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Organisation Mondiale du Commerce

Comment analyser l’échec des négociations commerciales de l'OMC à Buenos-Aires ?

À l’occasion d’une table ronde organisée par FARM, des experts ont tenté d’analyser les raisons de l’échec des négociations commerciales de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) à Buenos-Aires. Des divergences structurelles entre les états membres de l’OMC et des différences dans leurs rapports à l’agriculture ont été avancées pour expliquer cette paralysie des négociations.

Par Publié par Cédric Michelin
Comment analyser l’échec des négociations commerciales de l'OMC à Buenos-Aires ?

« Les négociations commerciales de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) sont paralysées depuis déjà plusieurs années. Cette situation nous interroge sur l’avenir de ces négociations et de cette institution. Que penser de cette paralysie, comment l’analyser et quelles sont les perspectives d’avenir ? », c’est à cette question, posée par Michel Petit, membre du conseil scientifique de FARM, qu’ont tenté de répondre des experts, participants à une table ronde sur les perspectives après le blocage des négociations à Buenos-Aires. Elle était organisée par FARM, dans le cadre d’une conférence sur le soutien à l’agriculture. La conférence interministérielle de Buenos Aires, qui s’est tenue du 10 au 13 décembre 2017, réunissant tous les pays membre de l’OMC, s’est en effet soldée par un échec. Elle s’est terminée avec très peu d’accords et de déclarations. Concernant l’agriculture, aucun accord n’a été signé et les états n’ont même pas convenu d’une feuille de route. Jonathan Herburn, responsable principal du programme Agriculture à l’International Centre for Trade and Sustainable Développement, a rappelé que les négociations devaient tenir compte du contexte alimentaire mondial. Cédric Pene, conseiller au sein de la division de l'agriculture et des produits de base à l’OMC, a tenu à souligner que si aucun résultat visible n’est ressorti de cette conférence, les États membres de l’OMC avaient tout de même effectué un travail important sur de nombreux sujets, y compris sur des réflexions concernant l’évolution de la situation internationale.  « L’OMC n’est pas sourde à ce qui se passe dans le monde » a-t-il affirmé.

Un blocage structurel

Il a également précisé que l’organisation n’avait pas vocation à dicter des lois, mais qu’elle était basée sur le consensus entre les 164 États membres. Des consensus parfois difficiles à obtenir. Mais cette absence de décision et de consensus sur le sujet agricole laisse les négociations et les états dans une situation problématique. Pour plusieurs participants, le rôle des États-Unis dans cet échec a été primordial. Jonathan Herburn, a reconnu, qu’actuellement, les États-Unis ne sont pas en faveur du multilatéralisme dans les négociations commerciales. Édouard Bourcieu, représentant de la Commission européenne pour les affaires commerciales en France et en Belgique, estime que cet échec est la conséquence d’un blocage structurel. « La diversité des membres entraîne des divergences profondes dans leur approche des négociations » détaille-t-il.  Dogan Bozdogan, conseiller adjoint pour les affaires commerciales à la Mission de la Turquie auprès de l’OMC, à lui aussi, mis en avant des problèmes structurels et des différences dans l’approches des états au développement économique et à l’agriculture. Il a ainsi rappelé que, pour les pays en développement, comme la Turquie, l’agriculture est pourvoyeuse de 20% des emplois en moyenne, contre 3% dans les pays développés. Elle occupe ainsi un rôle central au niveau social. De plus, les exploitations, plus petites dans ces pays, 2 hectares en moyenne contre 24 hectares en Europe et 190 hectares aux États-Unis, peuvent être gravement touchées par la volatilité des prix.

« Ne pas aggraver les distorsions avec le soutien interne »

Il affirme que ces petits producteurs, qui ne peuvent concurrencer les grandes exploitations américaines, doivent être soutenus. Pour lui, les accords de l’OMC ne traduisent pas assez la dualité économique qui existe entre les membres. David Laborde, chercheur principal à la division des marchés du commerce et des institutions, a appuyé ces propos en précisant que les accords de Marrakech ont été signé en 1994 par des pays riches, « la spécificité des pays en développement n’a donc pas été prise en compte ». Pour éviter de futurs blocages, le chercheur incite donc à éviter les distorsions de concurrence. Dogan Bozdogan appelle à « reconnaître les spécificités des pays en développement afin de lever certains blocages ». Selon Édouard Bourcieu, il y a également « une importante crise de leadership liée à l’émergence de nouveaux acteurs qui pèsent lourd dans le paysage économique mondial ». Il ajoute que ces nouveaux acteurs, dont le rôle est central, ne contribuent pas encore au développement du système à la hauteur des bénéfices qu’ils en retirent. Il ne s’étonne pas de ce comportement, « il faut parfois du temps aux états pour qu’ils réalisent leurs nouvelles responsabilités ». Le représentant de la Commission européenne a mis en garde contre l’habitude de voir les négociations échouer, « il ne faut pas se dire qu’échouer est normal, sinon on progresse difficilement et on diminue son investissement». Il espère cependant que cette crise au sein de l’OMC sera suivie d’un sursaut salvateur pour l’organisation. Il a souligné que l'Union européenne entend bien rester un pilier de l’OMC, il a cependant précisé qu’elle ne pourra la préserver seule.