Comment stopper la machine infernale ?
Depuis un quart de siècle, l’administration française « pond » une loi territoriale par an, rappelait en introduction le géographe. Des lois en rafale qui semblent toutes rédigées sous influence d’une pensée technocratique peu favorable au rural. La très sérieuse OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) soutient dans l’un de ses rapports « qu’il faut diminuer le nombre de communes en France ». Une affirmation symptomatique qui, selon Gérard-François Dumont, repose sur son lot « d’âneries habituelles ». A commencer par la thèse qu’avec ses 36.742 communes, la France serait un très mauvais élève en comparaison des autres pays. « En affirmant cela, l’OCDE ignore la géographie historique et culturelle de la France », recadre l’expert. Le rapport oublie en effet que la France est tout simplement le pays « le plus vaste de l’Union européenne, que ses nombreuses communes sont les héritières des paroisses de l’ancien régime, lorsqu’elle était encore le pays le plus peuplé d’Europe », rappelle le professeur. L’OCDE ignore par la même « l’extraordinaire diversité géographique du pays » qui justifie un maillage minimum de communes et de services.
Trop de communes, trop d’élus ruraux !
L’autre ineptie que dénonce avec vigueur Gérard-François Dumont, c’est que ce grand nombre de communes coûterait cher à la collectivité avec ses 500.000 conseillers municipaux jugés en excès… Affirmation complètement injustifiée car tous ces élus de terrain sont avant tout « des bénévoles qui paient même de leur poche pour leur dévouement et pour leurs communes », rectifie le recteur. Ces élus de base sont d’ailleurs « le meilleur de l’esprit civique et les garants d’une démocratie de proximité ». Le professeur à la Sorbonne va même plus loin en demandant ce qu’il adviendrait si l’on substituait à tous ces bénévoles « des fonctionnaires territoriaux travaillant 35 heures par semaine ? ».
Les campagnards n’ont pas d’idée !
Troisième croyance technocratique démontée par Gérard-François Dumont, « quand il n’y a pas assez d’habitants, on ne fait plus projets ». C’est cette affirmation dogmatique qui a inspiré la fameuse loi NOTRe lorsqu’elle fixe un seuil de 20.000 habitants pour les intercommunalités. Pour l’expert, cette thèse ne tient pas debout car « le développement de projet n’est absolument pas corrélé au nombre d’habitants ». Et le démographe de citer plusieurs exemples concrets contredisant cette affirmation méprisante : création du premier festival musical de France "Les Vieilles Charrues" à Carhaix (Bretagne), 7.000 habitants ; la renaissance du piment d’Espelette, 2.000 habitants (Pyrénées-Atlantiques) ; création d’un restaurant trois étoiles dans une commune de 400 habitants, Saint-Bonnet-le-Froid (Haute-Loire).
Le dynamisme d’un territoire « n’est pas une question de nombre d’habitants et de moyens financiers, c’est une question de volonté », défend Gérard-François Dumont.
Concepts ringards
Le professeur à la Sorbonne s’en prend aussi aux politiques d’aménagement du territoire qui, selon lui, sont bâties sur « quatre leurres ».
Le premier est le mythe de la « métropolisation » qui serait, selon les aménageurs, garante d’attractivité. Or c’est visiblement faux. « Une taille métropolitaine n’engendre pas nécessairement d’attractivité ». En témoigne la situation peu flatteuse de Paris « qui perd des centres de décision, est frappé par un fort taux de chômage et dont le solde migratoire est négatif », énumère l’expert.
Second leurre : « on continue à raisonner dans une logique de centres qui gouvernent et de périphéries qui obéissent… Ce n’est plus vrai ! », s’emporte le géographe qui n’hésite pas à qualifier de « ringard » l’Institut national de la statistique, lequel « fonctionne encore avec des concepts anciens d’unité urbaine, d'aire urbaine… ».
Sacro-saints schémas
Troisième erreur propre au système français d’aménagement du territoire, « il existe tout un ensemble de textes qui imposent d’élaborer des schémas. Des schémas produits en excès et qui ne donnent que peu de résultat », déplore Gérard-François Dumont. Le pire, c’est que dès que ces sacro-saints schémas (genre Scot) sont publiés, ils sont déjà dépassés, puisque élaborés à partir de données datant de 7 ou 8 ans ! Pour le recteur, « on n’a pas besoin de schémas, mais de projets ! ».
