Jean-Michel Aubinel
En 2012, des arbitrages à faire
A 51 ans, le président de l’Union des producteurs de vins mâcon (UPVM),
Jean-Michel Aubinel vient d’accéder à la présidence de la Confédération des appellations et vignerons de Bourgogne (CAVB) après avoir été porté –quelques mois auparavant– à la vice-présidence de la Cnaoc (Confédération nationale des vins d’appellations d’origine). Secrétaire général de
l’Union viticole, ce vigneron de Prissé défend les viticulteurs du local
jusqu’au niveau européen. Interview.
Jean-Michel Aubinel vient d’accéder à la présidence de la Confédération des appellations et vignerons de Bourgogne (CAVB) après avoir été porté –quelques mois auparavant– à la vice-présidence de la Cnaoc (Confédération nationale des vins d’appellations d’origine). Secrétaire général de
l’Union viticole, ce vigneron de Prissé défend les viticulteurs du local
jusqu’au niveau européen. Interview.
Après avoir fêté les 75 ans de l’AOC mâcon, quelle est votre feuille de route –au sein de l’UPVM– pour poursuivre la montée en gamme de cette appellation régionale ?
Jean-Michel Aubinel : cette année a été riche : les 75 ans de l’AOC ainsi que le Tour de France ont permis de mettre les vins, les terroirs et les producteurs sur le devant de la scène. Nous avons eu de belles retombées (presse, ventes…). Il faut continuer d’installer et d’asseoir l’appellation, tant au national qu’à l’international. Nous sommes donc engagés dans le Plan Bourgognes Amplitude 2015 du BIVB. Chaque ODG reste néanmoins libre de ses actions. La communication doit simplement être collective, sous la marque ombrelle Bourgogne. C’est l’addition des forces qui déterminera si l’appellation évolue ou stagne.
Lugny semble prêt à voler de ses propres ailes et devenir une appellation communale. 600 à 700 ha pourraient être concernés. Quelle incidence pour l’UPVM (3.700 ha en cotisations) ?
J.-M. A. : tout d’abord, tout en sachant que cela va à l’encontre de la force économique des mâcons, il faut rappeler que l’UPVM s’est positionnée et soutient l’émergence de cette appellation village. C’est naturel et cela s’est d’ailleurs déjà produit avec le saint-véran ou le viré-clessé. Sous l’influence du travail des hommes, nos terroirs peuvent émerger à un échelon supérieur. L’organisation de l’UPVM et son rôle d’ODG ne seront pas remis en cause. Dans les 600 ha, il restera des mâcons villages.
La découverte de foyers de flavescence dorée sur ce secteur risque-t-elle de le fragiliser ? Et plus largement, la Saône-et-Loire sera-t-elle déclarée indemne l’an prochain ?
J.-M. A. : c’est un vrai sujet de préoccupation. Avec les autres organismes (chambre, IFV, pôle Davayé…), nous sommes mobilisés au sein de l'Union viticole pour trouver des réponses face à l’inquiétude des viticulteurs touchés. Avec les dépistages d’après vendanges, les procédures d’arrachages risquent en plus de se multiplier. Investissements (arrachages, plantations…) et manque à gagner (récolte) interrogent sur la stratégie de lutte à adopter ; si oui ou non, l’éradication de la maladie est possible ?
Cela fait écho à une autre maladie : l’Esca. Un certain découragement semble gagner du terrain. Qu’en est-il ?
J.-M. A. : les taux de pertes explosent dans les domaines. Au-delà des impacts économiques et des pertes de rendement, se posent alors de réelles questions : remplacer des pieds, oui, mais pour quelle pérennité des parcelles ? Quelle gestion pratique ?... car plus une seule parcelle de vigne ne sera homogène avec tous ces pieds de divers âges. C’est irrationnel et ingérable en terme de travail derrière. Tant que la profession ne verra pas de réelles avancées de la recherche, les vignerons feront le triste constat de vivre le phylloxera du XXIe siècle. C’est décourageant car on a l’impression que les pouvoirs publics n’ont pas pris conscience du problème. Nous sommes spectateurs sans pouvoir réagir, freiner ou soigner.
A court terme, des notifications de "manquants" risquent de se multiplier et provoquer le déclassement en chaine de parcelles. Que compte faire la profession, en l'occurrence la CAVB que vous présidez, avec Icone ?
J.-M. A. : Dame nature est plus forte que le plus professionnel des professionnels. On ne peut aborder 2012 comme les millésimes précédents. Cette année climatologique compliquée dépasse tous nos plans de contrôle. Ces derniers montrent leurs limites car nous ne sommes pas sur des produits standardisés et formatés industriellement. On travaille le vivant. Rien n’est simple. La réalité des domaines va donc au-delà de la simple responsabilité d’un producteur. Cela devient une problématique générale. Je pense qu’il nous faudra un débat régional sur ce qui est convenable –ou non– dans le cadre du respect du plan de contrôle. Il y aura des arbitrages à faire.
