Accès au contenu
Portes ouvertes Farminove SENOZAN
Fermentations spontanées

« Eloge de la patience »

Les fermentations spontanées suscitent bien des débats. Partisans et
opposants confrontent avantages et inconvénients. En Bourgogne, l’étude
d’Oenoréseau Saône-et-Loire a toutefois tranché, en comparant cette
conduite des vinifications avec celle, majoritaire, utilisant des
levures sèches actives (LSA). Résultats, les vins provenant de levures
indigènes sont mieux classés qualitativement.
Par Publié par Cédric Michelin
129099--Benjamin_Domaine_Talmard.JPG
Le type de levures a une grande importance dans la conduite des vinifications. Entre 2005 et 2011, l’œnologue du Vinipôle Sud Bourgogne à Davayé, Patrice Joseph a mené une étude, dénommée Oenoréseau 71, auprès de 67 producteurs particuliers et caves coopératives de Saône-et-Loire. Il a ainsi recueilli des informations sur 536 cuvées de Saône-et-Loire, soit 282 chardonnays, 69 gamays et 185 pinots noirs. Tous ces vins ont été dégustés à l’aveugle par trois œnologues qui les ont classés dans quatre catégories : A (très bon), B (bon), C (correct) et D (défauts ; 2 vins seulement).
Un des résultats inattendus est le classement des levures indigènes (naturelles). Même si la majorité des vins sont fermentés avec des levures sélectionnées, la proportion de fermentations spontanées est plus élevée dans la catégorie des très bons vins que dans la catégorie des vins corrects. « Preuve que si les flores indigènes sont bien contrôlées, il est possible de faire des vins de qualité », indique Patrice Joseph. De même, 40 % des très bons vins ont achevé leur fermentation alcoolique en plus de cinquante jours, contre seulement 20 % des vins tout juste corrects. Patrice Joseph en déduit que les fermentations de longues durées ne sont pas un problème.
Et même plutôt une force à écouter les vignerons qui ont choisit et pratiquent ces fermentations spontanées longues. Au Domaine Talmard à Uchizy, Mallory et Benjamin ont commencé à travailler avec leurs levures indigènes en 1999. Avec plus de 30 ha d’appellations Mâcon, leurs bâtiments isolés abritent 41 cuves thermo-régulées « pour faire du parcellaire », y compris dans de « gros récipients » de 100 hl. Devant répondre à des cahiers des charges pour l’export (60 % des ventes), l’ex-charpentier a recours à moitié à des LSA, notamment sur les jeunes vignes, pour « corriger les volatiles » lors des assemblages, indique Benjamin. Ses chardonnays rentrés en cuve, le vigneron fait un débourbage « très sévère » durant au moins 48 h. « J’aime avoir des jus limpides ». Pendant 15 à 24 h ensuite, il les descend à 15 °C et les laisse remonter naturellement en température. Arrivé à 1070-1060 de densité en sucre, il redescend la température entre 10 et 14 °C pour à nouveau « relâcher » à 1010. « Je cherche l’extrême et les températures basses, vers 10 °C. D’une année à l’autre, même s’il y a des variantes avec les millésimes, on sait les parcelles qui fonctionneront toujours biens ». La preuve pour Patrice Joseph, qu’un "conventionnel" peut utiliser ses levures indigènes, en restant prudent. « J’ai remarqué que les résidus antibotrytis à la vigne sont néfastes et font trainer le départ en fermentation alors que normalement, elles se passaient bien », indique Benjamin, contraint alors d’ensemencer après 8-9 jours d’attente. En revanche, il lui est déjà arrivé de « finir trois cuves avec une fermentation indigène » initiale. C’est « l’immense avantage de la biodiversité génétique », explique Patrice Joseph. Les contrôles sont néanmoins fréquents. Dans 70 % des cas, ses malos débutent avant la fin des fermentations alcooliques. Un sulfitage adapté et un suivi rigoureux permettent alors l’achèvement des sucres sans problèmes. Reste au final, la « patte » du vigneron conjugué à la « marque de fabrique » du Domaine. « Qualité inouïe et régularité » résume un restaurateur Lyonnais, venu s’approvisionner spécialement. « Je fais ce que j’aime et j’aimerai tout faire en fermentations spontanées », se raisonne Benjamin, qui a des marchés à honorer.

