Demain, tous agri-scientifiques ?
Bourgogne Franche-Comté ne s'en moquaient plus du tout. Les prévisions des passionnés –en bio-informatique– se sont en effet déjà en partie
réalisées. Et ce n’est que le commencement, continuaient-ils de prévenir… L’Institut du végétal l’a admis et a même fait de sa
plateforme connectée, la pierre angulaire de son futur. Capteurs,
vecteurs, big data, robots, bots… sont de nouveaux outils aux services des
scientifiques et demain des agriculteurs, amenés eux aussi à participer à
la recherche et au développement des produits en direct depuis leurs
champs et prés.

Forcément, les plus inquiets n’y voient que destruction d’emplois, oubliant de faire le lien avec les nouveaux métiers créés en parallèle.
Ces nouveaux capteurs n’avaient pas l’air de faire peur outre mesure à Régis Hélias d'Arvalis. Au contraire, il y voit surtout de nouveaux outils, pour que les techniciens restent toujours à la pointe de la technologie. Il avait apporté avec lui le futur LabSpec® qui permettra de transporter aux champs –dans un simple sac-à-dos– un laboratoire "entier" pour analyser les sols dès cette fin d’année, puis les grains et les feuilles d’ici 2017. « En France, il se fait en moyenne une analyse de sol tout les 20 ha… Et tous les 7 ans ! », regrettait-il sachant que « ce sont pourtant les données intra-parcellaires qui sont vraiment importantes pour comprendre son hétérogénéité et pour la robustesse des résultats », soulignait-il. « Dans un premier temps », l’utilisation sera interne à Arvalis, mais il entrevoit déjà une utilisation « en routine sur plusieurs exploitations » pour modérer le prix, qui s’élève pour l’heure à 60.000 €, alors que le LabSpec n’est pas encore fabriqué à plus grande échelle.
Il relativisait toutefois son enthousiasme : « une analyse de sol seule n’est pas forcément pertinente ». Il faudra en effet combiner les données provenant des modèles agronomiques, des gênes d’intérêt (génotypage), de l’observation des plantes, des composantes du rendement, de la qualité, des maladies… « A l’échelle d’une seule parcelle, nous sommes déjà dans les big data », concluait-il.
Big data : plein de petites solutions
Ces grands volumes de données informatiques sont liés à la numérisation du réel pour mieux le transformer. Un CD, un livre… sont devenus fichiers. Aujourd’hui, c’est au tour d’une plante, d’une pulvérisation, d’un itinéraire technique… d’être virtuellement reproduit. Reste à mélanger ses informations pour en tirer des solutions pertinentes. Pas évident à trier cependant, car cela dépasse les capacités humaines.
« Ces ensembles de données - tellement volumineux, de sources variées et changeant rapidement - font qu’ils sont difficiles à travailler avec des outils classiques de gestion de base de données », synthétisait Bruno Lauga d'Arvalis. Pour tenter d’y parvenir, Arvalis recrute donc des "data-scientifiques" pour transformer ces données brutes en connaissances, en préconisations et en actions. Et pour cela, il fallait créer une plateforme pour échanger les données automatiquement. C'est chose faite avec Api-Agro qui est au « centre de la stratégie de l’Institut », dévoilait Luc Pelce d'Arvalis puisque permettant derrière de vendre des services.
Or vert des filières
« Si Bayer veut racheter Monsanto, c'est surtout pour le digital, a d’ailleurs confié Michel Hertrich de Bayer France à nos confrères de L’Usine-Digitale.fr. « Sur l'accompagnement numérique des agriculteurs, le digital farming, ils ont trois ans d'avance sur nous », soit une éternité en terme d’avance informatique. Bayer mettant 55 milliards de $ sur la table pour Monsanto, qui commercialise par ailleurs des semences et le très menacé Roundup notamment.