Coteaux bourguignons, "blanchissement" du Beaujolais, plantations de pinot noir aidées en Beaujolais… Les sujets de tension ne manquent pas en Grande Bourgogne. Comment voyez-vous les relations avec le Beaujolais ?
J.-M. A. : ces sujets génèrent des incompréhensions dans la Grande Bourgogne. Si on regarde, le Beaujolais a bien une incidence sur l’ensemble des appellations de Bourgogne. Les répercussions dépassent les limites des interprofessions. La CAVB est donc concernée. Entre tous les opérateurs (négoces, coopératives, particuliers), il est normal que des différences, des interrogations et des craintes éclatent. Le tout est de toujours conserver un dialogue, même s’il est vif. On doit trouver des solutions qui conviennent au plus grand nombre de producteurs.
Au nord, Chablis a finalement décidé de rester au sein du BIVB, mais menaçait également de quitter la CAVB. Qu’en est-il ?
J.-M. A. : Chablis reste au sein de la CAVB. Je m’en félicite dans l’intérêt général. L’unité et la force sont préservées ainsi. Il nous faudra continuer d’être performants dans nos obligations envers les ODG : évolutions des cahiers des charges, des conditions de production, des contrôles…
Nous allons également réaffirmer nos positions de producteurs. La CAVB est le seul représentant viticole en face du négoce (Fneb). Pour cela, il nous faut continuer d’évoluer dans l’analyse de la commercialisation car nos préoccupations technico-économiques sont souvent différentes des "seules" problématiques de commerçants.
Le fait que vous veniez d’une appellation régionale change-t-il ces relations ?
J.-M. A. : oui. Le négoce est un monde plus habitué aux communales et aux crus. Sur un dossier comme celui des droits de plantation : au départ pour une libéralisation, les négociants français devraient finalement rejoindre plus fermement la position des viticulteurs. Une approche commune est possible mais cela fait aussi suite à la mobilisation par la profession, qui a su entraîner du monde, dont les élus, contribuant à ce que le négoce revoit sa position sur cette question de la gestion de la production. La Cnaoc porte au national, et en Europe, les grands dossiers. C’est très intéressant de le vivre en tant que président d’ODG et d’apporter ces réflexions en haut de cette organisation pyramidale.
La Commission européenne semble tout faire pour ne pas revenir sur cette libéralisation ? Si la viticulture y parvient, pensez-vous que les autres filières (sucre, lait…) emboiteront le pas ?
J.-M. A. : nous ne sommes pas là pour empêcher les autres productions d’évoluer dans quelque sens que ce soit. Nous sommes là pour défendre nos intérêts. Les viticulteurs de toute l’Europe sont unanimes pour garder leurs outils de régulation, même s’ils admettent qu’un toilettage est nécessaire.
On a cependant l’impression que la Commission européenne est un "électron libre". Personne –ni les ministres d’Etats européens, ni le Parlement européen– n’arrive à l’arrêter. Nous restons donc vigilants, mobilisés et nous continuerons de mettre un maximum de pression.
Jean-Michel Aubinel : cette année a été riche : les 75 ans de l’AOC ainsi que le Tour de France ont permis de mettre les vins, les terroirs et les producteurs sur le devant de la scène. Nous avons eu de belles retombées (presse, ventes…). Il faut continuer d’installer et d’asseoir l’appellation, tant au national qu’à l’international. Nous sommes donc engagés dans le Plan Bourgognes Amplitude 2015 du BIVB. Chaque ODG reste néanmoins libre de ses actions. La communication doit simplement être collective, sous la marque ombrelle Bourgogne. C’est l’addition des forces qui déterminera si l’appellation évolue ou stagne.
Lugny semble prêt à voler de ses propres ailes et devenir une appellation communale. 600 à 700 ha pourraient être concernés. Quelle incidence pour l’UPVM (3.700 ha en cotisations) ?
J.-M. A. : tout d’abord, tout en sachant que cela va à l’encontre de la force économique des mâcons, il faut rappeler que l’UPVM s’est positionnée et soutient l’émergence de cette appellation village. C’est naturel et cela s’est d’ailleurs déjà produit avec le saint-véran ou le viré-clessé. Sous l’influence du travail des hommes, nos terroirs peuvent émerger à un échelon supérieur. L’organisation de l’UPVM et son rôle d’ODG ne seront pas remis en cause. Dans les 600 ha, il restera des mâcons villages.
La découverte de foyers de flavescence dorée sur ce secteur risque-t-elle de le fragiliser ? Et plus largement, la Saône-et-Loire sera-t-elle déclarée indemne l’an prochain ?
J.-M. A. : c’est un vrai sujet de préoccupation. Avec les autres organismes (chambre, IFV, pôle Davayé…), nous sommes mobilisés au sein de l'Union viticole pour trouver des réponses face à l’inquiétude des viticulteurs touchés. Avec les dépistages d’après vendanges, les procédures d’arrachages risquent en plus de se multiplier. Investissements (arrachages, plantations…) et manque à gagner (récolte) interrogent sur la stratégie de lutte à adopter ; si oui ou non, l’éradication de la maladie est possible ?
