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Conseil de Bassin Bourgogne Beaujolais Jura Savoie

Dure gestion collective

Il y a des réunions qui s’annoncent « chaudes » et où la presse n’est
pas conviée. C’était le cas de la dernière réunion du Conseil de Bassin
viticole Bourgogne Beaujolais Jura Savoie à Dijon. Au cœur des débats,
les aides pour les plantations de pinot noir dans le Beaujolais, dans le
cadre du fond de restructuration de l’OCM vitivinicole. Derrière, se
cachait en réalité la délicate gestion des volumes de la nouvelle
appellation "Coteaux bourguignons", sa gouvernance, et également les
replis en vins de base crémant…
Par Publié par Cédric Michelin
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Le Beaujolais est en crise. Pas la Bourgogne. Ni ses crémants. C’est un peu le scénario de l’Europe qui se joue actuellement - en miniature - au Conseil de Bassin viticole Bourgogne Beaujolais Jura Savoie. Faut-il aider un secteur, le Beaujolais en l’occurrence - ou un pays - en crise, avec lequel on est uni - dans la Grande Bourgogne et l’Europe respectivement - au risque de voir se dégrader sa situation et perdre le contrôle ?
Un compte à rebours avait même commencé. FranceAgriMer, l’administration qui gère les aides européennes de l’OCM vitivinicole, avait en effet convié et prévenu les préfets des deux régions - Bourgogne et Rhône-Alpes - qui, du coup « coprésidaient », qu’un accord devait être trouvé à la fin de la réunion. Car en raison de ses devoirs statutaires, le Conseil de Bassin doit émettre un avis sur un certains nombre de dossiers, dont les aides pour la restructuration du vignoble. Si un avis n’était pas « décroché » ce 12 janvier, FranceAgriMer menaçait de bloquer les aides sur l’ensemble du bassin pour 2012. La pression était forte car, jusque-là, toutes les réunions préparatoires avaient échoué…

« Incohérence » ou « diversification »?


Une épée de Damoclès qui n’était en réalité que secondaire aux yeux des protagonistes de la filière. La vraie question était, belle et bien, celle - stratégique - de la gestion économique des Coteaux bourguignons. Ce deuxième point de la réunion n’aura même pas pu être abordé, faute de temps... La crispation du jour se passant sur les plantations aidées de pinot noir dans le Beaujolais. Pourquoi ? A cause d’une « brèche dans le système », analyse Michel Baldassini, président délégué du BIVB.
Le syndicat des Bourgognes parle même d’un véritable « vide juridique », lequel permet aux viticulteurs produisant du beaujolais - pendant deux ans encore jusqu’en fin 2013 - de planter du pinot noir. Cependant, à compter de 2015, l’appellation beaujolais ne pourra plus contenir ce cépage. Pour l’ODG Bourgogne, il y a là une « incohérence de laisser des viticulteurs planter dans une appellation qui, de toute façon, ne permettra pas de produire cette appellation au moment où la vigne entrera en production ». Résultat, « demander des aides dans ce schéma là, nous paraît une aberration », explique Guillaume Willette, le directeur.
Autre son de cloche avancé par le délégué général d’Interbeaujolais, Jean Bourjade ne cache pas qu’étant « donné la situation de notre vignoble (en crise, ndlr), si on peut obtenir des aides de FranceAgriMer, nous serions idiots de ne pas en profiter ». « Ce n’est pas parce que vous ne demandez pas d’aides, qu’il faut nous bloquer », riposte l’interbeaujolais à l'ODG Bourgogne, « vous pouvez demander des aides au nord... ». Et de confirmer, suite aux accords d’il y a un an, que « ces pinots ne serviront pas à produire du bourgogne rouge, mais bien à alimenter la nouvelle appellation Coteaux bourguignons, dans notre politique de diversification, ainsi que les vins de base crémant ». Une stratégie affichée.

50 ha aidés en 2012


Cependant, tous les Bourguignons ont encore en tête le récent "blanchiment" du Beaujolais et les 200 ha de chardonnay plantés en un an. Ces aides à la restructuration sont un accélérateur.
Le Beaujolais demandait donc des aides pour 200 ha de plantations aidées en pinot noir au total et ce jusqu’en 2013. Un chiffre issu d'un questionnaire sur les besoins des opérateurs beaujolais, fait par l’UVB (Union des viticulteurs du Beaujolais). De son côté, l’ODG Bourgogne ne voulait pas que ce chiffre dépasse les 30 ha. Finalement, un accord a « tranché ».
Après de rudes négociations, un contingentement de 50 ha sera aidé cette année 2012 et un « accord de principe » prévoit 80 ha l’an prochain, renégociable néanmoins en janvier 2013. Surtout, pour éviter l’apport financier massif de quelques uns, une limite maximum a été fixée à 1 ha planté aidé de pinot par exploitation sur les deux années. « Nous ne souhaitions pas cette contrainte, mais nous avons du l’accepter », concède Jean Bourjade.
Les viticulteurs du Beaujolais étaient donc bien dans leur droit. Mais droit législatif ne veut pas forcément dire droit moral… « On utilise les droits d’une appellation pour en servir une autre », dénoncent toujours les bourgognes. « 130 ha, cela reste microscopique à l’échelle du pinot en Bourgogne. Ce n’est pas ces 130 ha qui déséquilibreront l’ensemble des marchés de la Bourgogne. D’où notre incompréhension », se défendent les beaujolais. Sauf qu'en réalité, avec les replis, la production de BGO ne dépassait pas les 1.000 hectares.

