Des pistes prometteuses
Organisateur de l’évènement, le Herd-book avait mobilisé plusieurs experts en la matière (Institut de l’élevage, Inra, 5MVet, Evialis…). Cette conférence était aussi l’aboutissement du travail mené par Pierre-Marie Leroy au sein du HBC. Elève de l’Institut supérieur d’agriculture de Lille, Pierre-Marie Leroy achevait un apprentissage de trois ans au Herd-book, au sein duquel il assume désormais la fonction de responsable technique. L’une de ses missions fut justement d’établir un état des lieux sur la question de l’efficacité alimentaire pour la race charolaise.
Un sujet d'actualité
L’efficacité alimentaire est une notion encore peu connue en élevage allaitant. Pourtant, dans ce qu’elle permettrait de « gagner plus en consommant moins », elle est tout à fait en phase avec les préoccupations économiques du moment. Notamment face à l’érosion des marges des éleveurs du fait de matières premières trop chères et de prix de vente trop bas. Face aussi à une érosion des surfaces en herbe, à une concurrence vis-à-vis de la ressource céréalière. L’instabilité des prix conduit à un besoin de sécuriser l’approvisionnement alors même que les éleveurs seront de plus en plus conduits à intégrer des matières premières diversifiées pour des rations plus économes. Or l’efficacité alimentaire doit permettre de tirer le meilleur profit de ces rations à coût optimisé. L’efficacité alimentaire pourrait aussi répondre à l’enjeu d’engraisser davantage de broutards en France. Enfin, l’efficacité alimentaire serait un atout pour lutter contre l’émission des gaz à effet de serre…
En race à viande, l’efficacité alimentaire revient à « exprimer la capacité pour un animal à déposer du muscle au regard de ce qu’il ingère », définit Pierre Marie Leroy. « Cela passe par une transformation efficace de la ration ingérée permettant une croissance équivalente voire supérieure ». En système allaitant naisseur, « l’efficacité alimentaire peut se traduire aussi par la capacité pour une femelle à couvrir ses besoins d’entretien et de production dans le but de favoriser sa reproduction (fécondation, gestation et mise bas) et sa production laitière », poursuit l’ingénieur.
Dans un système allaitant herbager, l’amélioration de l’efficacité alimentaire signifie avant tout une meilleure valorisation des fourrages disponibles. Un objectif qui va dans le sens de l’autonomie avec les vertus économiques et environnementales qui vont avec.
Stations de contrôle individuel pionnières
Pour l’heure, la principale difficulté des recherches réside dans l’évaluation de cette efficacité chez les animaux. Chez la vache allaitante, la mesure de l’efficacité alimentaire est compromise du fait de la difficulté à connaître sa consommation individuelle en fourrages grossiers, pointe Pierre-Marie Leroy.
La mesure de l’efficacité alimentaire fait cependant partie intégrante du protocole d’évaluation des stations de contrôle individuel (CI) par lesquelles transitent tous les taureaux d’insémination (Gènes Diffusion et Charolais Univers). « Les stations de CI évaluent des jeunes reproducteurs potentiels sur une durée de quatre mois sur leur capacité à faire de la croissance. Cette évaluation très poussée intègre la mesure des quantités ingérées d’où l’établissement d’une valeur d’efficacité alimentaire en plus de la croissance », détaille Pierre-Marie Leroy.
Ce caractère étant très héritable, les entreprises de sélection ont mis en évidence des souches plus favorables que d’autres avec des écarts de consommation entre individus significatifs. Serge Miller de l’Institut de l’élevage a comparé les taureaux d’IA sur leur efficacité alimentaire. Il met en évidence qu’un taureau comme Bastion très fort en croissance (indexé à 125), mais nettement moins bon en efficacité alimentaire (101 seulement) donnera des produits qui pourront certes faire beaucoup de croissance, mais avec un coût alimentaire élevé. Au contraire, des taureaux comme Business (croissance 112/efficacité alimentaire 112) ou Urfe (croissance 115/ efficacité alimentaire 115) donneront des produits à bonne croissance et qui plus est à moindre frais.
Pour Serge Miller, l’étude comparative entre deux taureaux à performances de croissance similaires, mais dont l’un est améliorateur en efficacité alimentaire, permet de démontrer un gain économique en faveur de ce dernier. Les sujets du taureau améliorateur en efficacité alimentaire consommeraient 1 kg de moins par jour soit une économie d’environ 54 euros par animal, calcule de chercheur. D’autres données issues des Etats-Unis montrent qu’une amélioration de 1 % de l’efficacité alimentaire aurait le même impact qu’un gain de +3 % de croissance. « Des chiffres qui révèlent l’efficience supérieure de l’amélioration de l’efficacité alimentaire avec les gains économiques derrière », souligne Pierre-Marie Leroy.
