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Pensons ensemble

Faire savoir ce que nous pensons

Henri Geli n’est pas connu en Saône-et-Loire. Actuel président du Cema
(Cercle d’échanges du monde agricole) à l’Ecole d’ingénieurs de Purpan
où il a fait ses études d’ingénieur en agriculture. Agriculteur en
Lauraguais (11), il s’est notamment investi dans l’animation et la
formation en agriculture, y compris comme consultant international. Son
analyse sur les orientations agricoles françaises, publiée dans la
lettre du Cema, est ici reproduite avec son autorisation. Une vision
intéressante qui met en perspective nos choix et orientations actuels…
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De nombreux analystes économiques s’accordent à dire que la crise des "commodités" et donc celle des marchés des matières agricoles, serait appelée à durer. En effet, l’affrontement militaire entre chiites et sunnites au Moyen-Orient comme la guerre économique que se livrent au niveau planétaire l’Arabie saoudite et les Etats-Unis sur le marché du pétrole ne peuvent que conduire à une baisse durable des produits pétroliers.

Un cycle de croissance molle


Conséquence directe, les revenus de nombreux pays producteurs de pétrole et de gaz s’en trouvent considérablement réduits. Or, ce sont ces mêmes pays qui ont besoin de ces ressources pour compléter leurs approvisionnements en matières alimentaires en vue de faire face aux besoins de leurs populations, des pays peu gâtés par la géographie pour être de grands pays agricoles. L’équilibre des marchés agricoles devrait ainsi être durablement impacté par la crise internationale, à l’image de l’Algérie obligée de dévaluer le dinard contre le dollar de 40 % au printemps dernier. Ainsi, lorsque les Algériens nous achètent du blé dur par exemple, il leur coûte en fait en monnaie nationale près de 40 % plus cher, phénomène qui, à lui seul, explique leur retrait relatif sur ce marché…
Dans le même temps, la Chine est dans une stratégie de renforcement du pouvoir d’achat de sa population et donc de renchérissement de ses coûts de production, ce qui ralentit considérablement sa croissance… Mais aussi la nôtre, en Occident, où nos activités de service profitaient d’un coût d’approvisionnement des produits manufacturés chinois spécialement avantageux…
Ainsi, sans qu’il soit nécessaire d’ajouter à ce tableau la situation économique des autres BRICS (Brésil, Russie, Inde, Afrique du Sud), nous pouvons considérer que nous nous trouvons durablement engagés dans un cycle de croissance molle à très ralentie, ce qui nécessite une attention particulière.

Trois voies complémentaires


Nous, agriculteurs français, devons réfléchir très vite, aux conditions dans lesquelles nous pouvons améliorer notre compétitivité, et pas seulement sur les marchés internationaux, mais également sur le marché européen où les agriculteurs allemands ont déjà prouvé leur férocité commerciale et économique.
En fait, dans cette recherche s’ouvrent trois voies complémentaires.
1) Nous devons trouver les structures d’exploitation qui autorisent les gains de productivité que représentent les possibilités d’agrandissement et de regroupements d’exploitations.
2) Ensuite, nous devons imaginer comment nous pourrions ralentir - tout au moins pour rejoindre le niveau de nos partenaires européens - la course folle de notre réglementation écologique, et ainsi mettre un coup de frein à l’érosion de notre productivité qui va avec, tout en diminuant les coûts de mise en œuvre de cette politique écologique.
3) Enfin, nous devons retrouver un espace commercial pour nos produits qui ne soit plus léonin, qui permette de traiter d’égal à égal la vente de nos produits et qui permette, de ce fait, d’orienter un plus grand nombre de nos exploitations vers une diversification des productions génératrice de plus-values réelles, notamment pour celles qui n’auront pas accès à un agrandissement ou un regroupement ainsi que celles concernées par les productions animales, en particulier laitières.

Aux portes des décisions politiques…


Oui, mais comment faire ?
De nombreux aspects sont dépendants de décisions politiques dans ce débat, mais d’autres restent ouverts. Il y a plusieurs décades, nous avons inventé les Gaec, permettant les associations de travail en agriculture. Aujourd’hui, il nous faut inventer les associations de moyen de production pour améliorer la compétitivité, notamment par l’abaissement des coûts de mécanisation et de main-d’œuvre et par la création d’économies d’échelle. Ainsi un Groupement agricole d’assolement en commun (Gaac) permettrait-il de rentabiliser les suréquipements éventuels d’exploitants et de gérer plus rationnellement le potentiel de travail entre eux. Cette démarche existe depuis longtemps et nous avons pu remarquer que, dans de nombreux cas, elle conduisait à libérer de leur tâche une partie des associés qui avaient donc le loisir de réorienter leur énergie vers d’autres activités professionnelles.
C’est là un moyen d’engager une reconversion sans perdre son exploitation, ni les revenus qui lui sont attachés. C’est également le moyen de se développer sans recourir à l’agrandissement coûteux des surfaces par acquisition à défaut de trouver des locations.
Pour aller au bout de cette démarche, il serait nécessaire de distinguer dans les revenus agricoles la part due au travail et celle due aux capitaux et au foncier, de façon notamment à pouvoir prétendre à une assiette de cotisation à la MSA, pour la part relative au travail seulement. Ce qui permettrait aux agriculteurs qui abandonneraient leur travail sur l’exploitation de trouver un soutien dans leur projet de réorientation professionnelle.
Mais nous sommes là aux portes des décisions politiques...

