« Du jamais vu en France ! »
d’agriculture de Saône-et-Loire organisait six réunions du nord au sud
du département. Avant de donner leurs préconisations pour lutter contre
les maladies et les ravageurs de la vigne en 2013, les techniciens
faisaient le point sur la campagne 2012. Une année climatique
compliquée, redoublée par une « explosion » des maladies du bois (Esca
et BDA) et des jaunisses, flavescence dorée en particulier.
Pression exceptionnellement élevée
Les pluies ont amené une pression mildiou « élevée à exceptionnelle ». La maturité des œufs débuta tôt (11 avril) et les pluies répétées ont entrainé de nombreuses sources de contamination. « Vous avez plutôt bien maîtrisé le mildiou. Un peu moins sur les gamay taillés en gobelet, qui ont toujours un peu plus de mal », félicitaient Benjamin Alban et Audrey Dupuits, conscients de la difficulté de la campagne.
Dans la lutte contre l’oïdium, dès le départ, les modèles annonçaient une année à risque élevé, prévision confirmée « assez vite » par des symptômes sur feuilles (observés en face inférieure) dès mi-mai. Début juillet, l’évolution est même « sensible » sur grappes. Fin juillet, plus de 50 % des parcelles observées avaient plus de 5 % de grappes touchées. Août aura « stabilisé le développement » de l’oïdium mais « malgré tout, les dégâts ont été parfois importants ».
« Répit » en black-rot, botrytis et ravageurs
En black-rot, après avoir été « très inquiets » les deux dernières années, les viticulteurs ont eu une « année de répit », même dans les secteurs sensibles. Précision cependant, les techniciens ne savent pas si c’est grâce à la stratégie mise en place ou à une situation « calme ».
Alors que les pluies étaient abondantes, le botrytis fut une « bonne surprise » qui s’expliquerait par des grappes « lâches et peu chargées ».
Les ravageurs ne se sont pas trop manifestés. Les tordeuses ont été calmes. Les cochenilles ont bien régressé dans le sud, avec « une gestion par les parasites naturels ». En zone de lutte obligatoire cependant, les populations d’araignées rouges ont semblé grimper en fin de saison car les « typhlodromes sont peut-être claqués » par les traitements insecticides. Sur Montagny-les-Buxy, les viticulteurs notaient un retour croissant des perce-oreilles.
Esca foudroyant et explosion des jaunisses
Côté maladies du bois, les observations d’enroulement sont « stables », la pression a été faible en excoriose. L’eutypiose reste dans la moyenne.
Il n’en a pas été de même pour Esca et BDA. L’Esca a eu une « très forte expression, surtout en forme foudroyante », note le service, avec des parcelles touchées à 15 % en une année, contre un taux de mortalité "normal" de 2-3 %. « C’est un problème », car contrairement à la flavescence dorée, il n’existe pas de solution.
Bois noirs et flavescence dorée sont tous deux des jaunisses de la vigne entraînant la décoloration partielle/totale des feuilles (nervures comprises), l’enroulement des feuilles, le non-aoûtement des rameaux, mais « pas forcément sur tout le pied ». Les symptômes sont identiques et seule l’analyse en laboratoire peut les différencier. Cette année, « l’expression de la flavescence dorée a débuté très tôt ».
Préconisation 2013
« On ne change pas nos préconisations », martelaient Benjamin Alban et Audrey Dupuits, arguant que « les stratégies ne sont pas dans une impasse » mais qu’il faut plutôt voir un « effet millésime » en 2012 « extrême ».
Pour le mildiou, le positionnement des produits est « globalement le même que l’an dernier » avec une différence, la possibilité d'utiliser le fluopicolide (Profiler) une fois par an (au lieu d'une fois tous les 2 ans). Il faut continuer à alterner les familles chimiques, à limiter l’utilisation des familles concernées par des phénomènes de résistance, et surtout à ne pas utiliser les CAA, les Anilides et les Qoi sur mildiou déclaré.
En anti-oïdium les principales familles pulvérisées sont : IDM, soufre, Qoi, spiroxamine, meptyl dinocap. La marque commerciale Karathane a été le produit le plus utilisé, ce qui « n’est pas bon signe puisque c’est un produit souvent utilisé en rattrapage ». Pas de changement pour le premier positionnement toujours au stade 7-8 feuilles étalées, ni pour l'arrêt des traitements après un diagnostic à la fermeture de la grappe +10-21 jours. Il ne faut cependant pas hésiter à continuer jusqu’à véraison si des symptômes sont présents lors de ce diagnostic. Comme pour le mildiou, l’alternance des familles chimiques est préconisé. Dans le cas particulier des QoI, où les résultats des suivis ne sont pas très bons, il est conseillé de limiter à une application, voire de suspendre son utilisation pendant un an, dans les parcelles où des échecs non expliqués se multiplient car cela pourrait venir du développement de phénomènes de résistance à cette famille chimique.
