Comment monter en gamme ?
Bourgogne Amplitude 2015). 2012 a certainement accéléré le calendrier.
La faible récolte - mondiale, nationale et locale - a entrainé des
hausses des cours. Ces hausses ne seront pas toutes répercutables aux
clients. L’Interprofession entend néanmoins en profiter pour "monter en
gamme". Tous les vins de Bourgogne sont concernés mais plus
particulièrement les appellations régionales. Un dynamisme individuel et
collectif passant par la qualité des vins évidemment et
l’image/notoriété (développement durable social, économique et
environnement) des marques collectives et privées. Pour bien débuter,
l’essentiel est de bien maîtriser et surtout connaître ses coûts de
production, de revient et de ventes. Ils déterminent les capacités
financières pour atteindre vos clients, cibles et objectifs.
Car, qui dit montée de gamme dit changement de clientèle le plus souvent, et donc des conséquences qui peuvent être négatives pour la rentabilité des entreprises, si le virage est mal négocié. Surtout, sur des marchés "saturés" par des offres abondantes, et de plus en plus nombreuses à viser le segment premium. Tous comprenaient qu’une part de la réussite sera aussi dans la capacité à « jouer collectif ».
Sortir par le haut de la crise
Encore faut-il « être légitime » à le faire. En Bourgogne, « un vigneron, c’est un artiste à qui l’on demande d’être un chef d’entreprise », faisait remarquer justement une viticultrice pendant les débats.
Certains dans la salle préféreraient d’abord démontrer la qualité en retravaillant les vins de garde « aux arômes tertiaires ». D’autres, plus confiants, estimaient que la Bourgogne en s’appuyant sur ses atouts aura - dès la sortie de crise actuelle - « une chance de sortir par le haut », à l’image du propriétaire du Domaine du Cellier aux moines à Givry.
La Chine apportera la réponse
Michel Baldassini posait clairement la question aux économistes : la Chine, qui voit sa croissance baissée, va-t-elle y remédier par une hausse de sa consommation intérieure ? C’est le rédacteur en chef du service économique et politique de France 2, François Lenglet, qui lui répondait : « leur monnaie est clairement manipulée » pour « engranger des excédents » à l’export en prévision du « choc démographique » qui les attend. En effet, le vieillissement de ce peuple continent – « amplifié par la politique de l’enfant unique » - les mène tout droit « face à un mur » et les dirigeants et économistes - « de premier ordre mondial », reconnaissait-il - hésitent à sortir des « revenus minorés » actuellement. Ce basculement ou non indiquera les taux de croissance.
Gare aux spéculations
Néanmoins, à l’échelle des pays en croissance (BRICS), « l’émergence d’une classe moyenne massive » donne un « contexte favorable à l’achat de produits de luxe ». « Attention toutefois à l’effet spéculatif » qui peut provoquer des « retournements de marchés » si « des produits de moindre qualité pour des clients "peu connaisseurs" sont envoyés » sur les marchés. Toute ressemblance avec un vignoble voisin…
Au final, je fais quoi moi ?
« Mieux vaut découper ensemble le mur en briques plutôt que de foncer seul dedans ». Après l’exposé de François Caducal (ABSO Conseil) détaillant les opportunités des marchés européens et grands exports pour la Bourgogne, en faisant bien attention à la concurrence, le directeur du Pôle Marché & Développement du BIVB, Philippe Longepierre, rappelait que l’Interprofession peut aider à construire une stratégie export et a d’ailleurs mis « en ligne sur son extranet, un outil d’aide à la décision pour aller ou non à l’export ». Il rajoutait que l’Interprofession a également mis en place des groupes de travail auxquels les viticulteurs sont invités à participer.
Mais c’est surtout l’intervention de Philippe Jaegy (Solving Efeso) qui apportait un début de réponse sur comment "montée en gamme" individuellement et collectivement. « Le rôle des opérateurs sera de stimuler la demande au plus près du consommateur, sur le terrain (magasins, CHR). En même temps, sur les mêmes marchés et clients, l’Interprofession devra travailler l'image, faire évoluer les attitudes et communiquer sur les appellations et la marque collective Bourgogne ». Cette "synchronisation" de tous ne doit pas lésiner sur les moyens, éviter les guerres de prix entre opérateurs - un « jeu à somme négative » - ou être trop dispersée. Le BIVB n’a pas suffisamment de moyens pour faire de la promotion dans le mondial entier.
