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Stéphane Le Foll

« Créer de nouveaux modèles »

Pour le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, « il est
aujourd’hui nécessaire de créer le concept d’une agriculture
performante, écologiquement et économiquement
». Indéniablement, cela
passera par « de nouveaux modèles à créer ». Interview.
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Deux mois après votre arrivée, quel regard portez-vous sur l’agriculture française ? Quels sont ses atouts et ses points faibles ?
Stéphane Le Foll : sa force et sa faiblesse, c’est sa diversité. C’est une force car la France est présente dans tous les secteurs. Cela crée de la valeur ajoutée, de l’emploi et nous permet d’avoir une balance commerciale excédentaire dans ce domaine. C’est paradoxalement une faiblesse, car cela multiplie les risques et les difficultés.

Vous insistez sur l’importance des bourgs et des structures intercommunales dans les zones rurales, qui connaissent parfois de grandes difficultés en termes d’emploi, de services et d’infrastructures. Pourquoi ?
S. Le F. : je veux remettre les bourgs et les villages au cœur du débat car ils tiennent une place toute particulière comme centres de vie et d’activité économique. Ce sont des lieux qui portent une vraie qualité de vie, ne les oublions pas ! En même temps, il y a des politiques à conduire pour y assurer les services nécessaires. Au-delà de l’aménagement du territoire, une nouvelle ère s’ouvre maintenant et l’enjeu, c’est celui de leur socialisation.

Le Premier ministre a évoqué une loi-cadre pour l’agriculture, prévue pour le deuxième semestre 2013. Quels en sont les principaux axes ?
S. Le F. : cette loi prendra en compte l’ensemble des questions agricoles, agroalimentaires, forestières et rurales. Elle sera l’occasion de porter un message, de tracer une perspective globale. Elle intègrera des points spécifiques sur le foncier, sur la fiscalité et sur l’ensemble des sujets. La loi cadre permettra à la France d’accompagner, dans un cadre législatif, la réforme de la Pac.

Quelle vision de la Pac entendez-vous défendre devant vos homologues européens ? Qu’attendez-vous de la négociation ?
S. Le F. : ce que je veux défendre, c’est l’idée que l’Europe doit prendre conscience de cet enjeu stratégique que sont l’agriculture et l’agroalimentaire. La politique agricole doit aussi soutenir l’emploi et la croissance. Ensuite, elle doit permettre aux agricultures d’assurer leur transition vers la durabilité de la production. Enfin, et c’est particulièrement important pour moi, la Pac doit valoriser la diversité des agricultures. Il y a aujourd’hui des risques considérables de spécialisation de zones entières, si cela se généralisait, ce serait très grave.

Quelles orientations souhaitez-vous ?

S. Le F. : le cadre est fixé. Le rapport établi à l’issue de la présidence danoise constitue une étape sur laquelle nous allons nous appuyer : verdissement du premier pilier, réorganisation et convergence des aides, sortie des références historiques pour les droits à paiement unique (DPU). La France devra défendre une convergence qui préserve la diversité de ses productions. Cela sera pour nous plus difficile que pour d’autres pays, car nous avons de grandes disparités entre les productions et les régions. Nous aurons donc à poser un certain nombre de modalités spécifiques pour la France.

La réforme de la Pac, c’est d’abord un débat sur le budget ? Êtes-vous confiant ?

S. Le F. : je suis conscient des difficultés qui existent à l’échelle européenne. Je suis prudent, je me battrai pour un budget européen qui soit digne de notre continent. C’est au Président de la République qu’appartient cette responsabilité et je réagirai par rapport à un budget qui sera la conséquence des grands choix européens. À partir de là, nous travaillerons avec ce périmètre financier que je souhaite le plus ambitieux possible.

La dimension environnementale vous tient à cœur. Vous souhaitez cependant sortir du débat économie-écologie et orienter l’agriculture vers de nouveaux modèles de production…

S. Le F. : nous sommes arrivés au terme d’une certaine façon de combiner agriculture et écologie, il est nécessaire de développer le concept d’une agriculture performante, écologiquement et économiquement. Diminuer le recours aux énergies fossiles, aux engrais et pesticides, respecter l’environnement reste indispensable, mais il est également nécessaire de dégager de la marge brute, de la valeur ajoutée. 
J’ai toujours milité pour le développement de l’agriculture bio, mais même si on atteignait l’objectif de 20 % de bio - on en est loin aujourd’hui -, il reste 80 % d’autres agricultures. 
Développer la bio n’est pas suffisant pour assurer la transition vers la durabilité. L’évolution vers des modèles plus durables est essentielle, cela concerne l’ensemble des modèles de production agricole, lesquels ne doivent pas s’opposer entre eux. Il n’y a plus de modèle dominant-dominé, mais une diversité qui s’adaptera aux écosystèmes.