Les big data étant considéré comme l’or noir de demain par les marchés déjà financiarisés et mondialisés de l’agriculture, qui parlent, eux, d’or vert. Tous les "gros" acteurs de la filière se positionnent : InVivo, Syngenta… mais aussi des constructeurs comme John Deere. Les tracteurs intégrant aujourd’hui des ordinateurs puissants ou envoyant les données dans le "cloud" - des serveurs distants - pour les calculs complexes.
Individualiser via la mutualisation
« De plus en plus de capteurs scannent les parcelles et se connectent en réseau pour donner les informations en temps réels ». Les agriculteurs sont les premiers de ces "objets" connectés puisque 45 % d’entre eux emmènent partout leurs Smartphones et renseignant ainsi leurs applications de suivis ou d’aides à la décision.
Des réseaux sociaux en somme –sous forme de SMS groupés pour l’heure, de "bots" demain ?– permettent déjà de suivre l’avancée de ravageurs et de déclencher des traitements si besoin. Ce fut le cas avec Vigiculture, les agriculteurs "remontant" 50.000 données d'un coup sur la rouille jaune du blé, ce qui a permis à Arvalis, par la suite, de rendre son modèle de prévision « 2 à 4 fois plus performant », se félicitent-ils.
Mais tout progrès a ses avantages et ses inconvénients. Ce qui pourrait aussi "désintermédier" les entreprises (coopératives et privées) –ou les OPA– n’ayant pas pris ce virage d’une relation client ultra-personnalisée, au plus proche des "nouvelles" habitudes de consommation des agriculteurs, en terme de biens et de services. Et la concurrence va se multiplier et elle aura des conséquences indirectes. Ainsi, aux Etats-Unis, où la loi est plus libérale, Monsanto adresse-t-il les préconisations à des assureurs qui peuvent alors refuser d’assurer une exploitation qui ne les aurait pas suivis !
Robolution d’ici 5 à 10 ans
L’agriculteur devra peut-être alors se retourner juridiquement contre le constructeur du robot qui n’a pas fait le travail commandé ? Le législateur n’a pas encore réglementé ce secteur naissant. Equipés de caméras pour identifier les adventices, plusieurs robots - Naïo (maraîchage), EcoRobotix (cultures), Wageningen (prairie) - font déjà des actions de binage ou d’arrachage. Ecologique donc, puisque ne nécessitant pas de produits mais nécessitant beaucoup de technologies. « Ce sont des solutions très intéressantes, mais aujourd’hui impossibles en grandes cultures car les technologies sont peu matures. Mais d’ici 5 à 10 ans... », prévient Benoît de Solan d'Arvalis. L’autonomie énergétique devra être améliorée. Mais le plus gros frein est pour l’heure d’apprendre aux machines à détecter et à reconnaître convenablement les adventices, les maladies et les ravageurs. Et ce, à leurs différents stades de développement.
Sons ravageurs et odeurs maladives
Les informaticiens travaillent donc sur le "Deep Learning" –apprentissage quasi autonome des ordinateurs– qui est la nouvelle voie vers l’intelligence artificielle (IA). Via un grand nombre de photos, l’IA apprendra "seul" à les reconnaître. Il faut donc les photographier sous toutes les coutures pour identifier leurs différentes formes et positions aux champs.
Ce qui est le cas actuellement avec différents capteurs et vecteurs, a rappelé Diane Chavassieux d'Arvalis : caméra, caméra hyperspectrale, Lidar (laser), spectromètre sont embarqués sur des satellites, des ULM, des drones, des tracteurs, des équipements et des êtres humains pour collecter des données et aboutir à des conseils.
De nouveaux capteurs sont à l’étude également. Outre les caméras pour détecter des ravageurs, la détection des sons (chants de la noctuelle de la tomate par exemple) et des odeurs (phéromones de la pyrale ou chrysomèle par exemples) est aussi envisagée.
La miniaturisation de l’électronique et ses applications dans tous les domaines (santé, domotique…) font que ces capteurs (MEMS) sont déjà en partie présents dans nos Smartphones (microphones) ou accessibles rapidement. Un MEMS analysant des gaz ne coûte plus que 15 € (10 x 10 mm) pour reconnaître très tôt la réaction des plantes réagissant à des maladies.
