Du pain sur la planche !
Cet échange faisait écho à un certain nombre d’interrogations sur le marché de la viande bovine. Des inquiétudes portent notamment sur l’avenir de la filière italienne. L’engraissement de jeunes bovins français serait en perte de vitesse en Italie : -6 % en 2012, indiquait Yves Largy, président de Global. Dans ce pays en crise économique, la consommation de viande bovine est en berne, doublée d’une « descente en gamme ».
L’Italie ne va pas bien
Les exportateurs confirment que leurs clients « ne vont pas bien », rapportait le représentant des négociants, Gilles Danières de l'Unec. Les abatteurs italiens ont en effet des difficultés de paiement. Les prix des jeunes bovins ne sont pas orientés comme ils le devraient. En Italie, le marché de la viande bovine « ne tire plus », commentait François Chaintron, directeur de Charolais Horizon. Un contexte économique défavorable qui s’ajoute, dans la Plaine du Pô, à l’application de la directive Nitrate et au développement des méthaniseurs. On présentait que l’engraissement allait reculer en Italie, mais cette fois, la question de la pérennité de ce débouché pour le broutard français semble carrément posée. « Le défi, c’est qu’allons-nous faire de nos mâles ? », synthétisait sans détour François Chaintron.
« La Turquie à nos portes »
Dans l’état actuel du marché, c’est la Turquie qui semble représenter l’alternative la plus sérieuse au marché italien. Elle est aux portes de l’Europe et représente 75 millions d’habitants avec un pouvoir d’achat intéressant et en hausse. En 2012, les exportations vers ce pays avaient bien fait remonter les prix. Malheureusement, un différend politique sur le génocide arménien a stoppé net la relation commerciale entre les deux pays. Depuis, le Groupement export France (GEF), mis en place par la profession, fait ce qu’il peut pour "réchauffer" la situation. « Du fait de ce débat sur le génocide, la France est aujourd’hui mal vue en Turquie. Et ne faisant pas partie de l'Union européenne, les Turcs ont la main sur les droits de douanes, au sujet desquels ils font ce qu’ils veulent ! », expliquait Guy Hermouët. Néanmoins, le représentant du GEF confiait que « les Turcs allaient manquer de viande bovine, alors que le tourisme est sur le point de repartir. C’est un marché potentiel ; un marché de quantité, aussi bien en vif qu’en viande », estimait-il.
Maghreb et Asie aussi
Le GEF prospecte d’autres pays tiers comme la Tunisie ou encore l’Algérie, laquelle entend développer l’engraissement, l’abattage et la distribution et serait demandeuse d’un appui technique. Les opérateurs signalent toutefois que ces pays du Maghreb seraient pour l’instant axés sur des petites carcasses (370 à 400 kg vif), ce qui ne colle pas vraiment à la production charolaise. Ceci dit, même les Italiens choisissent des animaux moins lourds qu’avant (380 à 430 kg vif) et se tournent vers des laitonnes.
N’ayant pas intérêt à se positionner sur la production de "minerai" où elle se retrouverait en concurrence avec le Brésil ou l’Inde, la France a en revanche un créneau dans la viande de qualité, expliquait Guy Hermouët. Corée du Nord, Japon et Chine constituent autant de niches à saisir, d’autant que ce sont des populations solvables, indiquait Philippe Chotteau.
Une filière plus responsable
Des opportunités nouvelles existent bel et bien à l’export, reprenait l’économiste. Mais il faudrait résoudre les questions sanitaires, politiques, de compétitivité… et aussi de Pac. Et puis, il faudrait que la filière acquière un degré d’organisation supérieur. Pour ne plus avoir à subir « d’à-coup ». Il faudrait déjà que les opérateurs fassent montre de plus de « déontologie commerciale », estimait pour sa part Guy Hermouët. Le représentant de la FNB pointait ainsi la bataille au moins disant que se livrent sans cesse les opérateurs pour se disputer les marchés export... Deuxième objectif défendu par la FNB : que la filière devienne capable « d’anticiper les marchés en partant de l’analyse des naissances et en programmant les sorties de broutards », détaillait à son tour Michel Joly.
Engraisser davantage
Outre l’export, la France aurait également du potentiel pour engraisser davantage de mâles. Mais là, c’est le problème de stabilité du revenu qu’il faut résoudre et, pour cela, la FNB défend une contractualisation intégrant les coûts de production. Sur ce dernier point, la « mécanique semble bien enclenchée », mais reste à résoudre la question « d’une caisse de sécurisation » et de voir comment l’alimenter, pointait François Chaintron. L’autre problème à régler est l’engagement de la grande distribution, laquelle fait, pour le moment, défaut dans les contrats (lire à ce sujet notre article sur Interbev en page 16 de cette même édition).
« Nous sommes passés d’une surproduction chronique à une pénurie. Il faut profiter de cette nouvelle donne pour faire remonter les prix. Nous avons le potentiel de production, mais pour le maintenir, il faut du revenu. Et pour cela, il faut des soutiens par la Pac et sécuriser le système via la contractualisation. C’est sur ces dossiers que nous avons à travailler encore », synthétisait en conclusion Christian Bajard.
Economie
Nouvelle donne mondiale
A l’échelle mondiale, « la demande est là, mais l’offre ne suit pas », expliquait l’économiste de l’Institut de l’élevage, Philippe Chotteau. On est en effet en pleine croissance démographique mondiale avec des populations qui connaissent même la faim. Fléau que la libéralisation des marchés n’a pas su enrayer. Dans les pays émergents, la consommation de viande bovine explose. Dans le même temps, nombre de pays décapitalisent leurs cheptels (exemple : l’Argentine avec l’extension saisissante de la culture de soja dans la Pampa ; la Chine aussi). En Europe, la décapitalisation s’accompagne d’une baisse de la consommation. Ceci dit, le prix des vaches n’a jamais été aussi élevé qu’aujourd’hui.
Autre tendance lourde de l’économie moderne : la volatilité des prix. Le prix de l’ensemble des produits agricole augmente tandis qu’une convergence des prix de l’ensemble des matières premières est observée. C’est le résultat de la financiarisation des marchés des matières premières, laquelle a pour conséquence d’amplifier les mouvements à la hausse comme à la baisse, expliquait Philippe Chotteau.