Accès au contenu
Protection des cultures

De la plante intrus à la plante intrant

La 22e conférence du Columa s’est tenue à Dijon mi décembre. Ces conférences se tiennent tous les trois ans et constituent un lieu de
rencontre privilégié des acteurs de la Protection des plantes, et plus
particulièrement pour la lutte contre les mauvaises herbes et
l’entretien des sols. Organisées par l’Association française de protection des plantes (AFPP), ces journées réunissent botanistes,
écologues, étudiants, chercheurs et professionnels des firmes impliqués
dans la lutte contre les adventices.
Par Publié par Cédric Michelin
127871--Columa_Dijon.JPG
Cette année, une large part a été réservée aux sujets d’actualité, avec par exemple la résistance des plantes aux herbicides, l’évolution de la réglementation et ses impacts sur les techniques de désherbage, l’impact des herbicides sur les milieux… La journée agriculteurs a quant à elle été particulièrement orientée vers les techniques de semis direct sous couvert végétal.

Dernier mode d’action homologué : 1994


On estime aujourd’hui que, toutes cultures confondues et en l’absence de désherbage, les mauvaises herbes sont responsables de pertes de rendement d’environ 40 %. L’apparition de moyens de lutte chimique est donc une des raisons qui ont permis l’explosion des rendements à partir de la fin de la seconde guerre mondiale. Chercheur à l’Inra de Dijon, Jacques Gasquez a recensé, depuis 1945, le nombre de substances actives (s.a.) disponibles par culture, ainsi que le nombre de modes d’action. Plusieurs molécules différentes peuvent avoir le même mode d’action : elles agissent sur le même site et sont par conséquent généralement vulnérables aux mêmes résistances.
Alors que la capacité de l’industrie chimique à formuler de nouvelles molécules n’a depuis la guerre jamais cessé de croître, le nombre total d’outils à disposition des utilisateurs a atteint un plafond au début des années 90. D’après Jacques Gasquez, plusieurs explications sont à prendre en compte.
« Le contexte environnemental, d’abord : Les molécules les plus souvent quantifiées dans les eaux sont les herbicides ». Cela ne veut pas dire qu’elles soient détectées au-dessus des seuils réglementaires, puisque d’après le rapport du ministère paru cet été, « seulement 4 % des points suivis dans les cours d’eau en 2011 font état d’un dépassement avéré de norme ». Mais avec l’accroissement des capacités d’analyses, les métabolites elles-mêmes peuvent être retrouvées et quantifiées.
« Il y a aussi le contexte floristique, avec une perte estimée à 40 % de la diversité floristique », continue le chercheur. Certes, on observe 15% de nouvelles espèces, mais pas assez pour atteindre l’état floristique initial. Enfin, il faut compter avec le contexte législatif : le législateur s’est fixé un objectif quantitatif de réduction des substances actives, mais sans prendre en compte leur mode d’action.
Résultat : on retire aujourd’hui du marché plus de molécules qu’on en homologue de nouvelles. Si on a homologué en moyenne deux molécules herbicides par an entre 1945 et 1990, on en retire à peu près autant depuis les années 2000. Et le dernier mode d’action homologué l’a été en... 1994.


L’Inra schizophrène ?


A entendre les spécialistes de malherbologie réunis lors du Columa, pour une grande partie chercheurs à l’Inra de Dijon, beaucoup d’incohérences conduisent les décideurs à prendre des décisions plus politiques que techniques. Les conséquences sont multiples : impasses techniques et cultures orphelines, risque d’augmentation du nombre de plantes résistantes par diminution du nombre de modes d’action...
« Et pourtant ces décideurs ont bien dû prendre leurs conseils quelque part ? » demande un participant. Plusieurs causes à ce grand-écart (au-delà du fait que le vénérable institut ne parle pas toujours d’une seule voix) : l’Inra, bien qu’un des organismes les plus qualifiés pour émettre son avis sur ces thématiques agricoles, n’est pas la seule à être écoutée. D’autre part quand elle l’est, ses recommandations ne sont pas forcément suivies. Ainsi pour le Grenelle : « Lisez le rapport que l'Inra avait rédigé : il recommandait une baisse de 30% »… Qui s’est transformée en 50% dans la mouture proposée par les parlementaires. Sans compter qu’une baisse de moitié de l’utilisation des phytos « n’aura pas d’impact sur la qualité des eaux » : il faudrait envisager une baisse de l’ordre d’un facteur 10 ou 100…

Agriculteurs à la pointe


Côté agriculteurs, l’après-midi du jeudi a été réservée à des présentations de techniques dites de « semis direct sous couvert végétal ». Encore peu documentée en France, mais déjà largement diffusée au Brésil, cette technique commence à se répandre notamment chez les adeptes des techniques culturales simplifiées (TCS). Le principe consiste à abolir complètement le travail mécanique du sol (profond et superficiel), de maintenir une couverture végétale constante sur la parcelle, et de gérer la population adventice en mettant en place une rotation permettant de « casser le rythme des plantes » en créant des « régimes de perturbations ». Pas facile à imaginer.
« En pratique, explique Philippe Lenglet, agriculteur installé dans le sud de la Meuse et en TCS depuis 1992, il faut trouver la rotation qui vous convient. Pour moi, continue-t-il, j’ai commencé avec la rotation triennale colza-blé-orge. Devant les gros problèmes de vulpin, et aussi pour limiter ma chute de revenu, j'ai introduit des cultures de printemps. Et de fil en aiguille, je suis arrivé à la rotation suivante : colza, orge d'hiver, couvert estival, blé, couvert, maïs, orge de printemps (deux cultures de printemps de suite pour casser le rythme des graminées), couvert d'avoine dense (effet allopathique), pois de printemps ou féverole. »
Des techniques pointues, qui demandent le sens de l'observation, une bonne connaissance botanique, du sang froid. Pour Jean-Luc Forler, technicien à la chambre d'agriculture de la Moselle, l'important est de « limiter les cultures salissantes pendant la période de transition ». Petit à petit les réseaux et les expériences s’étoffent... et le champ s'apprivoise, ce qui permet à Konrad Schreiber de titrer : « de la plante intrus à la plante intrant ».