Pas de changement non plus contre le botrytis, en alternant systématiquement les familles chimiques dans l’année même et de façon pluriannuelle. A noter que 45 % des viticulteurs n’ont pas fait d’anti-pourriture cette année.
De 2012, il faut garder une bonne nouvelle : « 2013 ne pourra pas être pire ! ».
Coûts des traitements : +53 % soit 800 €/ha en 2012
D'après les enquêtes réalisées par le service Vigne & Vin, le positionnement des traitements oïdium/mildiou s’est fait généralement « en même temps » jusqu’au 9e passage avec une cadence tous les 10-11 jours voire 12. A la fleur, apparaît un décalage entre traitements mildiou et oïdium et un allongement des cadences. Des passages « compliqués » mais « à peu près possibles ». Les viticulteurs ont pour cela plus anticipé. Ils ont visiblement « eu du mal entre le 3e et le 4e traitement (7 et 10 juin, 15 jours de délai pour rentrer) », provoquant « un décrochage en mildiou » qui « a fait une grosse différence » à la récolte.
Au final, l’IFT est de 23,1 passages contre 11,5 l’an dernier (+101 %) qui faisait dire aux techniciens et aux viticulteurs : « nous avons connu deux années extrêmes, chacune à leur manière ». Dans le cadre d’Ecophyto, espérant si possible réduire de moitié les doses de phytosanitaires en 2018, l’IFT de référence en Bourgogne est de 18,5. Depuis presque 20 ans de lutte raisonnée, ce nombre de passages moyens est le plus élevé depuis 1993 et « reste un accident », souligne Benjamin Alban, alors que « la tendance est baissière ». Les vignerons labélisés bio ont un IFT de 18 mais plus élevé que les conventionnels (raisonnée, intégrée) en nombre de passages.
Les 9,9 passages anti-mildiou (contre 3,9 en 2011 ; +154 % ;) auront coûté 415 €/ha (+118 % ; 190 €/ha en 2011). Les 10,6 passages anti-oïdium (contre 5,9 en 2011 ; +80 %) auront coûté 216 €/ha (+104 % ; contre 106 € en 2011). Au total, les viticulteurs ont dépensé presque 800 €/ha pour traiter leurs vignes contre les maladies et ravageurs, soit une hausse de +53 % (527 €/ha en 2011).
Bilan des enquêtes culturales 2012
« Cette année, ce n’était pas suffisant d’avoir que les calendriers de traitements, débutait Audrey Dupuits, avant de poursuivre sur le choix et l’efficacité du matériel de pulvérisation ». Le service Vigne & Vin a donc mené l’enquête et 115 exploitations ont répondu, couvrant 1.604 ha (1.200 ha dans le Mâconnais et 400 ha dans le Chalonnais). Ces dernières sont presque représentatives du vignoble avec 107 conventionnelles et 8 en itinéraire biologique.
Les viticulteurs étaient invités à donner leurs satisfactions. Pour la lutte contre les maladies, « arrivées à la vendange, les vignes n’étaient pas si mal », selon l’avis des viticulteurs, qui, dans la salle, s’empressaient de rajouter que « ce n’est tout de même pas satisfaisant d’avoir du passer 10 fois dans sa parcelle » et ne voulant pas revivre une telle année.
Côté matériel, « il n’y a pas de matériel de pulvérisation qui ressort comme étant meilleur », constate Benjamin Alban. Après dix années de contrôles pulvé, il donnait son interprétation : « tous les matériels sont corrects. Il se dégage, quand même, des matériels ayant apporté le moins de satisfaction dans l'enquête comme la turbine. Les pendillards sont jugés satisfaisants sur grappes, même dans des zones sensibles. Les canons marchent finalement bien, même s’ils restent limites sur grappes. Les viticulteurs semblent satisfaits de leurs "face par face par le dessus". Surprenante, l’appréciation est moins bonne pour les "face par face dans le rang". Les viticulteurs sont peut-être plus exigeants avec ce matériel cher ou alors certains ne sont plus assez vigilants aux volumes/ha ou aux réglages. La conclusion : tous les matériels marchent dans la limite de leurs capacités intrinsèques, à condition qu’ils soient bien réglés ». La taille - arcure ou plat - semble aussi jouer, selon les réactions des viticulteurs.
