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Fond de terroir
Le terroir est un trésor moins « naturel » qu'on ne l'imagine. Le style d'un vin d'AOC peut même tenir davantage des pratiques viticoles et oenologiques que de l'origine des parcelles de vigne. Une alchimie méconnue qu’a étudiée Yves Cadot, de l’unité « Vigne et Vin » de l’Inra d’Angers.
Une appellation d’origine contrôlée (AOC) est une famille, dont les membres, loin d’être identiques, partagent toutefois un certain style. Prenez l’AOC
Anjou-Villages-Brissac : les producteurs de ces vins rouges les décrivent comme « colorés », « concentrés », « longs en bouche », « gras et ronds », marqués par des arômes de « fruits noirs » et de « fruits rouges »… Certaines caractéristiques peuvent varier selon le millésime ou avec l’évolution
des techniques, mais, dans l’ensemble, elles témoignent d’un lien à un terroir particulier. Ce lien entre l'AOC et son terroir doit obligatoirement figurer dans le cahier des charges transmis à la Commission européenne. Il est aussi primordial pour la communication : si les consommateurs parviennent à se
représenter le terroir, l'AOC gagne en prestige.
Alors, quand un vin a mal à son terroir, il est urgent de réagir. L’AOC Anjou-Villages-Brissac, justement, doit faire face à une crise d’identité. Elle peine à séduire : sur les 2.400 hectares inscrits dans l’AOC (dans le bassin de l’Aubance, au sud d’Angers et au sud de la Loire), une petite centaine seulement est valorisée. Des viticulteurs du secteur préfèrent même produire du v in de l’Anjou rouge, a priori moins renommé. Pourquoi cette désaffection ?
Pour y voir plus clair, les vignerons se sont tournés vers l’unité « Vigne et Vin » de l’Inra, située à Beaucouzé, dans le Maine-et-Loire, une équipe pluridisciplinaire de dix personnes. Pendant trois ans (pour prendre en compte l’effet du millésime), le biochimiste et oenologue Yves Cadot (1) s'est donc penché avec ses collègues sur cette AOC et son lien au terroir, également appelé typicité.
Le terroir n’est pas le sol
Les 41 producteurs des dix communes de la zone ont été interviewés. Résultat : il y a un décalage entre leur représentation du terroir et les facteurs qui
influencent effectivement le style du vin. Selon eux, la typicité de l’Anjou-Villages-Brissac résulte du sol et du sous-sol, puis du cépage et du portegreffe.
En revanche, ils sous-estiment (à de rares exceptions près) l’impact des pratiques viticoles et oenologiques sur la typicité de leur AOC. A tort : un jury expert (des « naïfs entraînés » de l'Inra agissant selon une méthode qui fait référence) a permis d’établir qu’en réalité, ces pratiques sont déterminantes.
L’Anjou-Villages-Brissac, c’est avant tout un raisin plus sucré, une récolte tardive, des rendements faibles ainsi qu’une cuvaison et un élevage longs. Les parcelles et les cépages employés (Cabernet franc et Cabernet Sauvignon) comptent moins dans le style du vin obtenu, n'en déplaise aux vignerons.
L'équipe de l'UMT Vinitera est parvenue à expliquer ce surprenant constat d'un point de vue biochimique.
Certains composés phénoliques, les proanthocyanidines (les tanins du raisin et du vin), migrent sensiblement dans les grains de raisin en fonction de leur maturité. La diffusion de ces tanins dans le vin dépend donc de la date des vendanges : tardive, elle vient largement modifier les caractéristiques sensorielles du produit final. Les teneurs en sucre des baies (dont dépend le degré d’alcool du vin) et en anthocyanes libres (pigments rouges), qui
structurent le breuvage, comptent également beaucoup dans la typicité de l'AOC.
La typicité est une construction sociale
« Historiquement, on partait du postulat que le terroir, c'était le sol, rappelle Yves Cadot. Depuis une vingtaine d'années, des travaux ont toutefois
amené à ne pas occulter le travail des vignerons, en mettant le doigt sur telle ou telle pratique. Mais c'est la première fois qu'on étudie le système terroir dans son ensemble, en développant une méthodologie spécifique qui tient compte du sol, des cépages et des pratiques viticoles et oenologiques ».
Des travaux précédents (2) avaient déjà établi des liens entre la nature du sol et le comportement de la vigne, en particulier vis-à-vis de la contrainte
hydrique, de la vigueur, de la précocité du cycle et de la composition physico-chimique des baies.
