Des fermages lissés sur le temps long
À l’heure des fermages, en cette approche du 11 novembre et de la Saint-Martin, retour sur le nouveau mode de calcul des fermages, viticoles notamment, qui permet de lisser à la hausse comme à la baisse les variations de production et des cours, amplifiées par les aléas climatiques. Interview de Patrice Fortune, président de l’Union viticole 71.

Maintenant que les vendanges sont terminées, quels premiers bilans peut-on tirer de cette campagne 2024 ?
Patrice Fortune : À propos de la campagne 2024, nul n’a pu échapper à une année pluvieuse à forte pression maladie. La protection phytosanitaire a notamment coûté beaucoup plus cher. Habituellement, les viticulteurs font 8 passages. Là, on monte à 12, voire plus, notamment en Bio, soit presque le double ! Il ne faut pas non plus oublier les nombreuses heures pour le désherbage, mécanique ou chimique. Aucun itinéraire technique ou mode de culture n’était facile et il s’agissait plus de passer lorsque c’était possible. À la fin, les vignes se sont retrouvées pas très « belles ». Le pire étant qu’au final, en plus, il y a eu de fortes hétérogénéités et de fortes pertes de récoltes. Très peu ont réussi à faire le plein. En moyenne, les volumes sont en baisse : entre -25 à -30 % sur l’ensemble de la Saône-et-Loire.
Ces pertes de récoltes jouent-elles sur les cours/mercuriales ?
P.F. : Si le gel de 2021 avait fait monter les cours, ce n’est pas le cas pour ce millésime, car cette année, il y a des stocks importants à la propriété et au négoce. Résultat, les négociants et courtiers ne bougent pas et font encore moins monter les cours qui reviennent au niveau d’avant 2021. De plus, les marchés vins sont faibles. Lors de la commission viticole de la FNSEA qui s'est tenue la semaine dernière, le constat était le même. Bien que notre vignoble semblait jusqu’à présent préservé, comme dans une bulle, je crains que notre secteur soit en train d’être rattrapé par la morosité de la déconsommation.
Quelles conséquences pour les fermages 2024 ?
P.F. : Ce millésime ne rentre pas encore dans le calcul, il n’est donc pas pris en compte. Ici, on parle des fermages 2023 qui se basent sur les mercuriales des cinq dernières années pour les appellations de Bourgogne et pour les deux dernières années pour les appellations du Beaujolais. On est donc encore en train d’accuser le coup de la hausse des prix des 2021. Pour éviter la hausse de 50% des fermages prévue en 2022, une nouvelle méthode de calcul avait été choisie. Elle prévoit de lisser, ce qui permet d’éviter de très fortes hausses ou de très fortes baisses. Ainsi, tout le monde s’y retrouve, les fermiers ont des couts plus stables et les propriétaires évitent les gros pics qui ont des répercussions importantes sur leurs impôts par exemple. Malgré cette mauvaise récolte 2024, les fermages 2023, sous influence des prix 2021, afficheront des hausses entre +3 et +10 %. Avec la conjoncture actuelle, on se rend compte qu’il fallait bien anticiper et ne pas se baser sur 2024.
Pouvez-vous nous rappeler la logique du nouveau mode de calcul des fermages ?
P.F. : La méthode actuelle de calcul a évolué en 2022 avec notamment des indicateurs de rendement par appellation pour compenser la forte augmentation des prix, liée au manque de production. Comme on sait, la hausse se fait toujours du côté du négoce et la baisse toujours du côté du vigneron. Mais là, sur le millésime 2021, les hausses des négoces ont été démesurées, eux qui avaient alors doublé les prix des vins. On savait que ça allait retomber sur les fermages, sur le foncier, sur les prix de vente de nos bouteilles, qui plus est avec l’inflation des matières premières. C’était donc prévisible. On a quelque peu évité les très fortes hausses sur les fermages 2021 et 2022 et on espère une stabilisation des prix l’année prochaine. Le lissage permet de lisser sur le temps long ; le revers de la médaille est que cela met plus longtemps à monter ou à baisser, mais cela laisse surtout plus de temps à tous pour prévoir, anticiper, en prenant les chiffres des années précédentes. Il n’y a rien de subit ou de rapide à présent.
Quels sont les travaux et réflexions en cours pour les prochains fermages ?
P.F. : Je rappelle que l’accord de 2022 a été convenu entre les bailleurs et les preneurs de tous les syndicats en Commission consultatives des baux ruraux : Confédération paysanne, Coordination rurale, les commissions des bailleurs et des preneurs de la FDSEA 71, la propriété privée et des représentants des notaires et experts fonciers. Tout ceci sous l’égide du Préfet et de la DDT qui encadrent la CCBR en rappelant la loi. De plus, la juriste de la FDSEA, Aurélie Lucas nous conseille sur le droit rural et la chambre d’Agriculture sur les questions techniques. On va continuer de travailler car il s’agit là d’un travail permanent dans les commissions de la FDSEA. Si certains veulent s’investir, ils sont les bienvenus pour adhérer ou/et prendre des responsabilités.
Au-delà de l'évolution annuelle du montant du fermage, qui est liée aux cours, nous travaillons aussi sur le barème de location (nombre d'hectolitres prévu dans le bail). La pression foncière a fait que les vignes se louent de plus en plus chères. Avec un nombre d'hectolitres déconnecté de la productivité et de la qualité de la vigne. Ce n'est pas l'offre et la demande qui doivent fixer les prix. J'ai des exemples récents en tête : un viticulteur loue 14hl/ha une vigne de 80 ans, qui produit à peine 20 hl ou encore un autre qui a entièrement financé la replantation de la parcelle et qui paye 12 hl à compter de la 4eme feuille. On va poursuivre le travail pour mieux encadrer l'évolution annuelle, mais j'invite chacun à être vigilant et à faire un travail local, avec les bailleurs pour éviter une envolée des coûts du fermage. Le service juridique de la FDSEA se tient à la disposition des adhérents qui auraient des questions, et peut accompagner à l'amiable ou au contentieux ceux qui en ont besoin. Aurélie Lucas sera présente lors d'un maximum de réunions locales et propose aussi des formations sur comment « bien fixer ou refixer son fermage ».