Dans la loi d’avenir, vous souhaitez créer des groupements économiques et environnementaux. Pouvez-vous préciser leur rôle ?
S. Le F. : pour gérer les questions environnementales, il sera nécessaire de créer des dynamiques collectives entre agriculteurs et entre exploitations. On sera alors plus efficaces et le risque sera mutualisé entre les structures. Cela permettra de diffuser les pratiques innovantes, mais aussi de réhabiliter l’agronomie, de mieux traiter les questions de bassins versants, de développer l’agroforesterie, les systèmes bocagers ou encore la méthanisation. C’est un enjeu majeur.

Certaines entreprises, notamment agroalimentaires, rencontrent des difficultés. Dans ces conditions, comment mettre en œuvre le “pacte productif” annoncé par le président de la République ?
S. Le F. : l’agriculture, l’agroalimentaire et la forêt participent du pacte productif pour le redressement du pays. Si je prends l’exemple de la forêt, dont il sera également question dans la loi cadre, nous avons l’une des plus vastes forêts d’Europe mais nous importons des meubles pour 6 milliards d’euros. On ne peut pas continuer comme cela. Il y a dans l’agriculture, comme dans l’agroalimentaire et la forêt, des gisements d’emplois et de croissance. 
Et il y a surtout un tissu de PME et de PMI à développer. Je vois les difficultés mais aussi les potentialités, même s’agissant de la filière volaille. Nous importons aujourd’hui 40 à 45 % de nos poulets “bas de gamme”. Il y a là un marché à reconquérir. 
Notre rôle est d’abord de résoudre les problèmes qui se posent pour éviter les catastrophes. C’est ce que l’on a fait pour le groupe Doux depuis le début. Débloquer des financements, assurer le suivi pour éviter au maximum les licenciements : Guillaume Garot a pris le relais sur ces questions depuis son arrivée. Voilà notre rôle défensif. Mais il faut aussi être offensif. À la rentrée, nous allons ouvrir un cycle de tables rondes sur l’agroalimentaire et la forêt, afin de poser un diagnostic mais surtout d’être très opérationnels, pour décider ce que nous allons financer à travers la banque publique d’investissement, en lien étroit avec les régions. Je veux mettre l’accent sur l’innovation, sur la recherche et sur les soutiens aux petites et moyennes entreprises et industries. Être là au bon moment est déterminant pour qu’une petite entreprise gagne des marchés à l’export. Pour cela, il faut être présent sur le territoire de manière décentralisée.

Vous êtes vous-même issu de l’enseignement agricole et vous y avez enseigné. Quel rôle l’enseignement agricole peut-il jouer pour l’avenir de l’agriculture ?
S. Le F. : l’enseignement agricole doit être partie prenante du projet pour la jeunesse et l’éducation qui faisait partie des engagements du Président de la République, c’est pourquoi j’ai essayé, dans un contexte difficile, que faire en sorte qu’il soit doté dès cette rentrée de 50 postes d’enseignants supplémentaires avec un redéploiement de 60 postes d’aide au handicap, ce qui fait 110 postes en tout. 
C’est essentiel car l’enseignement agricole prépare les jeunes à se construire en tant que citoyens mais permet aussi à la société d’anticiper les grands défis de demain. Je parlais à l’instant de pratiques innovantes, il faut naturellement accompagner ce processus. L’enseignement agricole a ses spécificités et il a montré son efficacité à la fois dans la qualité des formations mais aussi à travers un taux d’insertion exceptionnel dans la vie professionnelle. Il faudra lui redonner un souffle. Une partie de la loi cadre que nous avons évoquée y sera consacrée.






Et la compétitivité ?


Comment régler le problème de la compétitivité et du coût du travail en France, après l’abandon de la défiscalisation des heures supplémentaires ou le blocage de l’allègement des charges sur les salariés permanents ?

