Les fléaux des agriculteurs
Dégâts de corvidés, de pigeons, de ragondins, de sangliers, de chevreuils, de cerfs… Les agriculteurs de l’Ain, du Rhône et de la Saône-et-Loire sont confrontés à diverses problématiques en lien avec la faune sauvage. S’il est difficile pour eux de lutter contre ces nuisibles, des solutions permettant de les aider existent, d’autres sont en phase de test.
Que ce soit dans l’Ain, dans le Rhône ou en Saône-et-Loire, ainsi que dans la quasi-totalité, pour ne pas dire tous, des départements français, les agriculteurs sont confrontés, chaque année, ont des problématiques liées aux nuisibles, comme les corbeaux, les pigeons, les sangliers, les cervidés ou encore les ragondins, qui causent d’importants dégâts sur les cultures.
En Saône-et-Loire, « les plus gros dégâts sont causés par les corbeaux, sur les maïs et un peu sur les tournesols (ici, ce sont surtout les pigeons qui causent des dégâts sur cette culture ; essentiellement dans le Chalonnais et le Val de Saône, N.D.L.R.) », débute Antoine Villard, de la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire. « Curieusement, cette année, on a beaucoup moins d’attaques de corbeaux, contrairement aux dernières années. On ne saurait pas trop l’expliquer. Pourtant, on en a vu beaucoup. On a semé de manière assez groupée cette année, cela peut être une explication », s’interroge-t-il, précisant que « les corbeaux font des dégâts quand ils nourrissent leurs petits ».
Quant aux sangliers ? « Il y a des secteurs où il y a des dégâts, du côté de Buxy notamment. Les agriculteurs sont en relation avec les fédérations de chasse pour protéger leurs cultures », précise Antoine Villard.
« À part les tirs pour réguler, il n’y a pas vraiment de solution »
Philippe Sandron, céréalier sur la commune de Lurcy, dans l’Ain, est victime comme tous les ans des dégâts de corvidés sur ses cultures. Sur une SAU de 165 ha, à l’Earl des Chenaudes, on cultive principalement du maïs, blé et colza. Il témoigne : « Cette année, on est un peu moins embêtés, mais il y a toujours cette pression de corbeaux : la corneille noire et le corbeau freux. On est obligé d’utiliser des semences traitées. J’ai arrêté le tournesol il y a six ans parce que j’avais dû ressemer deux fois la culture. Au moment des semis, on a eu des levées rapides, donc moins d’attaques ». L’agriculteur est reconnaissant envers les chasseurs qui jouent le jeu et contribuent à la régulation des corvidés. « La société de chasse a organisé deux battues cette année, la première fin avril et l’autre mi-mai, avec près de 350 corvidés tués au total. On remercie les chasseurs ».
Des attaques qui ont des conséquences économiques directes et indirectes : « cela impacte le coût des semis, et ce n’est pas évident de reprendre un semis qui a mal démarré. À part les tirs pour essayer de réguler, il n’y a pas vraiment de solution, et ça fait quinze ans que ça dure ! Quant aux pièges, il faut être piégeur agréé et cela demande du temps », déplore l’agriculteur.
À Lurcy, les agriculteurs ne sont pas les seuls à être victimes des volatiles. Les espaces urbains et privés en sont littéralement envahis aux dires de la maire, Nathalie Bisignano, qui fait part d’une véritable impuissance. « Depuis sept ans, c’est une vraie problématique. J’avais pris contact avec la préfecture pour trouver des solutions. Les corbeaux étaient essentiellement dans le parc du château et ses très hauts arbres, mais aussi sur des propriétés privées. Mais nous n’avons eu aucune aide, hormis ce que j’avais déjà essayé : faire intervenir les chasseurs pour des battues, mais ça a ses limites. Et j’ai même eu des courriers de menaces dans ma boîte aux lettres de la part de protecteurs de la nature ». Bruits et nuisances sont devenus insupportables pour les habitants : « C’est extrêmement bruyant et certains habitants ne peuvent même pas profiter de leur terrasse, sans parler des déjections. J’ai même essayé de contacter des fauconniers qui m’ont répondu que cela prendrait beaucoup trop de temps car clairement il y a trop de volatiles. Les chasseurs ont fait trois battues l’an dernier, qui seront reconduites cette année. Ils sont efficaces, mais la régulation à ses limites ».
Des actions de lutte menées
Face à ces problématiques, des moyens de lutte existent. À la chambre d’agriculture du Rhône, par exemple, plusieurs actions sont menées contre les dégâts aux cultures, que ce soit en lien avec les pratiques (expérimentations sur des parcelles) ou sur la communication. Matthieu Ginies, chargé de territoire Agglomération lyonnaise à la chambre d’agriculture, a en charge le suivi de la déclaration des dégâts aux cultures par la faune sauvage. « La chambre d’agriculture nationale a développé une application qui permet de signaler les dégâts aux cultures. L’objectif de cet outil est de récolter de la donnée sur des dégâts causés, ainsi que sur la faune qui en est responsable afin de les faire remonter à la préfecture pour maintenir des actions de prévention et de lutte au niveau du département. Ce travail se fait notamment en lien avec la Fédération des chasseurs du Rhône et la Métropole de Lyon. Ces signalements sont essentiels pour le maintien des actions de lutte contre les dégâts de la faune sauvage ! » Il en profite également pour rappeler aux agriculteurs de bien penser à signaler les dégâts sur leurs parcelles. Il est cependant à noter que ces signalements ne font pas office de déclaration de dégâts pour demande d’indemnisation pour les dégâts de grand gibier tel que cerfs, sangliers et chevreuils. La demande d’indemnisation se fait toujours auprès de la Fédération des chasseurs.
Des répulsifs en test
Autre exemple : dans le cadre de la lutte contre les dégâts causés par les corvidés, de nouvelles solutions de traitement répulsifs de semences de maïs sont testées par les chambres d’agriculture de la région en lien avec Arvalis. Ophélie Boulanger, ingénieure régionale chez Arvalis donne le contexte : « les dégâts de corvidés représentent une problématique importante au début du cycle du maïs. On recommande aux agriculteurs de grouper au maximum les semis, mais ce n’est pas toujours possible. Outre cette solution agronomique, le Korit® est l’option la plus efficace aujourd’hui. Comme tout repose sur cette seule option, on cherche à travailler sur d’autres solutions ».
Ainsi depuis 2024, Arvalis Rhône-Alpes et son réseau de partenaires dont les chambres d’agriculture de l’Ain et du Rhône ont mis en place des essais sur des exploitations. Ils évaluent des solutions de traitement dont certaines sont autorisées en agriculture biologique. « Chaque agriculteur sème trois bandes : une sans protection, une avec du Korit® et une avec l’un des trois produits candidats. Les conseillers de la chambre d’agriculture procèdent ensuite au comptage du nombre de pieds restants, ce qui permet d’évaluer l’efficacité du produit testé », détaille Ophélie Boulanger.
Les premières conclusions des essais menés en 2024 montrent que les trois produits se positionnent entre le Korit® et le témoin en termes d’efficacité. Autrement dit, ils se révèlent intéressants en cas d’attaques modérées, mais moins en cas de forte présence de corvidés. « Pour 2025, on poursuit ces expérimentations en tentant de renforcer ces produits candidats. La synthèse nationale des 40 parcelles au banc d’essai devrait être réalisée à l’automne », conclut l’ingénieure.
En Bourgogne, des essais similaires sont également menés, toujours par Arvalis, avec les chambres d’agriculture comme partenaires : deux en Saône-et-Loire, un dans la Nièvre et un dans l’Yonne ; avec, là aussi, des résultats concluants.