Mais la typicité est une « construction sociale » qui dépasse le cadre du vignoble. Dans le système des AOC, cette construction résulte d'un consensus entre les acteurs de la production. Parfois, pour atteindre rapidement certaines caractéristiques recherchées, ils peuvent être tentés de concentrer leurs efforts sur des pratiques viticoles et oenologiques comme l'assemblage, surtout lorsque l'AOC est hétérogène d'un point de vue géologique et que les
conditions climatiques sont très variables (ce qui est le cas pour l'Anjou-Villages-Brissac).
Cette « vision dynamique » de l’AOC est légitime : l'évolution des pratiques est prise en compte dans la notion d’AOC. Mais quand ces pratiques en
viennent à masquer les facteurs environnementaux (sol, sous-sol, climat), quand trop d'artifices cachent la vraie nature de l'AOC, cela peut poser problème.
« Le sol peut être masqué si cela s’explique par des pratiques adaptées au sol. Mais si 90 % de la typicité d'un vin s'explique par des pratiques mises
en oeuvre indépendamment du milieu, il devient plus facile de le produire ailleurs, prévient Yves Cadot. Il y a un juste équilibre à trouver. Notre étude a ceci de novateur qu’elle permet de faire la part des choses, et de proposer, si c'est nécessaire, des "voies de progrès" ». A terme, des outils pourraient être mis en place pour évaluer la qualité de la vendange et adapter les processus d’élaboration, tout en respectant la typicité du vin.
En outre, plus les pratiques viticoles et oenologiques sont déterminantes, plus les vignerons doivent travailler en équipe. « Nous nous sommes aperçus
que les producteurs de l'AOC Anjou-Villages-Brissac ne sont pas d'accord sur ce que doit être le vin idéal. Or, il est indispensable que se dégage une approche collective de la production, en la conciliant avec la logique individuelle de ces entrepreneurs ».
Chaque année, au fil de ses recherches, l'équipe de l'Inra a établi un compte rendu à l’attention des producteurs. Maintenant que l’étude est terminée et publiée, Yves Cadot va en diffuser les résultats sur le site de l’interprofession. « Il leur appartient désormais de dégager un consensus sur le profil sensoriel d'un vin porteur de cette AOC et sur les dimensions du terroir à mettre en avant. Peut-être pourraient-ils, comme cela se fait déjà dans certaines AOC, se réunir une fois par an en apportant chacun une bouteille, afin d'échanger sur ce qu'ils attendent de leur AOC ? ». Une manière spirituelle de répondre à de spiritueuses interrogations.
Anjou-Villages-Brissac : les producteurs de ces vins rouges les décrivent comme « colorés », « concentrés », « longs en bouche », « gras et ronds », marqués par des arômes de « fruits noirs » et de « fruits rouges »… Certaines caractéristiques peuvent varier selon le millésime ou avec l’évolution
des techniques, mais, dans l’ensemble, elles témoignent d’un lien à un terroir particulier. Ce lien entre l'AOC et son terroir doit obligatoirement figurer dans le cahier des charges transmis à la Commission européenne. Il est aussi primordial pour la communication : si les consommateurs parviennent à se
représenter le terroir, l'AOC gagne en prestige.
Alors, quand un vin a mal à son terroir, il est urgent de réagir. L’AOC Anjou-Villages-Brissac, justement, doit faire face à une crise d’identité. Elle peine à séduire : sur les 2.400 hectares inscrits dans l’AOC (dans le bassin de l’Aubance, au sud d’Angers et au sud de la Loire), une petite centaine seulement est valorisée. Des viticulteurs du secteur préfèrent même produire du v in de l’Anjou rouge, a priori moins renommé. Pourquoi cette désaffection ?
Pour y voir plus clair, les vignerons se sont tournés vers l’unité « Vigne et Vin » de l’Inra, située à Beaucouzé, dans le Maine-et-Loire, une équipe pluridisciplinaire de dix personnes. Pendant trois ans (pour prendre en compte l’effet du millésime), le biochimiste et oenologue Yves Cadot (1) s'est donc penché avec ses collègues sur cette AOC et son lien au terroir, également appelé typicité.
Le terroir n’est pas le sol
Les 41 producteurs des dix communes de la zone ont été interviewés. Résultat : il y a un décalage entre leur représentation du terroir et les facteurs qui
influencent effectivement le style du vin. Selon eux, la typicité de l’Anjou-Villages-Brissac résulte du sol et du sous-sol, puis du cépage et du portegreffe.