D’autres « ruptures » technologies et économiques –des disruptions– pourraient bien bouleverser ce domaine comme d’autres d’ailleurs. « Une start-up construit et lance des micro-satellites par centaines ». Entre satellites et drones, ces derniers pourraient quadriller la planète en permanence. Ce qui pourrait finir de résoudre LE dernier paramètre : la météo à long terme. Obstacle incontournable du « défi » historique de l’Homme voulant « maîtriser » la nature... ?
Gestion de la fertilisation azotée
Capteurs ET modèles
Depuis plus de vingt ans, Arvalis travaille à améliorer ses modèles agronomiques pour un meilleur pilotage de la fertilisation azotée aux champs. Avec un diagnostic de l’état de nutrition azotée des plantes, la méthode de référence utilisée est le calcul de l’indice de nutrition azotée (INN). « Bien que robuste, cette méthode est lourde puisqu’il faut 15 jours pour avoir les résultats sur le terrain », reconnaît Baptiste Soenen d'Arvalis. En dessous de 1 d’INN, il y a sous fertilisation. Au dessus, la plante fait de la protéine, mais pas plus de rendement. L’optimum est atteint à 1 d’INN donc. Le diagnostic, lui, se fait de façon optimale entre le stade 1-2 nœuds et la "dernière feuille étalée". Différentes technologies sont utilisées pour ce diagnostic. Jubil et Ramses, commercialisés respectivement par Inra-Arvalis et InVivo, mesurent les teneurs en nitrate des jus de base de tige (JBT). « Seul bémol, les hivers "chauds", la plante n’a pas le temps de faire des réserves à la base de la tige », met en garde Baptiste Soenen. Par les mêmes sociétés, Yara N-Tester et NS Digites mesurent, eux, les teneurs en chrorophylle du couvert. Par transmittance contrairement à d’autres –N-Pilot, Yara N-Sensor, Crop Sensor, Air-Innov, Farmstar…– qui le font aussi mais par réflectance. « La première approche est plus mécaniste tandis que l’autre est plus empirique », comparait-il. Enfin, Dualex, Multiplex ou Mini-Veg mesurent ces teneurs en chlorophylle par fluorescence.
« On accorde beaucoup d’importance aux capteurs, mais les modèles agronomiques derrière sont tout aussi importants », insistait Baptiste Soenen.
Arvalis a néanmoins voulu comparer ces différents services. « L’effet capteur sur vecteur est très faible » entre le pilotage conseillé soit par satellite-avion soit par différents dronistes. Qui est le meilleur au final ? « Il n’y a pas de capteur idéal mais c’est leur complémentarité qui est mise en avant », ne concluait-il pas vraiment.
Il se penchait alors sur les outils de modulation qui font appel à un indice de biomasse, dont le plus répandu est le NDVI, « qui ne permet néanmoins pas de faire un diagnostic azoté », rappelait-il. On retrouve dans cet catégorie de capteurs : Greenseeker, CropSpec, SatScan, Yara N-Sensor seul, Drone Agricole, Cerelia et d’autres. « Tous ces outils ne sont donc que des outils de modulation d’une dose qui devra être définie au préalable par un outil de pilotage », répétait-il. Les enjeux peuvent être intéressant. Arvalis considère qu’une parcelle sur deux en moyenne est modulable. Sur colza et pour le 2e apport, 85 % des parcelles le serait aussi. Leur étude de 2007 conclut à un gain possible de +3 q/ha sur les parcelles les plus variables et les mieux structurées. « Il n’y a pas toujours gain », modérait-il.
Dans un futur proche, Baptiste Soenen voit l’utilisation croissante des Lidar, ces lasers permettant d’estimer encore plus finement la biomasse aérienne. « On commence aussi à travailler sur des capteurs fixes - sol/plantes - qui restent toute l’année sur la parcelle » qui rendent plus précis les modèles de culture (CHN). « Il ne faut pas faire 100 % confiance aux modèles mais là, avec de tels capteurs, c’est l’avenir, j’en suis persuadé », se contentait-il de conclure simplement. Reste surtout à s'équiper en matériel de traitements aux champs...