Cela fait écho à une autre maladie : l’Esca. Un certain découragement semble gagner du terrain. Qu’en est-il ?
J.-M. A. : les taux de pertes explosent dans les domaines. Au-delà des impacts économiques et des pertes de rendement, se posent alors de réelles questions : remplacer des pieds, oui, mais pour quelle pérennité des parcelles ? Quelle gestion pratique ?... car plus une seule parcelle de vigne ne sera homogène avec tous ces pieds de divers âges. C’est irrationnel et ingérable en terme de travail derrière. Tant que la profession ne verra pas de réelles avancées de la recherche, les vignerons feront le triste constat de vivre le phylloxera du XXIe siècle. C’est décourageant car on a l’impression que les pouvoirs publics n’ont pas pris conscience du problème. Nous sommes spectateurs sans pouvoir réagir, freiner ou soigner.
A court terme, des notifications de "manquants" risquent de se multiplier et provoquer le déclassement en chaine de parcelles. Que compte faire la profession, en l'occurrence la CAVB que vous présidez, avec Icone ?
J.-M. A. : Dame nature est plus forte que le plus professionnel des professionnels. On ne peut aborder 2012 comme les millésimes précédents. Cette année climatologique compliquée dépasse tous nos plans de contrôle. Ces derniers montrent leurs limites car nous ne sommes pas sur des produits standardisés et formatés industriellement. On travaille le vivant. Rien n’est simple. La réalité des domaines va donc au-delà de la simple responsabilité d’un producteur. Cela devient une problématique générale. Je pense qu’il nous faudra un débat régional sur ce qui est convenable –ou non– dans le cadre du respect du plan de contrôle. Il y aura des arbitrages à faire.
Coteaux bourguignons, "blanchissement" du Beaujolais, plantations de pinot noir aidées en Beaujolais… Les sujets de tension ne manquent pas en Grande Bourgogne. Comment voyez-vous les relations avec le Beaujolais ?
J.-M. A. : ces sujets génèrent des incompréhensions dans la Grande Bourgogne. Si on regarde, le Beaujolais a bien une incidence sur l’ensemble des appellations de Bourgogne. Les répercussions dépassent les limites des interprofessions. La CAVB est donc concernée. Entre tous les opérateurs (négoces, coopératives, particuliers), il est normal que des différences, des interrogations et des craintes éclatent. Le tout est de toujours conserver un dialogue, même s’il est vif. On doit trouver des solutions qui conviennent au plus grand nombre de producteurs.
Au nord, Chablis a finalement décidé de rester au sein du BIVB, mais menaçait également de quitter la CAVB. Qu’en est-il ?
J.-M. A. : Chablis reste au sein de la CAVB. Je m’en félicite dans l’intérêt général. L’unité et la force sont préservées ainsi. Il nous faudra continuer d’être performants dans nos obligations envers les ODG : évolutions des cahiers des charges, des conditions de production, des contrôles…
Nous allons également réaffirmer nos positions de producteurs. La CAVB est le seul représentant viticole en face du négoce (Fneb). Pour cela, il nous faut continuer d’évoluer dans l’analyse de la commercialisation car nos préoccupations technico-économiques sont souvent différentes des "seules" problématiques de commerçants.
Le fait que vous veniez d’une appellation régionale change-t-il ces relations ?
J.-M. A. : oui. Le négoce est un monde plus habitué aux communales et aux crus. Sur un dossier comme celui des droits de plantation : au départ pour une libéralisation, les négociants français devraient finalement rejoindre plus fermement la position des viticulteurs. Une approche commune est possible mais cela fait aussi suite à la mobilisation par la profession, qui a su entraîner du monde, dont les élus, contribuant à ce que le négoce revoit sa position sur cette question de la gestion de la production. La Cnaoc porte au national, et en Europe, les grands dossiers. C’est très intéressant de le vivre en tant que président d’ODG et d’apporter ces réflexions en haut de cette organisation pyramidale.
La Commission européenne semble tout faire pour ne pas revenir sur cette libéralisation ? Si la viticulture y parvient, pensez-vous que les autres filières (sucre, lait…) emboiteront le pas ?
J.-M. A. : nous ne sommes pas là pour empêcher les autres productions d’évoluer dans quelque sens que ce soit. Nous sommes là pour défendre nos intérêts. Les viticulteurs de toute l’Europe sont unanimes pour garder leurs outils de régulation, même s’ils admettent qu’un toilettage est nécessaire.
On a cependant l’impression que la Commission européenne est un "électron libre". Personne –ni les ministres d’Etats européens, ni le Parlement européen– n’arrive à l’arrêter. Nous restons donc vigilants, mobilisés et nous continuerons de mettre un maximum de pression.