Accès au contenu
François Thabuis, président des JA

Des sommets alpins à la tête des JA

Si, en randonnée, vous empruntez les pentes du Mont Charvin, vous
passerez par l’alpage communal de Marlens. C’est là, en Haute-Savoie, à
1.650 mètres d’altitude, que nous avons rencontré les associés du Gaec «
Le vent des cimes » : Fréderic, Jérôme et François. François Thabuis,
c’est le tout nouveau président national des JA (Jeunes agriculteurs),
heureux producteur de lait et de fromages en pays de Thônes.
Par Publié par Cédric Michelin
124824--Francois_Thabuis_2.jpeg
François Thabuis exploite ici l’été, au pied du Mont Charvin, avec ses deux associés Frédéric et Jérôme, le vaste et réputé alpage communal de « l’Aulp de Marlens ». Nous sommes dans la chaîne des Aravis, à 15 kilomètres de Thônes, au bord de la Savoie et de ses Bauges. C’est le pays du Reblochon, du Chevrotin, de la Tomme. C’est le jardin de l’abondance, cette belle Pie rouge aux yeux si bien cernés qu’il semble qu’elle porte des lunettes rousses ! C’est un pays rude l’hiver mais enchanteur dès le printemps revenu avec ses vastes pâturages nappés de fleurs vives : ses orchidées de montagne, ses gentianes déjà fleuries annonciatrices, dit-on, d’un hiver précoce… On trouve même d’élégants lys Martagon et leur rencontre récompense des efforts consentis dans la montée…


Marier l’agriculture et le tourisme




L’histoire de l’alpage de Marlens remonte à 1453, lorsque le Duc de Savoie, soucieux d’équité entre ses sujets, donne aux habitants de Marlens un alpage qu’un curieux découpage administratif enclave aujourd’hui dans la commune du Bouchet. Un alpage reconnu pour être vaste et de qualité. Pas trop pentu et doté d’une étable entravée capable d’accueillir 70 laitières, d’un atelier moderne de fabrication, d’une cave d’affinage et d’un élevage d’une quinzaine de porcs nourris au lactosérum. À cet équipement agricole et de transformation, s’ajoute un refuge avec sa vingtaine de couchages et la possibilité de servir des casse-croûtes mais aussi des repas savoyards roboratifs. Le mariage de l’agriculture, de la fabrication fromagère et de l’accueil des randonneurs résume l’agriculture de ces montagnes. Ici, chaque activité conforte l’autre et l’une ne se conçoit pas sans l’autre.


L’alpage en haut, la ferme en bas…




Comme souvent dans les Alpes, le Gaec « Le vent des cimes » exploite l’hiver « en bas », sur la commune du Bouchet, à 950 mètres d’altitude, une autre ferme de 40 hectares récemment équipée d’un bâtiment moderne avec stabulation libre, salle de traite en épi (2x6) et distributeur automatique d’aliments concentrés pour compléter la ration de foin local. C’est dans ce paysage et ce cadre professionnel que François Thabuis exerce avec passion ce métier d’éleveur. Partagé entre la vallée l’hiver, les cimes l’été et des semaines rythmées toute l’année par d’incessants aller-retours entre Annecy et Paris.


Passionné de génétique




Rien pourtant ne prédestinait François à devenir agriculteur. Né voilà 30 ans à Lyon, ses parents travaillent dans l’enseignement et la réinsertion. Élève au lycée Saint-Marc de Lyon, il y suit un enseignement marqué par le « savoir-vivre humain et chrétien ». Mais déjà enfant, les vaches qu’il côtoie à chaque vacances scolaires dans une ferme traditionnelle de Haute-Savoie l’attire plus que les mathématiques. Son bac S en poche, il hésite entre une formation de véto, d’ingénieur agricole, comme l’espèrent ses parents, ou d’agriculteur, comme il en rêve. Pour commencer, ce sera un BTS Productions animales au lycée agricole public de Cibens, dans l’Ain, puis un BTS ACSE (Analyse et conduite de systèmes d'exploitation) à Bourges dans le Cher. C’est le bon choix avec son long cortège de visites et de stages dans des exploitations agricoles ou au centre d’insémination de l’UCEAR dans le Rhône. La génétique et la sélection des animaux passionnent François. Il en devient un vrai spécialiste jusqu’à travailler à l’UPRA de la race abondance. Il participe à des concours de pointage, sélectionne dans les fermes les animaux de concours. Sillonne, à ce titre, le massif Central, les Pyrénées et bien sûr les Alpes, le berceau de la race, pour préparer le concours national abondance au Sommet de l’élevage. Aujourd’hui, il mise sur le génotypage pour relancer et accélérer la sélection des races à petits effectifs dont les progrès génétiques restent faibles et laborieux. Cette passion pour l’élevage et pour l’agriculture de montagne, il l’assouvit au service de remplacement de Haute-Savoie avant de s’installer au col de l’Épine avec 22 hectares, 25 vaches laitières et 120.000 litres de lait livré à Thônes. « J’ai découvert là, l’intérêt de la politique d’installation défendue par les Jeunes agriculteurs. Sans cette farouche volonté d’installer, cette exploitation aurait disparu » et François ne serait peut-être pas agriculteur aujourd’hui ?