Charges accrues


Nous avons tous observé que la réglementation concernant la mise en marché des produits phytosanitaires en France a évolué très vite au détriment de la compétitivité agricole et bien plus vite que chez la plupart de nos voisins (cf. l’Espagne par exemple).
Cette situation est équivoque à plusieurs titres ; bizarrement, les produits tombés dans le domaine public ont été massivement supprimés, pas ceux qui sont encore sous brevet, or ces produits-là étaient efficaces et peu onéreux pour l’agriculteur !
Ces dispositions ont conduit à un accroissement considérable des coûts de production (120 à 150 €/ha en système céréalier Blé - Tournesol par exemple).
Naturellement, l’effet du durcissement des règles d’attribution des autorisations de mise en marché en France n’a pas encouragé l’agrochimie à développer ses recherches pour des produits nouveaux plus propres écologiquement. Il l'a au contraire encouragé à se détourner du marché français et à développer leurs produits actuels dans de nombreux autres pays, tels que les pays de l’Est et la Russie, dont les réglementations ne sont pas vraiment contraignantes… Et ce sont eux qui deviennent ainsi de plus en plus nos concurrents sur le marché international.
Quand aurons-nous une recherche agronomique nationale au service du progrès technique "écologique" et du développement agricole "propre" qui nous permette de maintenir une agriculture intensive ?

Pas de saine concurrence


Les activités de diversification avaient pris un réel élan dans nos exploitations depuis les années 1980. Malheureusement, elles souffrent depuis de nombreuses années de deux très graves handicaps. L'écoulement sur le marché de ces productions se fait en général, soit par la voie d’une contractualisation avec des organismes privés ou coopératifs, soit par un accord avec des grandes surfaces ou leur centrale d’achat.
Dans les deux cas, la négociation commerciale est inégalitaire en ce sens que les agriculteurs qui constituent l’offre sont nombreux (on dit que l’offre est atomisée) et que les acteurs de la demande sont très généralement uniques du fait de contraintes de proximité ou de taille économique : on dit alors que la demande est monopolistique.
Cette situation peut se produire partout et nous voyons tous, régulièrement, des société ou des compagnies aux États-Unis ou en Europe être condamnées à payer des amendes considérables pour avoir violé la loi anti-trust, avoir profité abusivement de situations dominantes ou avoir enfreint les règles de saine concurrence.
Mais pourquoi donc ce qui serait valable dans le monde international des affaires ne serait-il pas applicable en agriculture ?
Quelques voies peuvent être explorées, mais il faut reconnaître qu’il ne peut y avoir de succès dans ce domaine sans une volonté politique puissante.

Une voie négligée…


A côté de cela, la recherche de circuits courts de commercialisation - qui a prouvé sa réelle efficacité - n’est qu’une panacée parce qu’elle ne représentera que difficilement une part importante de l’écoulement de la production agricole (actuellement 6 % de la production agricole, et une exploitation sur cinq).
Le deuxième handicap des cultures de diversification est le coût prohibitif de la main-d’œuvre en France en matière de travail saisonnier. Nous devons nous battre avec les mêmes armes que celles utilisées par nos compétiteurs (cf. main-d’œuvre des pays de l’Est en Allemagne) !
Au moment où l’on voit notre pays peiner à mettre en place une réforme du code et du marché du travail, il nous appartient peut être d’affirmer notre intérêt pour les contrats de travail "détachés" avec nos voisins européens et mettre en œuvre des structures de type associatif pour favoriser leur développement.
Le potentiel de toutes les cultures de diversification pourrait représenter une part très significative de la production agricole nationale, cette voie là ne peut être négligée. A titre d’exemple, la France est le premier pays producteur exportateur de semences en Europe !
Tout ceci me direz-vous paraît bien compliqué et inaccessible depuis une exploitation agricole, perdue quelque part en France !
Et puis comment intervenir dans le champ politique ?
Et comment aller contre le "politiquement et écologiquement correct" ?
Rien pour autant n’interdit d’y penser et de le dire et peut être même de faire savoir que nous y pensons…
Henri Géli, président du CEMA
cema.purpan@gmail.com




Parce qu’il y en plus dans cent têtes que dans dix et a fortiori que dans une seule, parce que le réseau professionnel est fort et riche de ses nombreuses initiatives, L’Exploitant Agricole de Saône-et-Loire dispose d’une rubrique "Pensons ensemble". Celle-ci est destinée à enrichir le collectif de ses propres expériences et/ou réflexions, et ainsi à amener de la réflexion à tous.

Alors vous aussi, vous souhaitez partager - dans un sens constructif - une expérience, une idée, une opinion, n’hésitez pas, contactez Nicolas Durand par téléphone au 03.85.29.55.29 ou par courriel à ndurand@agri71.fr