Digifermes pour agriculteur décideur !
Directrice de la région Est d’Arvalis, Nathalie Bigonneau est venu présenter rapidement les deux Digifermes de France. La première à Boigneville (91) est une exploitation, en agriculture biologique pour des cultures sous couvert permanent et de grandes cultures type "francilien". La seconde à Saint-Hilaire-en-Woëvre (55) est en polyculture-élevage, type "lorrain" cherchant à maximiser la production de biomasse et valoriser les effluents d’élevage, mais aussi cherchant à gérer les adventices et protéger la qualité de son eau. Outre l’application de l’ensemble des technologies numériques, la « faisabilité technique et économique est mesurée », insistait Nathalie Bigonneau. L’agriculteur devant rester le décideur, est-il écrit dans la brochure. Les Digifermes s’attachent à vérifier certains concept mis sur le marché. Il y est question d’objets connectés notamment (Internet of thing), avec « un grand opérateur des télécom ». Avec la société Nexxtep, un enregistreur (Keyfield) assurera la traçabilité automatiquement des produits phytosanitaires « sans saisie ». Traduction : contrôles automatiques en vue avec EcoPhyto…
Dans le domaine de l’élevage, des outils de détection de chaleurs, de vêlage et de surveillance de la santé, avec des alertes par SMS sont sensés "faciliter" le suivi d’un troupeau à distance. Peut-être demain directement, des alertes sur lunettes connectées (société Adventiel) qui permettent aux agriculteurs de garder leurs deux mains disponibles et d’enregistrer des informations en parlant. Le robot Oz de l’entreprise Naïo technologies va être testé dès cet année également. La présence de mauvaises herbes sera aussi cartographiée, dans un autre projet (EMC2, Delta Drone) par imagerie par drone.
Les Digifermes proposent d’ores et déjà une vingtaine de matériels à la location sur la plateforme d’économie collaborative, WeFarmUp, qui perte de profiter du matériel inutilisé par leur propriétaire, à des prix de location réduit. Enfin, le projet Sencrop testera la fiabilité de stations agro-météorologiques « à coût accessible » qui communique les données collectées aux champs. Ces dernières avec l’OAD de Mileos, déjà largement déployé chez les producteurs de pommes de terre, doit permettre un pilotage de protection, comme c’est le cas contre le mildiou qui fait économiser plusieurs traitements et peut faire gagner des "patates" !
L'agriculture de précision sur les cultures de maïs aux États-Unis
Le département de recherche économique du ministère de l'Agriculture des États-Unis (ERS-USDA) a publié les résultats d'une étude sur les processus d'adoption et les économies liés à la mise en œuvre de technologies d'agriculture de précision dans la culture du maïs.
Les technologies étudiées sont la cartographie en temps réels des rendements, la cartographie en temps réel des sols, les systèmes de guidage automatisé GPS, et la technologie d'application à taux variable des intrants (VRT) en association avec les trois premières citées. Les données utilisées pour cette étude sont issues de l'enquête annuelle 2010 sur la gestion des ressources agricoles (ARMS survey).
Comme illustré par le graphique ci-dessous, deux conclusions principales se dégagent :
- la plus forte économie de 25$/acre (soit 55 €/hectare) est réalisée en utilisant seulement la cartographie automatisée des rendements ;
- les technologies d'application des intrants à taux variable permettent essentiellement d'augmenter les économies réalisées en utilisant la cartographie automatisée des sols.
Pour bien comprendre ces résultats, il faut rappeler que ces travaux n'explorent que les économies en termes de diminution des coûts directs (intrants), mais ne prennent pas en compte les augmentations potentielles de revenus liées à une augmentation de la production. Rappelons aussi que les technologies d'application des intrants à taux variable nécessitent un investissement plus conséquent que les autres technologies.