Le Beaujolais se mobilise (aussi)
Dans les vignes du Beaujolais, une menace invisible refait surface chaque été : la flavescence dorée. Insidieuse et coûteuse, cette maladie sans remède s’étend de souche en souche, portée par un petit insecte dévastateur. Alors que la vigne traverse sa dernière ligne droite avant la récolte, vignerons et techniciens ont entamé une campagne de lutte sans relâche pour protéger nos vignobles.
La flavescence dorée n’a rien d’une nouveauté. Détectée pour la première fois en France dans les années 50, cette jaunisse de la vigne s’est insidieusement installée au fil des décennies. Elle est provoquée par un phytoplasme : une bactérie particulière, microscopique, invisible à l’œil nu, qui circule dans la sève et finit par condamner le cep.
Lorsque la maladie frappe, la plante ralentit sa croissance, son feuillage vire au rouge ou au jaune, les grappes flétrissent, les rameaux ne durcissent plus. À terme, la vigne dépérit et meurt. Malheureusement, sans lutte collective, un seul foyer peut décimer une exploitation en quelques années à peine.
Le vecteur qui saute de rang en rang
L’arme fatale de ce fléau ? La cicadelle Scaphoideus titanus. D’apparence inoffensive, cet insecte longiligne de 6 à 7 mm vit exclusivement sur la vigne. À l’automne, la femelle pond ses œufs sous l’écorce du bois. Après l’hiver, les larves éclosent, se nourrissent de sève et, si elles piquent un cep contaminé, deviennent elles-mêmes infectieuses.
Une fois le phytoplasme dans son système, la cicadelle le propage tout l’été, volant ou sautant de pied en pied. À la différence de certaines autres maladies, la flavescence dorée ne se transmet pas par le vent ou la pluie, mais par ce vecteur hyperspécialisé, capable de coloniser une parcelle en un temps record.
Voilà pourquoi chaque année, dès le début de la saison végétative, le Beaujolais bascule en mode surveillance. Les prospections collectives, organisées commune par commune en été, mobilisent viticulteurs, jeunes installés, ou encore retraités volontaires. Ainsi, chacun s’équipe : cartes parcellaires, bombes de peinture fluorescente et rubalise.
Rang après rang, cep après cep, les pieds suspects sont marqués pour être vérifiés plus tard. L’an dernier, près de 45.000 ceps symptomatiques ont été relevés en Auvergne-Rhône-Alpes, plus de la moitié sur le seul bassin beaujolais. Dans un vignoble de coteaux souvent morcelé, la vigilance se vit donc à l’échelle de chaque rangée.
Un cadre réglementaire renforcé
Le nouvel arrêté préfectoral du 16 juin 2025 dans le Rhône est venu resserrer la surveillance. Il précise les zones délimitées : communes entières ou parcelles ciblées, identifiées comme foyers ou zones tampon. Pour toutes, l’arrachage des pieds contaminés est obligatoire avant le 31 mars de l’année suivante.
Professionnel ou particulier, chaque détenteur de vignes est responsable de ses rangs. En d’autres termes, pas question de laisser un pied malade devenir une source de contamination pour le voisinage. L’arrêté encadre également les dates des traitements insecticides, rendus obligatoires, avec des distances de sécurité pour protéger abeilles et pollinisateurs.
Dans le Rhône, la lutte insecticide s’est déroulée cette année du 5 juin au 26 juillet, selon une stratégie combinant deux traitements larvicides et un traitement adulticide. Calée sur le cycle biologique de la cicadelle, cette période vise à interrompre la transmission de la maladie dès l’éclosion des larves. Les doses maximales sont imposées sans possibilité de réduction, et chaque vigneron doit vérifier l’efficacité de ses applications. Des méthodes critiquées par certains, mais inéluctables à l’heure actuelle pour limiter les dégâts : « je sais que ce n’est pas satisfaisant de recourir aux traitements puisque nous étions dans une dynamique avec moins d’intrants, mais que cela nous plaise ou non, c’est ça ou perdre le vignoble » prévient David Ratignier, président de l’ODG beaujolais et beaujolais villages.