S. Le F. : il y a bien un problème de différentiel de coût du travail, surtout dans l’agroalimentaire, entre la France et l’Allemagne notamment. Il n’y a pas de convention collective générale en Allemagne fixant notamment un salaire minimum. Il y a deux manières de régler ce problème : soit on diminue, nous, nos charges à due concurrence de celles de l’Allemagne. Mais où s’arrête-t-on et comment fait-on ? Faut-il supprimer le Smic dans les abattoirs ? La deuxième orientation qui est la bonne, est de convaincre les Allemands qu’ils ne peuvent pas continuer à avoir une part de leur agroalimentaire qui échappe aux standards sociaux européens. N’oublions pas que la réussite de l’agroalimentaire allemand est une histoire récente. Les IAA allemandes se sont développées depuis la réunification pour apporter une réponse, en matière d’emplois, aux besoins des anciens länder.

Le débat doit être celui de la convergence sociale en Europe. On ne peut pas rester, en permanence, en compétition entre nous sur le plan social. Autrement, c’est le moins disant qui l’emportera toujours.



En France même, certains, comme la FNSEA ou Légumes de France, disent qu’on peut améliorer la situation en matière de charges sur les salariés permanents. Un système a été proposé. Qu’est-ce qui bloque ?

S. Le F. : il y a deux problèmes qui se posent. Un problème budgétaire d’abord, toutes les exonérations étant appuyées sur le budget de l’Etat. Or, vous savez à quel point est important l’objectif de réduction du déficit du budget. Le deuxième problème est celui de l’euro-compatibilité. On ne peut pas avoir de mesure ciblée, vis-à-vis du droit de la concurrence européen.




Jusqu’à présent, vous avez dû gérer l’urgence, de dossiers en dossiers. À quand l’expression d’une politique agricole plus globale, conforme à votre vision et comment la caractériseriez vous ?
Stéphane Le Foll : il y a eu en effet des urgences, entre le dossier Cruiser et celui de Doux par exemple. Quel est le calendrier que j’ai en tête ? C’est d’abord la négociation de la réforme de la Pac. Aujourd’hui, au Parlement européen il y a quatre rapports législatifs, 6.000 amendements, c’est dire à quel point la question est discutée. Sur le plan national maintenant, il va y avoir un travail de fond pour déboucher, l’année prochaine je l’espère, sur une loi cadre pour l’agriculture, l’agroalimentaire et la forêt.
Voilà l’agenda. Il faut d’abord qu’on ait le périmètre européen pour avoir un cadre national ensuite. Je procède à l’envers de ce qui a été fait jusqu’ici. Je ne fais pas une loi avant de savoir ce qui va se passer sur le plan européen.

Quel est l’objectif de cette loi cadre ?
S. Le F. : l’objectif est de permettre à l’agriculture française de développer son potentiel et sa diversité. C’est cela la force de notre agriculture. Cela implique une combinaison entre l’économie et l’écologie. Il y a une transition à assurer dans ce but. Le Grenelle de l’environnement n’a pas apporté des réponses probantes à cette question. Je pense même qu’on est bloqué aujourd’hui.

Bloqué ? En quoi ?
S. Le F. : parce que l’accumulation des normes, exploitation par exploitation est très peu efficace. La preuve, c’est que d’après les derniers chiffres, on a utilisé plus de produits phytosanitaires. Il y a certes des raisons objectives à cela, conjoncturelles ou structurelles.

Alors comment aller de l’avant ?
S. Le F. : ce qu’on fait aujourd’hui, c’est corriger les effets négatifs des modèles de production d’hier. On ne les remet pas en cause et on segmente les problèmes. Alors que pour réussir, il faut avoir une démarche qu’on peut appeler systémique.
C’est en faisant évoluer les systèmes de production qu’on pourra réduire les recours aux herbicides, aux engrais minéraux ou qu’on pourra protéger les sols. C’est cela qu’il faut faire. Il ne faut pas rester dans une logique de correction de ce qui ne va pas bien, il faut créer des modèles nouveaux pour aller vers une agriculture performante sur le plan économique et écologique.

Les propositions de Dacian Ciolos vont-elles dans ce sens ?
S. Le F. : oui, elles vont dans ce sens. Mais elles correspondent à une démarche exploitation par exploitation. C’est logique puisque l’Europe a une politique qui s’adresse aux exploitants, pris individuellement, et c’est d’ailleurs ainsi que les aides leur sont versées. Pourtant, pour être efficace au niveau local, il va falloir mettre en place des dynamiques collectives.