Potentiel de croissance et capacité d’ingestion
Pour le moment, hormis le travail accompli dans les stations de CI des entreprises de sélection, « la sélection charolaise s’appuie sur le critère de potentiel de croissance et l’amélioration de la capacité d’ingestion, favorisant l’augmentation du volume de la panse. De fait, le potentiel de croissance est fortement corrélé à la quantité d’aliments ingérés et plus particulièrement aux matières premières qui composent cette ration », détaille Pierre-Marie Leroy.
Sur le terrain, de nombreux leviers d’action ont cependant été identifiés par les éleveurs concernant l’efficacité alimentaire d’un animal, constate l’ingénieur. Ils citent l’effet des bâtiments et de leur organisation. La bonne connaissance des composantes de la ration (analyses de fourrage) pour une adaptation au plus près des besoins des différentes catégories d’animaux. Les précautions pour une meilleure rumination des animaux font partie des facteurs impactant l’efficacité alimentaire du fait d’une digestion optimisée (distribution d’aliments fibreux, préparation du rumen dès le plus jeune âge…). Les éleveurs parlent aussi des soins apportés dans la confection même de la ration avec notamment les vertus des mélangeuses qui, au-delà d’homogénéiser une ration faite de différents aliments, apportent pesée, évitent le tri et valorisent davantage les fibres… Une ration mélangée qui a fait ses preuves chez les éleveurs laitiers et dont la pertinence technico-économique semble peu remise en cause.
Les promesses de la génomique
L’efficacité alimentaire suscite de nombreux espoirs quant à l’optimisation des systèmes allaitants. Les perspectives sont la recherche d’indicateur indirect de mesure afin d’éviter la mesure d’ingestion individuelle trop lourde. Le projet "Beef Alim" est porté par l’UNCEIA, l’Inra et l’Institut de l’élevage. Il s’agit de travailler à l’amélioration de l’efficacité alimentaire des femelles en production et des animaux en finition. L’étude porterait notamment sur la quantité et la qualité du lait des mères allaitantes en lien avec le type de ration.
La sélection génomique est également très attendue dans ce domaine. Un prélèvement d’ADN suffirait alors à prédire le potentiel efficacité alimentaire d’un animal. Mais pour en arriver là, il faut avoir repéré les bons marqueurs dans le génotype, effectué un vaste travail de collecte de phénotypes sur des populations de référence et établi les équations de prédiction génomique….
Des pistes d’avenir pourraient également s’ouvrir avec l’avènement des nouvelles sciences que sont l’épigénétique, la nutrigénomique ou encore la métabolomique. L’épigénétique désigne l’impact qu’exercent l’environnement, l’alimentation, les bâtiments… sur le comportement du génome. Le patrimoine génétique est une chose, mais il existe des phénomènes qui font que certains gènes s’expriment plus ou moins selon les conditions environnantes. « Il existerait une véritable mémoire épigénétique qui se transmettrait sur les générations suivantes », explique Pierre-Marie Leroy. Dans le cas de l’efficacité alimentaire, les capacités d’un animal donné seraient très dépendantes aussi du vécu de ses ascendants. Par exemple, si l’un de ces ascendants était habitué à recevoir beaucoup de fourrages grossiers, une adaptation de ses gènes a pu se produire dans son génome et cela se retrouve dans le patrimoine génétique de la descendance.
Dans le même ordre d’idée, la nutrigénomique désigne les interactions qui existent entre les nutriments et les gènes. Enfin, la métabolomique consiste en « l’identification des métabolismes liés à l’alimentation par l’intermédiaire de marqueurs sanguins ». Ces marqueurs sanguins pouvant être ce qui code pour l’efficacité alimentaire, conclut sur le sujet Pierre-Marie Leroy.
Race charolaise
L’efficacité alimentaire est une de ses forces
L’efficacité alimentaire varie d’un individu à l’autre en fonction de la génétique (épigénétique incluse), de son alimentation, de sa conduite… Qu’en est-il de l’efficacité alimentaire entre races ? Le Herd-book charolais a tenté de réunir des données sur cette question encore peu explorée à ce jour. Croissance et GMQ sont indiscutablement les points forts de la charolaise. Le succès de la première des races à viande tient pour beaucoup à sa position de leader en termes de rentabilité économique. La charolaise demeure une des races qui valorise le mieux les rations fourragères. Au regard des GMQ qu’elle est capable de réaliser et du muscle qu’elle produit, elle est en tout cas plus efficace sur ce type de ration économe que sur une alimentation sèche et concentrée plus onéreuse. Econome malgré son niveau de performance élevé, la charolaise devra veiller à conserver son aptitude à valoriser les fourrages grossiers, confie Pierre-Marie Leroy. Son efficacité alimentaire en somme.