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Agriculture de groupe

ENQUÊTE : Comment WhatsApp revitalise l’agriculture de groupe

Selon l’enquête Agrinautes, pas loin de la moitié des agriculteurs français (interrogés par un questionnaire en ligne) utilisent la messagerie mobile WhatsApp, et sa popularité devrait même dépasser Facebook cette année. Contrairement aux apparences, son usage n’est pas seulement privé, il est également professionnel et n’est pas réservé aux élus des grandes organisations professionnelles. C’est dans les collectifs d’agriculture de groupe (chambres d’agriculture, Cuma, etc.) que l’application mobile au logo vert (et ses alternatives Telegram, Signal ou Riot) a trouvé son usage le plus pertinent.

ENQUÊTE : Comment WhatsApp revitalise l’agriculture de groupe

C’est une progression éclair. Selon la dernière enquête Agrinautes (Hyltel, Data Agri, NPGA), pas loin de la moitié des agriculteurs français (interrogés sur internet) utilisaient WhatsApp en 2020. 40,9 % exactement. En quelques années, l’application mobile au logo vert est en train de conquérir les téléphones mobiles de la Ferme France (+ 6 points en seulement une année). Elle talonne Facebook (44,7 %) et distance déjà Twitter (11 %). Elle devrait vraisemblablement devenir le réseau social favori des agriculteurs.

Comme le montre notre enquête, son usage par les agriculteurs n’est pas du tout réservé à la sphère privée et aux discussions familiales. Et son utilisation professionnelle n’est pas cantonnée aux élus des organisations professionnelles agricoles (voir encadré). WhatsApp – et ses alternatives Telegram, Riot ou Landfiles – sont très répandues en agriculture de groupe, en particulier dans les petits collectifs d’innovation ou de partage de matériel. C’est là qu’elles semblent avoir trouvé leur usage le plus pertinent en agriculture. Elles y facilitent l’échange – techniques, commerciaux, organisationnels – entre les conseillers et leurs groupes d’adhérents, et entre les agriculteurs eux-mêmes, de pair à pair.

Aucun chiffrage de cet usage professionnel n’existe à ce jour. Mais le phénomène apparaît massif. « À la louche, je dirais qu’au moins un conseiller de chambre d’agriculture sur deux a un groupe WhatsApp », estime Nicolas Minary, fondateur de la start-up Landfiles, qui propose une application alternative à WhatsApp dédiée aux groupes d’agriculteurs.

Des groupes attirés par la technique

Le phénomène concerne bien les chambres d’agriculture, mais pas seulement. WhatsApp transcende les chapelles. L’application américaine est également utilisée par des conseillers de Geda, de Civam, ou de Gab. La messagerie connaît aussi un vrai succès dans le réseau des Cuma.

L’apparition et le succès d’un groupe WhatsApp sont très déterminés par l’effectif des groupes d’agriculteurs fédérés par un conseiller. Un idéal semble être trouvé dans les petits groupes de développement, qui ne dépassent généralement pas les 30-40 personnes et permettent un échange suivi, des discussions construites.

Le niveau d’échange technique au sein des groupes d’agriculteurs est un autre facteur clé du développement de ces applis. « Il est très utilisé dès lors qu’il y a expérimentation, de l’innovation, estime Nicolas Minary de Landfiles. On le retrouve beaucoup dans les groupes innovants comme les GIEE, 30.000 ou Dephy ». Il y est très souvent question d’agronomie, en particulier d’agroécologie, mais aussi de zootechnie. « Cela fonctionne très bien dans les groupes aux thématiques techniques affirmées, comme la gestion de l’herbe, ou l’agriculture de conservation », étaye David Roy, conseiller à Agrobio 35 (Ille-et-Vilaine).

Un relais lors du premier confinement

La majorité des personnes interrogées racontent souvent la même histoire. Il y a trois ou quatre ans, à la demande du conseiller ou d’un agriculteur, un groupe WhatsApp est créé, qui connaît un succès modeste au départ, mais dont l’activité décolle au bout de quelques mois, parfois plus. Dans de nombreux cas, la crise de Covid-19 et le confinement du printemps 2020 ont été un tremplin.

L’effet du confinement est simple à expliquer. Avec la fin des réunions physiques, en salle ou au champ, il a fallu faire autrement. « Nous nous sommes retrouvés à devoir animer les groupes un peu différemment, alors que l’on était en pleine phase de croissance végétative », retrace Sébastien Windsor, président du réseau des chambres d’agriculture, et de la chambre de Normandie. « Au printemps, les agriculteurs se réunissent une fois par semaine, et les conseillers font des tours de plaine avec eux. Comme nous étions confinés, nous nous sommes mis à envoyer les photos aux conseillers ». Dans sa chambre régionale, l’élu a même incité les animateurs à amorcer des groupes d’échanges, d’abord sur WhatsApp - plus tard, il conseillera de migrer vers Telegram.

