Accès au contenu
Confédération des appellations et vignerons de Bourgogne

La sélection tout en précision

Le 11 avril dernier à Beaune, pour son assemblée générale, la Confédération des appellations et vignerons de Bourgogne (CAVB) continuait de creuser son long sillon, cherchant à renouveler le matériel végétal Bourguignon. Et qui de mieux que la directrice du pôle national matériel végétal de l’Institut français de la vigne et du vin (IFV) pour en dresser les grandes perspectives.

Par Cédric Michelin
La sélection tout en précision

Anastasia Rocque dirige donc le Domaine de l’Espiguette au Grau du Roi (Hérault), près de Montpellier, qui depuis 1960 a pour mission de fournir des plants sains aux vignerons, qui auparavant multipliaient leurs plants de vignes « et leurs virus ». Dans les terres sableuses proches de la Méditerranée, et loin d’un vignoble de production, le Domaine de l’Espiguette apporte de nombreuses garanties sanitaires. Mais encore faut-il « sélectionner, créer et inscrire » des variétés au catalogue, la première mission, devant celle de « conserver et diffuser les variétés auprès des pépiniéristes ». Elle commençait donc sa présentation par un point de vocabulaire pour rappeler que l’IFV s’intéresse principalement aux variétés vitis vinifera, qu’on nomme cépage. Pour la suite, elle préfère donc employer le terme de « variétés résistantes » plutôt que le terme de « cépages résistants », lorsqu’elle abordait les variétés issues d’hybridations interspécifiques, faisant intervenir des espèces autres que vitis vinifera, d’origines américaine ou asiatique. Sans rentrer dans les détails du « schéma de sélection complexe » en France, Anastasia Rocque simplifiait pour ne retenir que l’inscription au catalogue officiel des variétés « permet de multiplier la variété ». Ce catalogue est géré par le Comité technique permanent de la sélection des plantes cultivées qui applique trois conditions : que la dénomination soit incontestable ; que la variété soit bien distincte, homogène et stable (DHS) et que la variété présente des valeurs agronomique, technologique et environnementale (VATE) « notamment sa sensibilité à différentes maladies ». Avec la profession viticole nationale et par grand bassin viticole, FranceAgriMer et le Ministère de l’Agriculture valident et entérinent le classement.

Le chardonnay rose « réapparait »

Historiquement, ce catalogue avait pour objectif de « faire du vin » à partir des cépages dits « majeurs », et d’en augmenter le nombre de « clones » si besoin. Désormais, l’objectif est plus large et vise aussi à lister des cépages « patrimoniaux, oubliés, modestes, rares… », pour lutter contre la « standardisation », garder une identité régionale, développer des circuits courts ou l’œnotourisme, faire du storytelling et plus prosaïquement, pour conserver des caractéristiques intéressantes face au changement climatique avec des variétés aux caractéristiques culturales intéressantes.

Dans le cadre toujours de ce changement climatique, l’IFV va désormais aussi rechercher des cépages « étrangers » pour voir leur adaptation pédoclimatique possible en France dans le futur, comme par exemple l’assyrtiko, plus résistant à la sécheresse qui sévit depuis plusieurs années dans le vignoble du Roussillon par exemple. Mais cela peut aussi être à la demande de collectif de vignerons autour du touriga nacional (Portugal), du primitivo (Italie) ou du gouveio (Espagne), ne serait-ce que pour une question de notoriété de ces variétés à l’international. Ainsi, depuis 2006, 33 variétés étrangères ont été inscrites au catalogue, dont des variétés « du berceau d’Arménie et de Georgie car elles ont des gènes d’intérêts complètement différents » de nos variétés, permettant d’imaginer potentiellement demain des croisements. Mais c’est également possible avec les variétés « patrimoniales même s’il n’y a pas eu forcément de demandes de votre région ». Jusqu’à récemment, car depuis une dizaine d’années, la profession Bourguignonne a mis les bouchées doubles avec des projets Defigreffe, CepInnov ou la serre bioclimatique Qanopé, sans oublier la base, le plan de lutte contre le dépérissement contre l’Esca ou court noué. Anastasia Rocque citait toutefois le « chardonnay rose » qui était déjà cité dans d’anciens écrits de Bourgogne et de Champagne. L’IFV a « assainit et caractérisé » ses plants, inscrits en variété secondaire et les conserve précieusement pour la suite.

La diversité intra-variétale des clones

Mais le vrai travail de l’IFV est réellement sur la « sélection clonale ». Et non, clone n’est « pas un vilain mot » dans la bouche des sélectionneurs, mais bel et bien « la descendance d’une variété » donnée par multiplication asexuée (versus la reproduction sexuée). En clair, la sélection clonale vise à valoriser la diversité « intra-variétale ». Finalement, ce que faisaient les anciens qui repéraient les meilleurs pieds de vigne de façon empirique, avec leurs connaissances et yeux expérimentés. D’ailleurs, les scientifiques – et les organisations professionnelles sur le terrain (chambres d’agricultures, instituts…) – s’appuient encore sur eux pour prospecter les vieilles parcelles de vignerons et ainsi créer des conservatoires régionaux. L’IFV s’appuit dessus pour faire toutes les mesures possibles et voir si cela est intéressant d’agréer tel ou tel « clone » avant de le mettre potentiellement en prémultiplication pour multiplication et diffusion. Il faut compter 10 à 15 ans tout de même entre cette prospection et la diffusion !