Flavescence dorée : le point technique
Audrey Dupuits et Benjamin Alban ont présenté les maladies du bois présentes dans le département. Si l’eutypiose, l’excoriose, BDA… n’inquiètent pas outre mesure, « la flavescence dorée est une catastrophe mais on va la gérer. L’Esca reste le problème numéro 1 », résumaient-ils. En effet, depuis 10 ans et le retrait de l’arsénite de soude, l’impasse technique est totale sur l’Esca.
En revanche, la lutte est possible contre la flavescence dorée. C’est une maladie de quarantaine. Suite à « l’explosion de la maladie » dans le Mâconnais, un arrêté préfectoral place tout le vignoble départemental en lutte obligatoire en 2013.
"Introduit" par des pieds malades, le phytoplasme est ensuite transmis par des vecteurs, les cicadelles. « Ces bactéries se trouvent dans la sève. Une fois le pied arraché, fin de l’histoire, il n’y a plus rien dans le sol. Rien non plus n’est transmis par les sécateurs ».
Côté vecteurs, les cicadelles sont contagieuses tout au long de leurs cycles de vie annuelle, dès le stade larvaire. En revanche, les œufs sont sains à la naissance. Les cicadelles sont inféodées à la vigne et « malheureusement très mobiles (jusqu’à 5.000 mètres par grand vent) et facilement transportables (sur les rogneuses notamment) ». Aucun prédateur naturel n’est connu.
Trois insecticides seront donc obligatoires. « On va chercher à les optimiser pour faire les tordeuses en même temps. Nous faisons des tests sur les mélanges suite à des problèmes de miscibilité l’an dernier », expliquait Benjamin Alban.
Ce sont les services du préfet qui détermineront les dates des traitements. Les sociétés de conseils, les coopératives et le service Vigne & Vin les relaieront.
Les bio pourront garder leurs labels, car le pyrèthre vert est homologué sur flavescence dorée. Par contre, le coût du traitement est élevé de l’ordre de 70 €/ha, contre environ 30 €/ha en conventionnel pour les trois traitements. Aucun produit n’est efficace à 100 %. « Vous retrouverez donc encore des cicadelles », préviennent les techniciens.
La chambre d’agriculture rappelait également l’obligation d’utiliser des greffés soudés traités à l’eau chaude pour toutes nouvelles plantations ou dans le cadre des remplacements de pieds, « car le phytoplasme se propage dans toute la plante une fois piqué et peut donc être réimplanter par les greffons ».
Flavescence dorée : pourquoi est-ce si grave ?
La moitié du vignoble français lutte contre la flavescence dorée. « On savait que la cicadelle de la flavescence était présente dans le département en grand nombre », explique Benjamin Alban. Il rappelait quelques précédentes alertes avec des pieds infectés "introduits" à Saint-Gengoux-le-National (2004), Bissey/Rosey (2009-2010), Montagny-les-Buxy (2011). « A chaque fois, c’était un ou deux pieds. Les viticulteurs les enlevaient, traitaient et, au bout d’un moment, les traitements s’arrêtaient. En 2011, là, on a changé d’échelle. Fin de vendanges, à Plottes, une parcelle entière était touchée à 90 %. Le potentiel de contamination est de 6,6. Un pied contaminé avec des cicadelles le piquant, c’est 10-100 pieds derrières malades. On a donc eu un "coup de retard" car la cicadelle en piquant contamine le cep et la maladie incube dedans, au minimum un an. Mais cela peut prendre 5-6-7-8 ans avant l’apoplexie. C’est donc seulement dans 4-5 ans qu’on aura une bonne vision de l’extension de la flavescence dorée. En tout cas, cette année, le département a connu une explosion. Du jamais vu en France ! Dans les 1.500 ha déjà en lutte en 2011, certaines parcelles – qui avaient fait leurs rendements l’an dernier - n’ont rien produit cette année. Du jamais vu également dans l’intensité des symptômes, avec le non-aoutement au mois de juin, et des vignes qui crevaient de flavescence dorée. Catastrophe humaine et économique enfin sur le périmètre : 11 ha - appartenant à 10 viticulteurs dont certains 2 ha - seront arrachés suite à la présence de plus de 20 % de pieds contaminés ».