Qu’est-ce que cela implique ?
S. Le F. : par exemple, si on prend la question des rotations de cultures, de couverture des sols, de biodiversité, de protection des captages, si on veut développer des énergies renouvelables : biomasse, méthanisation… Il est plus intelligent de s’y prendre de manière collective que de façon individuelle. C’est surtout plus efficace. Et surtout, ce qu’il faut, c’est créer une dynamique chez les agriculteurs.
Faire en sorte qu’ils ne subissent pas des lois ou des règlements, mais qu’ils aillent vers un système où l’environnement et l’économie vont de pair. Moins ils utiliseront de consommation intermédiaire à production égale et plus ils pourront dégager de la marge.

Les agriculteurs ont souvent le sentiment de ne pas être associés à ces orientations. Comment faire pour qu’ils aient le sentiment de l’être plus ?
S. Le F. : il y a un dialogue à organiser. On le préparera dans le cadre de la conférence environnementale, en septembre. On devra faire aussi une évaluation de ce qui a été réalisé. Pas la peine de refaire ce qui est déjà fait. Et puis, on va engager des discussions plus larges sur ce qui doit progresser. J’espère que d’ici-là on aura avancé sur la Pac. On utilisera la réforme de la Pac pour enclencher ces processus. J’ai un objectif, je l’ai déjà dit : mettre en place ce qu’on a appelé des groupements d’intérêt économiques et écologiques, avec des démarches plus collectives, pour traiter de ces questions.

Il faut donc aller plus loin que les objectifs du Grenelle ?
S. Le F. : le vrai problème du Grenelle, c’est qu’il s’est borné à fixer, par tranche, des objectifs. Il a été annoncé -50 % sur les phytos ou 20 % d’agriculture biologique. C’est louable, même courageux, mais comment y arrive-t-on ? Et au-delà des outils qu’on utilise, quels modèles de production met-on en place ?
Pour l’instant, se posent aussi des problèmes plus urgents comme celui de la compétitivité et du coût du travail.

Comment le régler, après l’abandon de la défiscalisation des heures supplémentaires ou le blocage de l’allègement des charges sur les salariés permanents ?
S. Le F. : il y a bien un problème de différentiel de coût du travail, surtout dans l’agroalimentaire, entre la France et l’Allemagne notamment. Il n’y a pas de convention collective générale en Allemagne fixant notamment un salaire minimum. Il y a deux manières de régler ce problème : soit on diminue, nous, nos charges à due concurrence de celles de l’Allemagne. Mais où s’arrête-t-on et comment fait-on ? Faut-il supprimer le Smic dans les abattoirs ? La deuxième orientation qui est la bonne, est de convaincre les Allemands qu’ils ne peuvent pas continuer à avoir une part de leur agroalimentaire qui échappe aux standards sociaux européens. N’oublions pas que la réussite de l’agroalimentaire allemand est une histoire récente. Les IAA allemandes se sont développées depuis la réunification pour apporter une réponse, en matière d’emplois, aux besoins des anciens länder.
Le débat doit être celui de la convergence sociale en Europe. On ne peut pas rester, en permanence, en compétition entre nous sur le plan social. Autrement, c’est le moins disant qui l’emportera toujours.

La FNSEA propose un Smic européen…
S. Le F. : il ne s’agit pas évidemment de mettre en place un Smic européen uniforme dans tous les pays. Le Tchèque peut-il avoir le même Smic que le Français ? Non. C’est effectivement un Smic par pays européen et par branche qu’il faut.

Cependant, en France même, certains, comme Légumes de France, disent qu’on peut améliorer la situation en matière de charges sur les salariés permanents. Un système a été proposé. Qu’est-ce qui bloque ?
S. Le F. : il y a deux problèmes qui se posent. Un problème budgétaire d’abord, toutes les exonérations étant appuyées sur le budget de l’Etat. Or, vous savez à quel point est important l’objectif de réduction du déficit du budget. Le deuxième problème est celui de l’euro-compatibilité. On ne peut pas avoir de mesure ciblée, vis-à-vis du droit de la concurrence européen.

Les producteurs disent que vous vous cachez derrière cette contrainte ?
S. Le F. : non ! On ne peut pas vouloir l’Europe et ensuite la nier quand cela nous arrange. S’agissant des légumes, on ne peut pas d’un côté se plaindre des plans de campagne qu’il faut rembourser et vouloir d’un autre côté recréer des soutiens qu’il faudra rembourser un jour. Il faut être cohérent.
Ceci dit, sur le plan français, les efforts sont indéniables. Je vais défendre, dans le cadre des discussions budgétaires, la poursuite de l’allégement des charges pour les travailleurs occasionnels.