Plus édifiant encore, Gérard-François Dumont dénonce un quatrième travers qui se traduirait par une sournoise « logique de recentralisation depuis 25 ans ». Sur cet aspect, le professeur à la Sorbonne n’épargne pas le corps des hauts fonctionnaires, dont certains membres n’auraient jamais accepté les politiques de décentralisation, au point de les détricoter « en étouffant peu à peu l’autonomie des territoires » au gré des nouvelles réformes.
Inégalité numérique
Pour Gérard-François Dumont, il y a deux principes fondamentaux sur lesquels il ne faut rien lâcher. Le premier est le principe d’égalité. Or sur ce point, l’expert alerte sur l’égalité numérique, fondamentale pour le développement des territoires ruraux. Un principe qui n’a pas empêché l’Etat de « se défausser sur les collectivités territoriales ». Comme du temps de l’installation des réseaux téléphoniques, on pourrait revivre une profonde inégalité « entre une France où les entreprises acceptent de s’installer et une autre délaissée par l’économie… ». C’est l’inégalité numérique.
La France est aussi le théâtre d’une incroyable inégalité financière. « Une dotation globale par habitant qui va du simple au double selon que l’on est dans une ville de plus de 200.000 habitants ou de moins de 200.000 habitants et avec effet de seuil ! », fulmine Gérard-François Dumont. « Il n’y a aucune justification à une telle inégalité. Il faut une loi pour rétablir cette égalité ».
Paralysantes et chronophages…
Enfin, l’autre grand principe à instaurer est la subsidiarité (l’autorité centrale n’effectue que les tâches qui ne peuvent pas être réalisées à l’échelon inférieur). Un principe que le géographe veut appliquer aux intercommunalités. Ces grosses machines, imposées d’en haut, qui selon lui « participent à l’abstention des électeurs », n’ont visiblement aucune légitimité à se substituer de la sorte aux petites communes. « Ce principe doit être adapté à chacun des territoires », estime Gérard-François Dumont.
« Au lieu d’améliorer la vie des territoires, la multiplication des lois territoriales ne cesse de complexifier les choses par des contraintes et des normes très paralysantes et chronophages. Au lieu de cela, il y aurait besoin de stabilité institutionnelle en commençant par un audit précis des différents textes existants. La loi NOTRe est imparfaite et obsolète parce que fondée sur des données des années soixante, bien avant l’ère du numérique ! », conclut Gérard-François Dumont.
Au terme de ce brillant exposé, les élus présents dans la salle ne cachaient pas leur crainte de ne pouvoir stopper cette « machine infernale ». Certains s’interrogeaient aussi sur le rôle des parlementaires : « pourquoi votent-ils ces lois mauvaises », interrogeait-on. Le divorce entre les décisions politiques et la population semble consommé. Le fait que l’Etat ait la main financière « sur tout » était également dénoncé. « Tous les dispositifs financiers sont faits pour favoriser les intercommunalités », déplorait un participant. « Si on ne passait pas son temps à brider les territoires, il y aurait moins de chômage », résumait Gérard-François Dumont.
UMCR 71
L'appel aux parlementaires
L’UMCR 71 « réunit des maires de toute sensibilité politique », présentait son président Jean-François Farenc, maire de Blanot. Depuis le début de l’année, l’UMCR 71 s’est affiliée à l’Association des maires ruraux de France (AMRF). « Mais en conservant notre liberté d’action et d’opinion départementale », précisait toutefois le président. « Très préoccupés par la réforme territoriale en cours (loi NOTRe) et la situation financière locale alarmante qui menace les communes rurales d'asphyxie d'ici deux ou trois ans », les maires de communes rurales de Saône-et-Loire ont décidé de rencontrer tous les députés et sénateurs du département. Le but de la démarche est « d'infléchir les orientations du projet de loi NOTRe, notamment celles qui menacent le plus les communes rurales : grandes intercos où pourraient ne plus siéger à terme certaines communes, Dotation globale de fonctionnement (DGF) versée directement aux intercommunalités et non plus aux communes, transferts automatiques de compétences aux intercos... ».