectives : « Le marché est dynamique et ne semble pas s'étouffer, avec de nouveaux entrants aux côtés des acteurs historiques de la bio. De plus, les opérateurs gèrent les volumes. Sodiaal a par exemple mis le bouton "pause" sur les conversions, ce qui laisse penser que les objectifs 2020 sont en passe d'être atteints. Lactalis et Agrial font de leur côté des annonces chiffrées pour 2023 qui correspondent à une relance ou une poursuite du plan de conversion. Quant à Biolait, il régule ses volumes et revoit ses modalités d'accompagnement à la conversion ».
Pour l'expert, la visibilité à cinq ans demeure toutefois limitée : « Et si l'un des maillons de la chaîne ne jouait pas le jeu et déséquilibrait le marché ?, s’interroge-t-il. Est-ce que la segmentation de l'offre ne nuit pas à la crédibilité du label AB ? ». Les questions affluent aussi quant à la ressource : « Si les volumes deviennent réellement excédentaires, les opérateurs seraient-ils fragilisés ? Ou à l'inverse, peut-on aller vers un épuisement du réservoir de producteurs "convertissables"? »
Enfin les conditions "pédo-climatiques" constituent également une contrainte à prendre en compte. « Il faut que les producteurs en question soient en capacité, techniquement parlant, de produire du lait bio. Et la réponse n'est pas toujours positive car les coûts de production dépassent ceux du conventionnel, avec une mécanisation importante liée au travail du sol, des aliments plus chers, l’impossibilité de recourir aux engrais de synthèse qui bride les rendements fourragers... ».
Alexandre Coronel

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