Pour les producteurs, c’est considéré comme un acquis…
S. Le F. : un acquis qu’il faut défendre dans une situation où tous les Français font des efforts pour réduire les déficits budgétaires. Si le financement a été prévu, il faut savoir qu’il y a une dérive budgétaire : le coût va au-delà de ce qui était envisagé. En ce qui concerne les exonérations de charges des permanents, l’Europe ne semble pas bien convaincue de sa validité. L’application ne pourra pas être envisagée tant qu’on n’a pas un feu vert de l’Europe. Cela peut prendre du temps. Au fond, la vraie réponse à ces questions de coût du travail, c’est au sein de la grande conférence sociale qu’elle se trouve. Ne multiplions pas les mesures ponctuelles. Un dispositif général, s’appliquant à tous les secteurs, n’a pas besoin du feu vert de l’Europe. C’est donc à cette conférence sociale que revient le rôle de mettre à plat ces mécanismes et de proposer des solutions. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai demandé à ce que l’agriculture y soit représentée.

Comment devrait se traduire la politique d’économies budgétaires demandées par le Premier ministre sur le ministère de l’Agriculture ?
S. Le F. : la règle s’applique sur le ministère de l’Agriculture comme sur les autres. Il y a des créations de postes dans des secteurs prioritaires, mais il faut une stabilité globale du nombre de fonctionnaires. Les objectifs en matière de déficit budgétaire nous obligent à être très stricts et faire des choix précis sur nos priorités. L’enseignement agricole est une de ces priorités. Nous avons créé 110 emplois dont 50 postes d’enseignants cette année et c’est justifié car l’enseignement agricole a montré sa singularité et son efficacité en termes d’insertion professionnelle. Deuxième priorité, les questions de contrôle sanitaire, sur lesquelles il faut montrer la plus grande vigilance. Pour le reste, ce sera certainement difficile. Les crédits d’intervention seront bien sûr touchés. La négociation est en cours. Il faut savoir qu’en matière de crédit d’intervention, l’objectif général du gouvernement est de -7 % en 2013, -11 % en 2014 et -15 % en 2015.

Depuis un mois, les prix des matières premières flambent. Estimez-vous qu’il faille réguler ces cours et si oui, comment ?
S. Le F. : évidemment qu’il faut les réguler ! Mais aujourd’hui, cette régulation ne dépend plus uniquement de l’Europe. D’où le G20, au sein duquel des choses ont déjà été faites. Il faut poursuivre cette démarche de régulation à l’échelle mondiale. C’est absolument nécessaire. Il faut aussi prendre des mesures de lutte contre la spéculation sur les marchés agricoles et alimentaires. Certaines existent déjà, comme sur le marché des matières premières de Chicago, où des systèmes de cliquets permettent d’arrêter les cotations au-delà d’un certain niveau.

Mais le marché des matières premières de Chicago est très volatil, même avec ce système de barrières...
S. Le F. : cela évolue. Des corrections ont été faites avec ces cliquets qui ont limité l’emballement général. Je ne dis pas qu’on va empêcher la spéculation : je dis simplement qu’il faut que la spéculation soit soumise à des règles. A l’échelle européenne, il faut un contrôle plus strict. Le commissaire européen Michel Barnier, avec qui j’ai récemment échangé, a fait des propositions dans ce sens au niveau européen. L’objectif est que, sur les marchés alimentaires et agricoles, la spéculation ne vienne pas emballer des situations déjà tendues.

En attendant, ces excès de coûts pénalisent les éleveurs. Que faut-il faire pour éviter des coûts de production excessifs pour l’élevage ?
S. Le F. : il faut appliquer l’accord du 3 mai 2011 (1). C’est la première fois que les conditions de son application sont remplies. Il a été critiqué mais on ne peut pas encore dire s’il est suffisant ou pas. Il faut déjà qu’on l’applique sur le premier secteur qui remplit les conditions, à savoir celui de la volaille. La Fédération des industries avicoles (Fia) doit saisir ses partenaires et notamment la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), Leclerc et Intermarché. C’est un accord qui peut fonctionner, je vais en tout cas l’appuyer pour répercuter les hausses de prix à tous les stades de la filière.