Tout le monde comprenait donc qu’il ne faudra pas se contenter de reposer sur des acquis mais de stimuler la demande, tous ensemble pour que l'effet prix et l’image « rare et précieuse » du millésime 2012, perdure…
A quand la reprise économique mondiale ?
Depuis 2008, le monde est en crise. D’abord financière, la crise s’est propagée à l’économie (industrie) et aux Etats (crise de la dette). L’invité d’honneur, François Lenglet, cherchait à voir « derrière la crise, quelle croissance, quelles valeurs ? ». Les chefs d’entreprises attendent en effet la reprise avec impatience mais sont inquiets de retrouver un monde chamboulé.
En critiquant vertement la doctrine néolibérale et l’efficience des marchés, le rédacteur en chef des services économique et politique de France 2 n’épargnait ni les dirigeants européens, ni les banques centrales. Ces « climatiseurs réversibles » de la finance et de l’économie n’ont pas permis d’éviter des crises – bulle internet, crise asiatique – « à intervalles réguliers de 70-80 ans », remarquait-il (1850, 1929, 2008).
Pourtant, « la crise a des vertus de nettoyage » insistait-il, en clin d’œil à Schumpeter. Mais le monde des multinationales l’empêche (too big to fall) dorénavant et les banques ont dû être sauvées par les contribuables. Le prix Nobel de la Paix décerné à l’Europe en 2012 salue aussi le fait de ne pas avoir répéter les erreurs de la crise de 1929, ayant débouché sur la seconde guerre mondiale. Il faut dire que des dogmes sont tombés entre temps avec la fin du bloc communiste en 1989. Une utopie en chasse souvent une autre. Les néolibéraux – Thatcher, Reagan – réussissent à convaincre le monde « vers 1979 de déréguler, privatiser et célébrer l’initiative privée ». « Même la Chine ou les socialistes français » succombent à cette « pulsion libérale ».
C’est le début de l’endettement des pays riches : « les moutons de panurge. Tout le monde fait la même chose au même moment. Problème : il faut savoir sauter du bateau au bon moment », aime à dire François Lenglet. En privatisant les bénéfices et en nationalisant les pertes, les Etats sont contraints à une course au désendettement à présent, sans savoir jusqu’où aller pour ne pas ruiner la croissance et les rentrées d’impôts.
Pour ce journaliste international, « la troisième étape » de cette crise proviendra « des marchés émergents avec la folie de la Chine » qui a « rattrapé » son rang passé (25 % PIB mondial ; 17 % actuellement) en attirant les investissements capitalistes et… spéculatifs.
Si c'est une "bulle chinoise", elle explosera. S'il s'agit d'un recentrage, alors le désendettement continuera amenant une « longue période de faible croissance » qui « certainement débouchera sur de l’inflation », ne serait-ce que pour « réduire la dette » discrètement.
Entre temps les valeurs morales changent. Après l’ère libérale vient les corrections réglementaires avec une « société réclamant davantage de protection, notamment aux frontières ». D’où l’émergence des extrêmes de droite et de gauche sur l’échiquier politique. Mais la mondialisation continue, « diminuant les inégalités entre pays » mais « les augmentant au sein des pays ».
Avec des perspectives de « croissance nulle », François Lenglet estime que « c’est une chance éblouissante d’avoir une image qui créée de la valeur ». Lui qui « ne croit pas au déclin » de l’Occident, ne minimise pas cette « éclipse sur une génération », mais sait que « le système se reconstruit avec de nouvelles règles », comme le démontre l’histoire globale.
Avec une longue période de croissance, après l’incertitude, la « récompense » ira aux « entrepreneurs les plus réactifs » ayant « la meilleure idée ». Un message clair en direction des viticulteurs dans la salle s’interrogeant sur leurs capacités à monter en gamme. Sa dernière phrase résonnait comme une invitation collective à se remettre en question individuellement avant de bouger ensemble : « le grand problème, c’est le changement des habitudes. Car dans ces moments de crise, il faut avoir une conscience très claire de ce que nous sommes pour préserver ce à quoi nous tenons le plus de nous-mêmes. La crise nous fait douter de nous-mêmes. Mais après, la situation se décante et on est fortifié ».