Pour les exploitants en agriculture biologique, la lutte est encore plus complexe. Ici, le calendrier reste identique, mais pas de molécules de synthèse : seul le pyrèthre naturel est autorisé. Moins puissant, il doit être appliqué au bon moment, sur les jeunes larves, et renouvelé régulièrement. Une surveillance de tous les instants s’impose donc, car le principe est clair : pas de compromis entre bio et rigueur sanitaire. Pour ces vignerons, la flavescence dorée est un défi supplémentaire dans un quotidien déjà exigeant.
Outre l’insecte vecteur, et malgré toutes les précautions prises, le phytoplasme peut aussi voyager silencieusement par le greffage. Un greffon prélevé sur une souche contaminée devient un cheval de Troie pour la maladie. C’est pourquoi la filière multiplie les contrôles : surveillance des vignes mères de greffons, tests PCR en cas de doute, traitement à l’eau chaude pour désinfecter le bois avant plantation… Le moindre plant douteux est mis en quarantaine ou détruit. À cette échelle, la prophylaxie reste la meilleure arme : une vigne saine au départ, c’est une ligne de front solide contre le fléau.
Une organisation collective qui s’affine
La force du Beaujolais face à la flavescence réside dans sa mobilisation collective. Les référents communaux, formés par l’ODG et Fredon, orchestrent les équipes sur le terrain. Chaque cep suspect est marqué et noté, et parfois géolocalisé via une application dédiée.
La cartographie MERGIN, qui croise images satellites et données relevées, affine la surveillance pour que rien n’échappe aux contrôles. Ainsi, les prospections se déroulent en plusieurs vagues, avant et après les vendanges, pour coïncider avec les pics de population de la cicadelle.
Malheureusement, aucun remède curatif contre la flavescence dorée n’existe à ce jour. Mais des pistes de recherche fleurissent : cépages plus résistants, nouvelles techniques de confusion sexuelle pour limiter la reproduction des cicadelles, ou encore filets anti-insectes expérimentaux.
En parallèle, la modélisation des populations de Scaphoideus titanus et des foyers infectieux progresse, chaque donnée collectée alimentant les simulations pour anticiper les pics de risque et ajuster les traitements. Un patient travail de fourmi, à l’image des prospections rang par rang.
Ainsi, comme d’autres bassins viticoles, le Beaujolais doit vivre avec ce risque permanent. Cependant, pas de demi-mesure : chaque cep marqué, chaque larve repérée, chaque arrachage bien mené comptent pour sauver la vigne. Avec un nouvel arrêté préfectoral plus strict et une mobilisation sans faille, la filière montre qu’elle ne laissera pas la flavescence dorée gagner du terrain. Pour pouvoir chaque automne lever son verre à ceux qui, silencieusement, tiennent bon.
Bilan 2024 : des chiffres qui parlent
Hectares contrôlés, ceps marqués : le bilan 2024 de la Fredon Auvergne-Rhône-Alpes rappelle que la vigilance reste vitale pour protéger nos vignes.
- Surface prospectée : 16.883 ha.
- Ceps symptomatiques : 44.913.
- Dont ceps contaminés FD : 25.694.
- Parcelles contaminées : 2.612.
- Surface réellement touchée : 1.517 ha.
En Beaujolais, plus de 2.486 ha ont été confirmés, 137 ha contrôlés en bordure de parcelles sensibles et plus de 22.000 ceps symptomatiques ont été signalés. Au total, 1.137 parcelles et 13.911 ceps réellement contaminés nécessitent un arrachage.
Dix nouvelles communes rejoignent la liste des zones surveillées, dont cinq en Côteaux du Lyonnais.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, le nombre de ceps atteint par la flavescence dorée dans le bassin viticole du Beaujolais est quasiment stable en 2025 par rapport à 2024 malgré l’apparition de nouveaux foyers sur les communes de Chasselay, Fleurieux-sur-l’Arbresle, Orliénas et Taluyers. Les premières larves ont été observées le 12 mai dernier à Morancé, et le 14 mai à Belleville-en-Beaujolais (source Draaf Aura).