Vous parlez d’une logique d’organisation des producteurs. Mais quelle stratégie adopter face à l’Autorité de concurrence ?
S. Le F. : c’est tout le débat qui s’engage à l’échelle européenne aujourd’hui : le poids du droit de la concurrence. Comment fait-on pour le faire évoluer ? Parce qu’aujourd’hui, nous sommes à chaque fois pris dans des contradictions. Nous demandons aux producteurs de s’organiser, et dès qu’ils s’organisent - parfois -, il y a des difficultés qui sont posées au nom du droit de la concurrence. Des discussions sont engagées au niveau européen comme le montre le rapport Dantin. Le paquet lait a lui-même permis de faire avancer les choses, puisqu’il permet des négociations de prix et de volume jusqu’à un maximum de 33 % de la collecte française. Cela signifie donc que les producteurs peuvent se regrouper de façon efficace, sans être sanctionnés par l’autorité de la concurrence. Le paquet lait est pour moi une vraie base de discussion et de négociation.

Que dit le rapport sur le bilan de la contractualisation dans le secteur laitier que vous avez reçu vendredi 13 juillet ?
S. Le F. : on m’a présenté un point d’étape sur qui s’est passé dans les contrats laitiers. La question est de savoir comment on peut les améliorer pour garantir l’approvisionnement, dans de bonnes conditions, de l’industrie laitière tout en apportant des assurances aux producteurs, à la fois sur la collecte et sur les prix. Tout l’enjeu pour moi est de faire en sorte que dans ces contrats, nous ayons des clauses de négociation sur les prix qui permettent d’éviter les trop fortes volatilités. C’est ça l’objectif. Mieux s’organiser collectivement et essayer de limiter de manière trop brutale et systématique la volatilité des prix. Ensuite, nous essaierons de voir si on ne peut pas réfléchir à étendre cette idée de la contractualisation à d’autres secteurs.

C’est une affaire privée, ces contrats. Comment comptez-vous intervenir ?
S. Le F. : nous n’avons pas à intervenir directement dans ces relations contractuelles, mais à organiser le cadre et inciter les acteurs à jouer réellement le jeu du partenariat. Ce que je veux, c’est améliorer les choses, aller vers des contrats négociés par des organisations de producteurs (OP), pour rééquilibrer le rapport de force entre les industriels et les producteurs. Le paradoxe est que le décret qui prévoit la mise en place des OP est arrivé après le décret qui rendait obligatoire la signature des contrats. Mais on ne va pas pour autant arrêter tout le système sous prétexte que tous les contrats seraient à renégocier. Il faut avancer.

Le prix du lait inquiète les producteurs. Qu’en pensez-vous ? Craignez-vous une fin d’année difficile ?
S. Le F. : il y a des inquiétudes, mais il ne faut pas non plus craindre le pire. Ce n’est pas sûr. Nous allons regarder tout cela. Nous serons très attentifs à l’évolution du prix du lait. Jusqu’au mois d’octobre, on prévoit une baisse plutôt limitée, mais on reste sur un prix tout de même assez correct par rapport à ce qu’on avait connu durant la crise de 2009, même si il est un peu inférieur à celui de l’année dernière qui était excellente. La difficulté pour les éleveurs laitiers, comme pour les autres éleveurs, vient autant du prix des céréales pour l’aliment du bétail que du prix du lait. Et au-delà d’octobre, personne ne peut dire raisonnablement quelle sera la tendance. Donc le mot d’ordre, c’est : vigilance, et solidarité entre les acteurs de la filière.

Sur le dossier de la volaille, êtes-vous préoccupé, autant que votre confrère Arnaud Montebourg, par l’idée de garder Doux comme un seul ensemble cohérent ? Ou est-ce que finalement pour sauver l’ensemble, ne faut-il pas accepter la séparation des établissements ?
S. Le F. : nous avons toujours plaidé pour une offre globale. Je ne souhaite pas que des opérateurs viennent, intéressés uniquement par un ou deux ateliers ou par un ou deux sites, en laissant de côté beaucoup d’autres. Nous avons, dans ce sens, impulsé les discussions entre les industriels et cherché à trouver la solution la plus globale possible. Reste que l’offre coordonnée n’est à ce jour pas satisfaisante aujourd’hui pour le gouvernement, dans la mesure où les licenciements prévus sont trop importants. Donc on va essayer d’améliorer cette offre. Quant à celle de Charles Doux, depuis le départ, on a toujours une offre qui est annoncée sans être précisée. La difficulté pour Charles Doux aujourd’hui est d’être capable, lui seul, de mobiliser des acteurs alors qu’il a 350 millions de dette. En tout cas, toutes ces offres doivent être améliorées sur le plan industriel, social et agricole.
Les intérêts des éleveurs ne devront pas être oubliés.

(1) Accord qui prévoit l’ouverture de négociations avec les distributeurs lorsque les coûts de production flambent.