ODG : le G pour gestion


Pour comprendre tout le dossier, il faut s’intéresser à la suite des négociations, prévues dans les prochaines semaines.
Sur le sujet de la gouvernance des Coteaux bourguignons, le directeur de l’UPECB (Union des producteurs et élaborateurs de crémants de Bourgogne), Pierre du Couëdic rappelle « l'effet domino » sous-jacent. L’aire d’appellation des Coteaux bourguignons correspond à l’aire de production des Bourgognes grand ordinaire (BGO), lesquels peuvent être repliés en crémant de Bourgogne. Ce qui veut dire que les décisions prises « impacteront » potentiellement la production de vins de base crémant et les autres appellations de Bourgogne. Une perte de contrôle que chacun essaye d’éviter. Le discours du syndicat des Bourgognes est clair : « nous voulons rester maître chez nous ».
Si l’UPECB ne remet pas en cause l’aire d’appellation, « nous sommes toutes des ODG responsables qui cherchons à gérer nos appellations ». Voilà, pourquoi, l’UPECB cherche à se soustraire de cet effet domino. Pour cela, cette dernière déposera prochainement un dossier à l’INAO pour pouvoir contingenter des droits de plantation spécifiques pour ses vins de base crémant (lire également notre édition du 13 janvier page 10).
Se voulant neutre, l’UPECB « n’est pas opposé » aux demandes de reconversion émanant du Beaujolais, mais « veut un principe d’équité entre tous les viticulteurs », quel que soit le lieu du siège social de l’exploitation. « Que les choses soient organisées et que les vignerons aient tous la même facilité, et les mêmes aides, pour produire ».

Équité pour tous


Et ce n’est pas le cas aujourd’hui. Le dossier ne se résume pas aux seuls plantations aidées. Le Beaujolais est « plus ouvert », comme on le voit, sur les droits de plantation. Le syndicat des Bourgognes, lui, interdit depuis sept ans toutes nouvelles plantations. Il interroge : « Faire planter les viticulteurs pour un hypothétique marché, c’est faire prendre un risque énorme ; pour ceux qui plantent, mais aussi pour ceux qui ont déjà des vignes. Le risque se mutualise. Valorisons déjà ce qui est planté et après, si on a besoin de développement, on se développera », souhaite le syndicat des bourgognes. Argument supplémentaire, le marché des BGO et des passetoutgrains « n’est plus porteur et il ne s’agit pas de rajouter des surfaces en production sur des appellations déjà en difficulté ».
Derrière, le négoce de la Grande Bourgogne - Bourgogne et Beaujolais - continue pourtant d’affirmer vouloir développer les Coteaux bourguignons. « Le négoce a poussé fortement pour dire qu’il fallait des plantations de pinot noir - comme en 1998 où il voulait 1.500 ha en plus - alors que, sur les plantations existantes, le négoce n’en achète aujourd'hui pas ». « On se pose des questions sur leurs motivations », n'hésite pas à dire Guillaume Willette. Selon les derniers chiffres à fin novembre, sur cette première campagne, seul 291 hl ont en effet été enregistrés au niveau des transactions de BGO - nouvellement Coteaux bourguignons - par le BIVB, autant dire, rien. Rien de plus normal, rétorque Interbeaujolais, pour cette appellation qui n’a que quelques mois d’existence. Tout n’est d’ailleurs pas encore bien défini. « Les Coteaux seront certainement des vins d’assemblage, plus que des monocépages. Main dans la main, BIVB et Interbeaujolais cherchent à définir des itinéraires techniques pour faire une appellation avec une belle homogénéité, très différenciée des BGO. Un certain nombre de négociants les attendent. Aux printemps-été 2012, on pense voir davantage de volumes se faire », espère Interbeaujolais.

Cruciale gouvernance


On le voit, deux visions - prudence ou espoir - s’opposent. La gouvernance pour l’imposer est donc cruciale. La filière beaujolaise veut un ODG spécifique, « tripartite : viticulture bourguignonne, viticulture beaujolaise et négoce de la grande Bourgogne ». Jean Bourjade poursuit : « Nous disons cela car il y a de très grandes chances que l’apport du Beaujolais soit prépondérant, lequel pourrait être à hauteur des deux tiers des apports. Les opérateurs concernés ne seraient même pas représentés sur cette nouvelle appellation. Cela n’est pas très normal ».
Côté bourgognes, la gouvernance « est un non sujet. Il y a déjà un syndicat d’appellation qui a été reconnu ODG. Il y a une interprofession, le BIVB, laquelle est reconnue pour suivre et gérer l’appellation. Et en gage de bonne volonté, il y a eu mise en place d’une commission Coteaux bourguignons au sein du BIVB avec le négoce, la viticulture bourguignonne et beaujolaise », expose Guillaume Willette.
Le BIVB ne s’est « pas encore positionné » sur les propositions d’Interbeaujolais car cela reste subordonné à la décision, si oui ou non, un ODG spécifique sera créé. Pour Michel Baldassini, « à mon avis, ce sera à l’INAO de trancher ». Le Beaujolais pousse et a déjà validé des budgets pour communiquer « immédiatement » sur les Coteaux. Reste néanmoins un point crucial : « les CVO ne sont perçues que par le seul BIVB aujourd’hui », explique Interbeaujolais. La filière beaujolaise souhaiterait bien maintenant un « partage de la CVO selon un système basé sur l’origine géographique de l’opérateur ». Ce serait une première puisque les CVO sont payées par produit et non par territoire.
Autant d'illustrations des problèmes actuels et à venir, au sujet desquels, force est de constater, qu'« il manque la volonté d’avancer ensemble », admettent tant les uns que les autres. La dure réalité de la gestion d’une marque collective en somme…