Des hybrides aux variétés résistantes régionales

Autant dire qu’avec la déconsommation de vins, les changements d’habitudes de consommation, les dérèglements climatiques variés d’une région viticole à une autre, il y avait urgence à accélérer et inventer, ou tout du moins financer, un nouveau modèle de production de plants de vigne. Et finalement, quoi de mieux que de refaire l’histoire à l’envers de vitis vinifera qui avait fait le tour du monde par le passé et qui s’est acclimaté à chaque fois. Car, dans « le nouveau monde » (qui ne l’est plus depuis longtemps), vitis vinifera a été confronté à de nombreux pathogènes et d’autres vitis… Les scientifiques font alors de l’hybridation pour allier « résistance(s) et qualité(s) » selon la demande des professionnels. Il peut s’agir d’hybrider des variétés vitis d’espèces américaines ou asiatiques pour espérer trouver des résistances au mildiou, à l’oïdium, au froid hivernal… comme cela se fait depuis les années 1720 ! Aujourd’hui, 62 hybrides sont autorisés en France et inscrits au catalogue, dont 32 de cuve. On retrouve dedans des hybrides « anciens », les quatre Resdur1 (floreal, voltis, artaban, vidoc), 8 Resdur2 (coliris, lilaro, sirano, selenor, opalor, calys, exelys, artys). Bien d’autres arrivent ou sont en cours d’expérimentation. Enfin, toutes ces recherches et progrès en génétiques permettent d’accélérer sur la création de variétés résistantes à « typicité régionale », laissant espérer en Bourgogne/Champagne/Beaujolais des variétés résistantes en pinot, chardonnay, gamay…  Et pour les protéger avec « une garantie supplémentaire sur la qualité sanitaire des clones et des variétés à l’étape de prémultiplication », des serres comme Qanopé vont permettre « d’accélérer la mise à disposition de matériel végétal innovant » et espérer se prémunir de futures crises sanitaires à ces niveaux. 

Et si les NBT n’étaient pas classés OGM ?

En fin de présentation, Anastasia Rocque évoquait les NBT. Trois lettres en anglais pour dire « nouvelle sélection génétique » (new breeding technique ou NGT en français) qui regroupe de nouveaux outils de sélection dont la génomique et les fameux ciseaux moléculaires (CrispR-Cas9) mais font penser aux OGM. La loi en Europe est en train d’évoluer et les NBT pourraient être autorisés selon différentes catégories. « Les plantes NGT 1 pourraient être considérées comme équivalentes à des plantes conventionnelles, car elles pourraient également survenir naturellement ou par des méthodes de reproduction classique ». En dessous donc de 20 modifications génétiques donc, qui bien ciblés avec les ciseaux génétiques pourraient se faire au niveau des gènes de résistance.

Anastasia Rocque ouvrait donc la porte à une sélection de précision, mais sait que ce sera aux professionnels de la vigne de décider… si les politiques arrivent à convaincre des citoyens de plus en plus influencés. Pour les détracteurs, il s’agira de réactiver les peurs liées à la génétique en oubliant que de nombreuses variétés conventionnelles ont été obtenues par mutagenèses dirigées ou cisgénèses, et non par transgenèse introduisant un ADN d’une espèce différente.

Quel bilan après 60 ans de sélection ?

La sélection clonale a connu trois époques successives qui correspondaient à des attentes différentes des générations de viticulteurs. La première « époque » a finalement été celle visant à garantir un état sanitaire indemne de virus et de bons niveaux de production (chardonnay 76…). La seconde « époque » visait plus à trouver des variétés qualitatives (plus de sucres, composés aromatiques…) tels que le chardonnay 548 ou le gamay 787. La troisième « époque » est désormais d’explorer la diversité offerte par la variabilité de chaque espèce. Cela peut être pour la compacité des grappes et même, à rebours de la seconde « époque », avoir une accumulation de sucre moins élevée, une acidité totale supérieure ou une maturité plus tardive. Le réchauffement climatique est passé par là et les gelées printanières ont vu leurs risques grandir. Car l’IFV travaille « sur le temps long » pour s’adapter à des conditions évolutives (climats, marchés…) et procède par « accumulation » de connaissances et de clones anciens maintenus et disponibles. Au niveau des variétés à fruit, 1.060 clones sont disponibles au catalogue disponible sur le site www.plantgrape.fr. Au final, pas question non plus d’opposer sélection clonale et massale, ces deux modes sont complémentaires. La sélection clonale a pour principal avantage ses garanties sanitaires tandis que la sélection massale offre des niveaux de biodiversité élevés.