« Ça marche »



C’est en tout cas ce que réalise Frédéric Servais, responsable technique du Domaine des Poncétys. L’exploitation du lycée viticole de Davayé a basculé en 2004. Au fur et à mesure, chaque parcelle est vinifiée séparément. 35 vinifications différentes pour le moment sur 16 ha 80, majoritairement en AOC Saint-Véran, Pouilly-Fuissé et Mâcon-Davayé. L’ancien journaliste belge voulait « faire des vins bios naturels ». Il diminue le soufre et en 2008 réalise, deux vinifications en levures indigènes. « Ça devait marcher avec la qualité du matériel végétal en Saint-Véran 1er Cru Les Cras » et ce fut le cas. « Sans régulation, la fermentation a été plus longue de deux mois, sans arrêt. Assez simple finalement », se souvient-il après coup. Il décide de poursuivre l’expérimentation et passe ainsi un tiers des chardonnays en 2005, deux tiers en 2006 et la totalité en levures indigènes en 2007. En « mauvais état », la dizaine de foudres en chêne et les 25 cuves thermorégulées sont progressivement remplacés par 17 cuves, tous de volumes différents pour s’adapter à chaque millésime et aux tailles des parcelles et des pressurés. « Ma conviction est que dans 70 % des cas, la cuve est fermentée par ses propres levures ». Les allongements des fermentations alcooliques résultant de l’utilisation de levures indigènes lui donne le sentiment de vins « plus riches, plus complexes et plus gras ». Là encore, la base est une récolte saine et mature avec un débourbage « extrêmement fort ». Pour obtenir des jus fins, le pressurage se fait à faible pression, en partant de 0,2 bar « longtemps », pendant environ 1h30 selon la viscosité du moût, en montant crescendo pour finir à 2 bars. Une dose réduite de soufre (2 à 3 g/hl) suffit pour « garder un léger effet sélectif des levures », supprimant les levures oxydatives et non-Saccharomyces « de mauvaises qualités », explique Patrice Joseph. La vinification débute entre 12 et 14 °C. Frédéric Servais fait des prises de densités 2 à 3 fois par semaine et augmente la température par palier de 0,2°C, pour finir vers 13 °C souvent. En hiver, le chai a une température constante entre 10 et 12 °C, qui est l’objectif « naturel ». Les fermentations mettent en moyenne 5 mois mais peuvent se dérouler sur 9 mois. « L’objectif est qu’elles ne s’arrêtent jamais ». Les arrêts de fermentation sont traités par micro-oxygénation (3 mg/l/j pendant 1 jour en blancs ; 2 mg/l/j pendant 5 jours en rouges).
Vers le 15 décembre généralement, à 12°C, « voire 11°C », les malos démarrent mais « patinent » aussi parfois. Certaines levures luttant avec les bactéries. Les vins obtenus ont des expressions fruités avec « des spécificités du terroir », des finales fraiches malgré des acidités faibles (3,10 – 3,20). Pas d’élevage ni bâtonnage sur vins finis, seulement si besoin de « remobiliser » les levures au contact des sucres. La mise se fait au mois de juin et en août pour les cuvées parcellaires. « Ce n’est pas une aberration. Avant, le vin faisait ses pâques », rappelle Patrice Joseph qui étudie au Vinipôle ces itinéraires techniques pour les comprendre et les sécuriser.
C'est pourquoi, Patrice Joseph recommande de se familiariser avec les fermentations spontanées en vinifiant d’abord une seule cuvée puis d’augmenter progressivement au cours des années en fonction de la capitalisation de l’expérience.



Savoir s’adapter en rouges



Au Domaine des Poncétys, Frédéric Servais ne laisse pas les fermentations sur macération débuter spontanément en gamay. Il débute toujours en préparant des pieds de cuves en allant prélever 50 kg de raisin frais, qu’il place dans un contenant chauffé entre 25 et 28°C après léger sulfitage. Il réalise l’opération 10 jours avant « par sécurité ». La « plus grosse » des deux cuvées est égrappée et bénéficie de 23 jours de macération « lente » avec « peu » d’intervention, ou pigeage matin et soir pour renforcer le chapeau et éviter les déviances organoleptiques. Après décuvage, les vins sont élevés en fûts, pour une mise en août sans soufre, ni intrant, ni filtration.La suite n’est qu’un long éloge à la patience… pour le plus grand plaisir des clients au moment de déboucher les vins.


Images