En revanche, ils sous-estiment (à de rares exceptions près) l’impact des pratiques viticoles et oenologiques sur la typicité de leur AOC. A tort : un jury expert (des « naïfs entraînés » de l'Inra agissant selon une méthode qui fait référence) a permis d’établir qu’en réalité, ces pratiques sont déterminantes.
L’Anjou-Villages-Brissac, c’est avant tout un raisin plus sucré, une récolte tardive, des rendements faibles ainsi qu’une cuvaison et un élevage longs. Les parcelles et les cépages employés (Cabernet franc et Cabernet Sauvignon) comptent moins dans le style du vin obtenu, n'en déplaise aux vignerons.
L'équipe de l'UMT Vinitera est parvenue à expliquer ce surprenant constat d'un point de vue biochimique.
Certains composés phénoliques, les proanthocyanidines (les tanins du raisin et du vin), migrent sensiblement dans les grains de raisin en fonction de leur maturité. La diffusion de ces tanins dans le vin dépend donc de la date des vendanges : tardive, elle vient largement modifier les caractéristiques sensorielles du produit final. Les teneurs en sucre des baies (dont dépend le degré d’alcool du vin) et en anthocyanes libres (pigments rouges), qui
structurent le breuvage, comptent également beaucoup dans la typicité de l'AOC.
La typicité est une construction sociale
« Historiquement, on partait du postulat que le terroir, c'était le sol, rappelle Yves Cadot. Depuis une vingtaine d'années, des travaux ont toutefois
amené à ne pas occulter le travail des vignerons, en mettant le doigt sur telle ou telle pratique. Mais c'est la première fois qu'on étudie le système terroir dans son ensemble, en développant une méthodologie spécifique qui tient compte du sol, des cépages et des pratiques viticoles et oenologiques ».
Des travaux précédents (2) avaient déjà établi des liens entre la nature du sol et le comportement de la vigne, en particulier vis-à-vis de la contrainte
hydrique, de la vigueur, de la précocité du cycle et de la composition physico-chimique des baies.
Mais la typicité est une « construction sociale » qui dépasse le cadre du vignoble. Dans le système des AOC, cette construction résulte d'un consensus entre les acteurs de la production. Parfois, pour atteindre rapidement certaines caractéristiques recherchées, ils peuvent être tentés de concentrer leurs efforts sur des pratiques viticoles et oenologiques comme l'assemblage, surtout lorsque l'AOC est hétérogène d'un point de vue géologique et que les
conditions climatiques sont très variables (ce qui est le cas pour l'Anjou-Villages-Brissac).
Cette « vision dynamique » de l’AOC est légitime : l'évolution des pratiques est prise en compte dans la notion d’AOC. Mais quand ces pratiques en
viennent à masquer les facteurs environnementaux (sol, sous-sol, climat), quand trop d'artifices cachent la vraie nature de l'AOC, cela peut poser problème.
« Le sol peut être masqué si cela s’explique par des pratiques adaptées au sol. Mais si 90 % de la typicité d'un vin s'explique par des pratiques mises
en oeuvre indépendamment du milieu, il devient plus facile de le produire ailleurs, prévient Yves Cadot. Il y a un juste équilibre à trouver. Notre étude a ceci de novateur qu’elle permet de faire la part des choses, et de proposer, si c'est nécessaire, des "voies de progrès" ». A terme, des outils pourraient être mis en place pour évaluer la qualité de la vendange et adapter les processus d’élaboration, tout en respectant la typicité du vin.
En outre, plus les pratiques viticoles et oenologiques sont déterminantes, plus les vignerons doivent travailler en équipe. « Nous nous sommes aperçus
que les producteurs de l'AOC Anjou-Villages-Brissac ne sont pas d'accord sur ce que doit être le vin idéal. Or, il est indispensable que se dégage une approche collective de la production, en la conciliant avec la logique individuelle de ces entrepreneurs ».
Chaque année, au fil de ses recherches, l'équipe de l'Inra a établi un compte rendu à l’attention des producteurs. Maintenant que l’étude est terminée et publiée, Yves Cadot va en diffuser les résultats sur le site de l’interprofession. « Il leur appartient désormais de dégager un consensus sur le profil sensoriel d'un vin porteur de cette AOC et sur les dimensions du terroir à mettre en avant. Peut-être pourraient-ils, comme cela se fait déjà dans certaines AOC, se réunir une fois par an en apportant chacun une bouteille, afin d'échanger sur ce qu'ils attendent de leur AOC ? ». Une manière spirituelle de répondre à de spiritueuses interrogations.