De nouveaux insectes pollinisateurs
peine à suivre l'augmentation des besoins des agriculteurs. Face à ce
constat, d'autres insectes sont aujourd'hui à l'étude pour les suppléer
dans leur travail de pollinisation des cultures.
Les abeilles améliorent ainsi en quantité et en qualité la production de 75 % des plantes cultivées dans le monde. Un service qui fournit le tiers de notre alimentation et se chiffrait, en 2005, à 153 milliards d'euros par an dans le monde, soit près de 10 % du chiffre d'affaires de l'agriculture, selon une étude franco-allemande parue en 2008, dirigée par des chercheurs du CNRS et de l'Inra. Face aux difficultés que connaît l'apiculture, comment compléter le travail de pollinisation des abeilles ?
Pendant longtemps, agriculteurs et chercheurs ont surtout reconnu cette faculté à l'abeille mellifère, négligeant le rôle d'autres insectes : des papillons, des guêpes, certaines mouches… mais surtout des abeilles sauvages (dont les bourdons), les plus efficaces. Elles surpassent même l'abeille mellifère, qui, comme son nom l'indique, a été sélectionnée avant tout pour sa production de miel.
Il manque 7 milliards d'abeilles dans le monde
Aujourd'hui, l'agriculture souffre d'une carence en abeilles domestiques. Selon une étude internationale publiée en 2013 et menée dans 41 pays européens, il manquerait aujourd'hui plus de 13,4 millions de colonies, soit 7 milliards d'abeilles. Alors, entomologistes et agriculteurs s'intéressent de plus près aux autres insectes pollinisateurs, et essaient même d'en élever pour la pollinisation de cultures ciblées : les osmies (des abeilles sauvages) pour les arbres fruitiers, l'abeille solitaire Megachile rotundata ou la mouche verte Lucilia sericata, pour la production de semences de légumes.
Le début d'une nouvelle histoire de domestication ? L'idée n'est pas nouvelle, mais elle revient au goût du jour : dans les années 1960 au Japon, les agronomes avaient constaté l'efficacité des osmies pour polliniser les arbres fruitiers et ont commencé à utiliser des espèces locales à la place de l'abeille à miel dans les vergers de pommiers et de cerisiers. Aujourd'hui, dans la vallée centrale de Californie, où 320.000 hectares d'amandiers (80 % de la production mondiale) mobilisent chaque année 1,6 million de ruches de tout le pays et au-delà, l'entomologiste Theresa Pitts-Singer (Utah State University) tente de développer l'usage d'Osmia lignaria.
Cette abeille solitaire est facile à élever, n'étant ni agressive, ni sujette aux maladies qui déciment les colonies d'Apis mellifera. La principale difficulté consiste à la relâcher en masse au moment de la floraison. Pour cela, on dispose dans l'exploitation des cocons dont les abeilles sont prêtes à émerger. Mais pas trop tôt, car elles n'ont alors rien à manger et meurent ; ni trop tard, pour ne pas perdre une partie de la production. D'où l'importance de bien connaître le cycle de développement de cet insecte, qui peut être ralenti ou accéléré en ajustant la température. Pour s'affranchir de cette contrainte temporelle, l'équipe de Theresa-Pitts Singer va prochainement planter des bandes fleuries dans les vergers pour que les abeilles puissent se nourrir en-dehors des 3 semaines de floraison des amandiers.
La diversité d'abeilles favorise la pollinisation
Autre défi : faire en sorte que le maximum d'insectes s'établisse et se reproduise dans le verger. Ainsi, les pontes déposées dans les nichoirs seront facilement récupérées et stockées jusqu'à l'année suivante. Or, pour le moment, la moitié des femelles vont nicher en-dehors du verger. « Nous allons tester un spray attractif pour les appâter vers les nichoirs », annonce la scientifique. De plus, comme leurs cousines domestiques, les osmies sont sensibles aux pesticides de la famille des néonicotinoïdes.
Pour le moment, l'introduction des osmies a été tentée à petite échelle. « Dans les zones où nous les avons relâchées, le rendement augmente par rapport aux zones où il n'y a que des abeilles domestiques », explique Derek Artz, chercheur dans la même équipe. « En disposant des nichoirs à intervalles réguliers à l'intérieur du verger, en plus des ruches qui sont généralement en périphérie, nous pensons que le rendement sera aussi plus uniforme », ajoute Theresa Pitts-Singer.
Car il ne s'agit pas de remplacer totalement les abeilles mellifères. « La forte dépendance des amandiers envers les abeilles domestiques, face aux pénuries qui se produisent, montre bien le danger qu'il y a à reposer sur une seule espèce », argumente Neal Williams, apidologue à l'Université California-Davis. « En outre, de nombreux exemples font état d'une augmentation des rendements lorsqu'une diversité de pollinisateurs est préservée », renchérit le chercheur argentin Marcelo Aizen (Universidad Nacional del Comahue). Par exemple, les abeilles domestiques et sauvages ne se déplacent pas de la même manière sur la fleur du fraisier, et l'absence d'un des deux groupes entraîne des fruits malformés. Dans les productions de semences hybrides, pour lesquelles on plante en alternance des rangées de plants mâles et femelles, la synergie va au-delà : la présence d'abeilles sauvages rend plus efficaces les abeilles mellifères. « Par leur trajectoire erratique, les abeilles sauvages forcent les abeilles domestiques à changer de rangée de colza plus fréquemment, ce qui favorise le transfert de pollen des plants mâles aux plants femelles », explique Nicolas Cerrutti, chargé d'études « abeilles » au Centre technique interprofessionnel des oléagineux et du chanvre.
Dans le détail, hors quelques productions, tout reste à apprendre : les abeilles sauvages doivent leur efficacité à une grande spécialisation – à un ou quelques types de plantes –, à la différence des abeilles à miel. Pour chaque type de cultures, il faudra donc identifier les meilleures candidates, étudier leur cycle de développement, les maladies, concevoir des nichoirs adaptés, tester la densité d'insectes nécessaires à une pollinisation optimale. Mais sans aucun doute, les pollinisatrices de demain se trouvent dans le vivier de biodiversité sauvage, qui compte 2.000 espèces d'abeilles rien qu'en Europe.
Cultures et insectes pollinisateurs
Si une production sur dix est totalement inféodée aux insectes pollinisateurs (kiwi, cacao et courges, par exemple), pour d'autres (comme le colza), le transport du pollen est assuré par le vent et complété par les insectes. Enfin, les plantes dont on consomme d'autres parties que les graines ou les fruits (oignons, carottes…) ne sont tributaires des insectes que pour la production de semences. Cependant, les données précises font encore défaut : « Dans la pratique règne l'empirisme le plus total, indique Bernard Vaissière (INRA). Par exemple, on utilise de 0,5 à 20 colonies d'abeilles par hectare de fraisiers. » En outre, « nous n'avons pas encore une très bonne connaissance des meilleurs pollinisateurs pour chaque culture », ajoute Tom Breeze (Université de Reading, Royaume-Uni).