Sortir de l’isolement, dialoguer davantage

Pour ceux qui l’ont utilisé, l’apport de WhatsApp est indiscutable. Tous les conseillers témoignent d’une revitalisation de l’activité de leurs groupes. « On a réinventé le fonctionnement de ces organisations collectives, ils nous ont permis de faire revivre cette agriculture de groupe, témoigne Sébastien Windsor. On a trouvé un outil réactif, où l’on peut facilement échanger des photos, des avis. On voit des choses poussées par le conseiller, mais aussi des échanges plus spontanés entre agriculteurs, des réactions des agriculteurs. Il y a plus de dialogue que quand le conseiller parle. Ça amène plus de débats et de discussions ».

« Cela permet de sortir certains agriculteurs de l’isolement, cela favorise les échanges, souvent tous azimuts, à la fois techniques et commerciaux », témoigne Stéphanie Gazeau, conseillère en Charente. Sur le plan technique, « certains messages passent mieux de pair à pair que quand ils viennent du conseiller, même si nous avons un bon relationnel », étaye-t-elle. Même enthousiasme chez Martial Coquio, du Geda 35 : « WhatsApp favorise les échanges sur des cas concrets, de la vie de tous les jours, permet d’avoir l’avis des collègues plus rapidement, de se rassurer, de monter en compétence ».

« Derrière ce phénomène, il y a le métier de conseiller qui devra, de plus en plus, être animateur de réseau, analyse Nicolas Minary, de Landfiles. Avec l’arrivée des pratiques agroécologiques, il va devoir s’informer de plus en plus sur les avancées des fermes pionnières, et les partager ». À ce titre, WhatsApp offre un outil de veille collective très puissant. En Ille-et-Vilaine, David Roy a réussi à « lever des problématiques de terrain à côté desquelles nous serions sûrement passés, où que nous aurions décelé trop tard sans ces messageries ». Et de citer le cas de semences défectueuses partagé, puis confirmé sur l’application.

Levier de structuration et d’optimisation

En maraîchage, on y voit un vrai levier pour de la redynamisation des groupes, dont les membres sont souvent plus dispersés géographiquement que dans d’autres productions. « WhatsApp va titiller la curiosité de certains maraîchers isolés, leur donner envie de participer aux visites de certaines fermes », explique Stéphanie Gazeau. « Et en multipliant les échanges, c’est aussi un tremplin vers la structuration, par exemple pour un projet de groupement de producteurs que nous portons ».

En Cuma, l’outil permet de fluidifier la réservation de matériel. « Avant, quand on voulait un combiné tracteur-tonne à lisier, il fallait appeler deux personnes, chacune en charge d’un matériel. Maintenant, on a un groupe WhatsApp dans lequel on peut poser la question à tout le monde », témoigne Mathieu Goery, président d’une Cuma de treize adhérents et quarante matériels en Alsace. « Cela fluidifie fortement l’usage du matériel, notamment en période de pointe ».

Il y voit même un outil d’optimisation de ses usages et du fonctionnement de la Cuma : « Prenons l’exemple de la fin des moissons : certains vont vouloir une tonne à lisier. À la première réservation, l’annonce va être faite sur le groupe qu’elle sera accrochée au tracteur à telle date, mettons lundi. Eh bien ça peut me donner l’idée – ou à d’autres – de m’inscrire le mardi ».

Parlementaires et syndicats branchés sur WhatsApp (ou Telegram)


Les messageries mobiles (cryptées ou non) ont fait depuis longtemps leur nid au sein des organisations professionnelles agricoles (bureaux, conseils d’administration). À la FNSEA ou à la Confédération paysanne, elles sont utilisées à tous les niveaux de l’organisation, pour les communications internes et externes. Il en est de même à la Coordination rurale, à l’exception du bureau national qui continue toutefois de se concerter exclusivement par mail et visioconférences. « Nous considérons que les élus du bureau national sont suffisamment présents à leur bureau pour lire leurs mails tous les jours », explique son président Bernard Lannes.

Chez les parlementaires aussi, ces messageries sont incontournables. Notons par exemple que le groupe En Marche anime une boucle sur Telegram dédiée à l’agriculture qui compte une centaine de parlementaires inscrits. « Dès que l’on a une question sur l’agriculture, c’est plus facile d’avoir une réponse », témoigne la députée Sandrine Le Feur. « Les spécialistes aident les novices ».