Le lyonnais débarque à la campagne…




« Il faut poursuivre ce combat mené par nos aînés et défendre encore et toujours le foncier agricole et libérer des volumes pour les jeunes ». En quelques mots, François affirme ses convictions et ses choix syndicaux. En 2004, il frappe à la porte du CCJA local où il est accueilli comme « le lyonnais qui débarque à la campagne ». Mais cette adhésion à un groupe de jeunes « attachés à leurs produits et à leur pays » est pour lui « une forme de reconnaissance et d’intégration ». Plus tard, en 2006, François s’associe à Frédéric un autre agriculteur de quinze ans son aîné pour former un Gaec que Jérôme, un technico-commercial dans l’alimentation du bétail, vient conforter en 2008. Aujourd’hui, les trois associés, leur fromager salarié et une autre personne pour s’occuper l’été du refuge en alpage, forment une équipe solide pour gérer une exploitation dotée de 420.000 litres de quota. Toute la production est transformée à la ferme en Reblochon fermier, en Tomme fermière ou, avec le lait des chèvres, en Chevrotin. Les trois associés vivent ensemble leur métier comme une passion. Heureux d’être hébergés par un paysage grandiose, entretenu, ouvert et offert aux randonneurs. Et s’ils vivent de cet environnement, ils le font vivre aussi. Car, enlevez ces hommes et ces femmes de l’alpage et la nature aura tôt-fait de reprendre le terrain que lui dispute tous les jours avec obstination les éleveurs et leurs troupeaux. Désormais, du haut de sa présidence nationale, la voix de François porte loin. Il peut défendre son pays, ses produits, les familles qui en vivent et ses convictions. Des convictions forgées par une éducation qui, chez les jésuites, invite chacun « à se dépasser pour aller vers ce qui est meilleur pour soit et pour les autres ». Tout un programme que François a appris, comme une leçon de vie !


Les JA partent à la conquête de la valeur ajoutée




François Thabuis a porté en 2010 le rapport d’orientation des Jeunes agriculteurs au congrès de Perpignan. Un rapport qui traitait de la reconquête de la valeur ajoutée et qui nourrit toujours sa réflexion. Car, pour le président des JA rien ne sert d’exporter nos productions agricoles si elles ne génèrent pas de valeur ajoutée pour le producteur. « L’export, il faut y aller avec des produits de qualité, sinon on sera jamais compétitifs avec les pays qui produisent à bien meilleur coût que nous ou qui pratiquent du dumping ». Pour le président des JA, « il faut relocaliser l’agriculture » et pour lui les circuits courts ne s’appliquent pas seulement à la réduction des distances des transports mais aussi dans « la réduction du nombre d‘intermédiaires dans les filières ». La valeur ajoutée est son combat et son repère économique. Mais « cette valeur ajoutée a été transférée de la production vers la distribution », observe-t-il. Fatigué de voir s’empiler sans résultats rapports parlementaires et lois dénonçant la captation de cette valeur ajoutée par la grande distribution, François Thabuis et les JA veulent convaincre des partenaires, « notamment la coopération », de s’engager dans la bataille de la distribution. Les JA consultent, observent, étudient la possibilité de développer un concept de distribution qui permettrait de satisfaire une nouvelle attente des consommateurs et un meilleur retour de la valeur ajoutée aux producteurs. « C’est un vaste chantier, mais la coopération a développé avec succès, partout en France, des magasins Gam vert. Je ne vois pas pourquoi nous ne serions pas capables avec elle de développer à l’échelle nationale des magasins de producteurs ».


Images